Les places de marché électronique pour la construction

 

Enjeux et perspectives

 
     
 

Introduction

Le commerce électronique sur Internet est aujourd'hui en pleine expansion. Il nécessite des plates-formes d'échange spécialisées et renouvelle les pratiques traditionnelles d'achat et de vente. Cette dynamique se développe sur un plan mondial et tous les secteurs économiques sont concernés - notamment celui de la construction. Elle met en jeu des investissements considérables, eux-mêmes en forte expansion comme en témoigne le nombre des annonces publiées ces derniers mois  L'objectif de la présente note est d'apporter un premier éclairage pour aider à une meilleure compréhension de ce phénomène et de ses enjeux à l'échelle du secteur de la construction. Cet éclairage tient compte des présentations et débats qui ont lieu les 18 et 19 janvier 2001, lors du colloque organisé par Edifrance et le CFCE sur le thème "Electronic Business Days".Néanmoins, il faut avoir à l'esprit que le sujet est particulièrement complexe et fluctuant : le PUCA en finance par ailleurs des approfondissements qui sont en cours. C'est pourquoi le parti pris pour cette note a été de commencer par un exposé synthétique, de façon à pouvoir s'appuyer sur un cadre sûr de référence, avant d'évoquer dans la dernière partie les problématiques propres au secteur de la construction en France.

Présentation résumée du concept

Les places de marché électroniques sont des espaces d'intermédiation basés sur Internet, auxquels souscrivent acheteurs et vendeurs d'un secteur ou d'un domaine d'activité particulier, voire d'une même région géographique.

Leur rôle ne se limite pas seulement à mettre en relation offre et demande, via la mise en ligne des catalogues, des appels d'offre et des opportunités d'affaires : il peut aller jusqu'à la mise à disposition d'outils d'évaluation et de négociation ou à la fourniture de garanties à l'achat, comme le référencement et la certification des produits. Certaines places se proposent même d'aller jusqu'à assurer le traitement des transactions, avec la dématérialisation des commandes, voire d'assurer l'organisation de la logistique pour la livraison des produits ainsi que la planification de la production. Les potentialités de bénéfices avancées par les promoteurs de ces nouvelles plates-formes d'intermédiation sont a priori attrayantes : baisse des prix et des coûts, rationalisation des échanges et gains de temps qui en découlent. Ces bénéfices devraient profiter à l'ensemble des intervenants car ils répondent à des stratégies de type " gagnant-gagnant " (modèle d'affaires: " win-win ") puisque :

  • l'acheteur gagne en réduisant ses coûts d'approvisionnement,
  • le vendeur gagne en accédant à un marché plus vaste,
  • les opérateurs (les " market makers ") gagnent lorsque l'accroissement du volume des transactions permet de rentabiliser les coûts d'investissement.

Les logiques d'approche des services proposés variant selon les cas , ceci conduit à classer les places de marché selon les 3 types de critères suivants :

  • "verticale" ( lorsque la place est plutôt dédiée à un secteur d'activité particulier) ou "horizontale" ( place consacrée plutôt aux achats généraux, fournitures de bureaux, maintenance ) ;
  • par mode de transaction (une même place étant toutefois susceptible d'en offrir une combinatoire), à savoir : à partir de prix sur catalogues; par enchères (appels d'offre) ; par ajustements successifs de l'offre et de la demande en matière de solutions (ingénierie concourante) ;
  • leur orientation principale : "vendeur", "acheteur" ou "neutre".

Dans le 1er cas, la place de marché résulte plutôt de l'initiative d'un groupe dominant de fabricants, voire de négociants, et a pour point d'entrée des "catalogues" électroniques ou des "fiches produits".

Dans le second cas, elle résulte plutôt de l'initiative de maîtres d'ouvrage ou de constructeurs à la recherche de "solutions" globales plus performantes, et qui jouent sur le cumul de leurs puissances d'achat.

Les "neutres" privilégient la mise en relation de nombreux acheteurs avec de nombreux vendeurs ; elles se créent souvent dans un contexte de "start-up", leur crédibilité étant d'autant plus forte qu'elles peuvent se prévaloir d'un appui des organisations professionnelles représentatives.

Comprendre les enjeux

Sur un plan général, cerner les enjeux liés à ce phénomène nouveau nécessite d'avoir d'abord en tête l'importance des échanges à l'échelle du commerce interentreprises - dont l'acronyme est B2B, "Business To Business". Il suffit en effet d'observer que si l'acte de vente lui-même ne représente qu'une seule transaction, la conception, la mise au point et ensuite la fabrication du produit correspondant, jusqu'à sa mise en vente, en ont nécessité un très grand nombre. Ceci explique par ailleurs la part somme toute très limitée du B2C "Business To Consumer", celle qui vise le grand public, dans l'économie mondiale des échanges en générale et dans l'e-business en particulier.

REPERES : l'activité mondiale du B2B est estimée à 47.000 milliards de $. Sa part électronisable représenterait 65% soit 30.000 milliards de $ . Sur celle-ci, 40 % soit 12.000 milliards de dollars pourraient passer par des places de marché.

Avant qu'Internet ne devienne le réseau de référence pour le commerce électronique, le standard de communication le plus utilisé pour les transactions inter-entreprises était l'EDI : Echange de Données Informatisé. C'est d'ailleurs toujours le cas ( et de loin) actuellement. L'avantage de l'EDI est en effet de permettre de travailler dans un contexte sécurisé tout en s'appuyant sur des protocole normalisés (dérivés de la norme Edifact). L'inconvénient est qu'il ne peut être opéré que sur des réseaux privés, ce qui induit des coûts non négligeables en matière de développement, d'installation et de maintenance. Ceci explique que l'EDI se soit diffusé surtout sