Villa Urbaine durable / journée du 5 juin 2002

 

Villa urbaine durable, un logement intermédiaire entre individuel et collectif ?

 

En France, le parc de l'habitat s'est accru en 2003 d'environ 200 000 nouvelles maisons - près des deux tiers de la production annuelle de logements neufs -, dont seulement un quart environ en individuel groupé. Ces chiffres sont à rapprocher de la progression de l'étalement urbain et de l'essor de l'habitat pavillonnaire diffus, phénomène contre lequel l'Etat a choisi de lutter avec la "Loi de solidarité et de renouvellement urbain" (SRU), publiée en 2000.

Alors que le foncier est devenu une ressource à économiser, l'engouement des Français pour la maison individuelle n'a pas fléchi et suppose de proposer des logements collectifs qui répondent au moins à certains critères de la maison individuelle et du renouvellement urbain. Parmi les "outils" dont disposent les élus pour diversifier l'habitat, il y a " le logement intermédiaire ", une forme de semi collectif très appréciée de nos voisins d'outre-Rhin et d'outre-Manche et qui avait fleuri, notamment sous la forme innovante de gradins jardins, dans nos villes nouvelles voici plus d'un quart de siècle, à une époque où la maison individuelle coûtait encore cher.

Le qualificatif d' "habitat intermédiaire" renvoie généralement à de petits ensembles de logements collectifs ne dépassant pas R+3 (et justifiant ainsi l'absence d'ascenseur). Une grande partie d'entre eux bénéficient d'un espace privé extérieur, si possible sans vis-à-vis gênant et dans le prolongement du séjour. Les parties communes sont réduites et conçues pour une gestion peu coûteuse. On pourrait aussi définir ce type d'habitat par sa complexité et les possibilités qu'il offre de combiner, d'assembler, de superposer les logements entre eux, dans un souci à la fois de densification et de ressemblance à l'habitat individuel.

Quelques opérations témoignent de son retour dans l'habitat, en accession comme en locatif, à travers l'Hexagone. Après une quasi-disparition, on le retrouve aujourd'hui parcimonieusement, et souvent dans une version très simplifiée de " maisons individuelles superposées ", dans l'offre des promoteurs, prêts à profiter de l'embellie immobilière pour tester de nouveaux " produits ", ou dans la production d'habitat social, surtout lorsqu'il s'agit de remplacer une tour ou une barre de grands ensembles par un projet à échelle plus humaine et venir ainsi en renfort de la politique de "résidentialisation" qui y est déjà menée.

Plus onéreux à construire que l'individuel groupé de façon générale, l' "habitat intermédiaire" ne représente pas un marché à proprement parler. Mais il commence déjà à mobiliser le talent des architectes, y compris dans cet élan synthétique qui les caractérise. Aucune piste n'est à négliger pour faire évoluer les mentalités et les approches réglementaires en faveur d'un urbanisme résidentiel moins éclaté, dans l'enjeu de réaliser des quartiers équipés et sûrs qui restent ouverts aux agréments de la nature. Déjà, les commanditaires de logements semi-collectifs sont soucieux d'optimiser le rendement de surface habitable (par rapport à la surface hors ouvres brute). Ils limitent le plus souvent les terrasses, ou obligent à intégrer des garages dans le volume du bâtiment. La richesse d'organisation volumétrique de ce type d'habitat ne leur paraît pas attractive.

Pour développer celui-ci, il convient aussi de remettre en cause certains usages, par exemple en ce qui concerne le stationnement automobile. Le principe de situer une partie des parkings en limite de l'opération peut paraître un contre argument commercial et pourtant, dans un passé encore récent, il était possible de l'adopter, parti pris très utile pour assurer une meilleure imbrication des logements à des coûts raisonnables. De plus, les annexes que constituent les boxes de stationnement ne sont-elles pas un moyen de structurer le plan masse de l'opération et de mieux en organiser l'espace commun ? L'ensemble peut y gagner avec un traitement adéquat.

Dans ce domaine encore expérimental, il n'est pas fréquent de conjuguer tous les facteurs de réussite, à savoir la réserve de terrains de qualité sur une commune qui accepte ce type d'habitat, la présence d'un élu qui ait envie d'innover, un architecte avec lequel ce dernier s'entende bien, enfin un maître d'ouvrage acceptant de prendre certains risques dans un contexte immobilier qui, le plus souvent, ne s'y prête guère.

L'élu est au centre du dispositif, puisqu'il initie et valide la rédaction du plan local d'urbanisme (PLU) et doit, à sa décharge, prendre en compte une attitude frileuse de la population face aux changements.

On peut avec l'habitat individuel, en serrant bien les maisons, ou avec le petit collectif atteindre une densité correspondant à peu près à un coefficient d'occupation des sols de 0,8, mais on fait abstraction de la richesse que peut apporter l' " habitat intermédiaire ". Si l'on dépasse l'aspect formel d'immeuble collectif que prend ce dernier, on remarque souvent dans ses parcours une succession progressive d'espaces, de la sphère la plus intime aux parties les plus collectives. Il faut en redécouvrir les entre-deux qui rappellent de nombreux villages où l'on vit ces rapports à l'espace semi-public.

Cela renvoie d'ailleurs à une autre problématique : la présence d'activités au sein d'une opération, en vue de générer une animation et une circulation de personnes pendant la journée.

Un autre élément sclérosant est constitué par les règlements d'urbanisme. Peut-on faire ce type d'habitat si l'on garde la règle h = l, autrement dit " la hauteur égale à la distance entre deux bâtiments sur une parcelle " ? On gagnerait en qualité architecturale à pouvoir les rapprocher davantage tout en respectant une relative intimité des habitants. Difficile en revanche de ne pas demander le maximum en ce qui concerne le seuil d'isolation acoustique à atteindre si l'on veut garantir à un logement l'une des qualités principales de la maison individuelle.

Les concepteurs d'habitat intermédiaire devraient tirer profit de la loi SRU dont l'application annonce une plus grande liberté dans l'élaboration des PLU et la disparition de certains obstacles, comme la taille minimale des parcelles constructibles et l'obligation de recul par rapport à la voie ou par rapport aux limites séparatives.

Dans la course vers un habitat urbain dense et individualisé

"Villa urbaine durable" repose sur l'ambition de proposer une mixité sociale, une démarche de préservation de l'environnement et un certain niveau de qualité de l'habitat. Chaque équipe lauréate a cherché à répartir ses efforts en fonction d'un contexte fait d'attentes, d'opportunités et de difficultés à surmonter. On sait par exemple que les programmes privés sont très délicats à monter dans certaines villes au regard des exigences programmatiques de la consultation " Villa urbaine durable " et rares sont les équipes qui ont pu s'intéresser en premier lieu à l'étude de typologies de maisons en bande ou d'immeubles semi-collectifs sortant des plans courants présents sur le marché. De même, l'urbanité attendue dans ce type d'opération ne s'est pas traduite par un effort particulier de conception des espaces collectifs.

Cette action est pourtant caractérisée par l a recherche d'un logement ayant les qualités de l'habitat individuel. De fait, il s'agit de projets résidentiels dont on peut voir qu'ils mélangent souvent dans ce sens deux, voire trois familles différentes d'habitat : l'individuel groupé (famille dominante) est associé au collectif ou à l' " habitat intermédiaire ", voire aux deux.

L'habitat en bande domine l'ensemble des opérations "Villa urbaine durable" alors que l' "habitat intermédiaire" y est peu présent. A Rouen, dans l'ancienne caserne Pélissier, l'Atelier des deux anges a opté pour des "maisons individuelles superposées" bénéficiant chacune d'un accès indépendant. Mais ce critère n'est pas valorisé dans les autres opérations qui offrent des superpositions. Pas plus que l'absence de vis-à-vis. Afin d'échapper au registre du collectif, quels sont les moyens utilisés ? Comment susciter davantage le plaisir de vivre dans un logement individuel ?

Il y a déjà le fait de jouer sur les proportions volumétriques. Ainsi, l'immeuble en plot peut évoquer l'image d'une maison de ville malgré son échelle plus grande. C'est permettre de superposer des logements sans perdre la sensation de vivre dans de l'habitat individuel. Marc Dauber a cette approche dans son opération de Chalon-sur-Saône (trois plots de R+2 identiques où se superposent deux appartements de cinq pièces en duplex à deux deux-pièces), tout comme Pascal Quéré et Guy Vaughan, le long de la prison de Caen (vingt-cinq logements flat répartis en cinq immeubles plots identiques).

Dans les deux cas, les concepteurs font bénéficier l'habitat d'un jardin ou de terrasses sur deux façades (chez Quéré & Vaughan, les logements disposent chacun d'un jardin privé ou d'une terrasse individuelle qui, l'un comme l'autre, se développent en équerre sur deux façades).

Pas d'accès privatif au sens strict, mais dans le projet de Marc Dauber, on note la façon de le suggérer : pour accéder aux logements supérieurs, au 1 er étage, il faut d'abord emprunter un escalier commun avant d'arpenter une volée d'escalier individuel conduisant à une petite terrasse privative sur laquelle donne l'entrée du logement.

On peut aussi rapprocher la volonté de minimiser les parties communes avec le thème de l' "habitat intermédiaire". Une réflexion de ce type dans le projet de Quéré & Vaughan se traduit par un très bon ratio de surface entre les parties communes et les parties privées.

En ce qui concerne le rapport du logement à la place de stationnement automobile qui doit lui être attribuée, l'individuel dense s'accompagne généralement d'un garage intégré alors que l'habitat semi-collectif renoue avec le parking collectif "boxé" en utilisant celui-ci de manière la plus rationnelle possible.

Le projet de Quéré & Vaughan implante ainsi le long de la rue une barrette de boxes qui permet de formaliser un premier plan protecteur par rapport à celle-ci pour les immeubles d'habitation, situés en retrait (les architectes apparentent ici cet édifice de boxes aux écuries ou aux communs des grandes demeures).

Cette solution concilie l'attente d'une liaison facile au garage (de plain pied dans ce cas précis) avec la recherche de graduation du public au privé. L'accès à ces garages se fait depuis l'intérieur de l'opération, le long d'une voie interne. En face, au pied des plots, une série de « caves » (ou celliers) de plain-pied forment un front assez fermé, "nouvelle strate protectrice" vis-à-vis de la rue (et, en même temps, d'un usage très pratique pour les habitants puisqu'on y accède par une porte latérale située à côté de celle du hall commun d'entrée).

Les logements ouvrent sur les trois autres façades, chacun ayant deux orientations, rappelant ainsi un peu la maison individuelle qui offre des vues de tous les côtés.

Cette voie privée dessert les boxes et les passages que dessinent les plots entre eux et dans lesquels s'inscrivent les halls. Ces passages créent des perspectives du square qui s'étend au-delà des jardins privatifs, de l'autre côté des plots. Cette disposition apporte une qualité des vues doublée d'une graduation du semi-public au privé dans la traversée de l'opération. Les jardins du rez-de-chaussée sont dotés d'accès privatifs sur le square, au travers d'une barrette protectrice couverte et longitudinale, "dernière formalisation du système de strates et de seuils envisagés".

À Roubaix, l'équipe de Dominique Montassut fait un pas vers le semi-collectif en implantant un ensemble de 30 maisons de ville sur un parking collectif, accessible uniquement par l'extérieur (pas de liaison directe avec la maison, car le parking souterrain présente sans doute le défaut d'être souvent un facteur d'insécurité). Par ailleurs, on a là un hall d'entrée pour deux maisons.

De même à Digne-les-Bains, Christina Conrad, dans une forme d'habitat plus semi-collective encore, propose également d'associer une double bande de maisons de ville à un parking collectif situé dans l'entre-deux, au niveau du sol, de manière à ce que chacun de ces triplex ait un accès direct à son box. La dalle de parking, située au niveau du 1 er étage, est aménagée en allée paysagée pour constituer une cour d'immeuble agréable, bordée de maisons d'un étage et percée par quelques trémies pour l'éclairage naturel de la voie de desserte du parking. Cette configuration de deux bâtiments d'habitation parallèles s'ouvrant sur un jardin longitudinal est courante à l'étranger, comme en Autriche où elle est le support de recherches sur l' habitat intermédiaire".

À Paris, dans le XIIe arrondissement, dans le cadre de la reconversion d'une halle industrielle en logements, l'équipe BNR en hérite aussi. L'exercice est plus difficile encore dans la mesure où le projet initial d'habitat - maisons de ville, d'un côté, et, de l'autre, foyer / logement - est mono orienté sur un espace central pas très large. Le vis-à-vis peut devenir alors gênant. Il peut être atténué ici par les arbres du jardin et un jeu de retraits en partie supérieure. On retrouve le thème de la coupe qui s'évase, très présente dans les anciennes opérations de logements intermédiaires des villes nouvelles.

Ainsi, l'expérimentation "Villa urbaine durable" est-elle susceptible d'offrir quelques références d'habitats urbains denses et individualisés et de contribuer peut-être ainsi à réinventer une forme de ville qui puisse mieux répondre aux attentes des Français souhaitant rester près des centres.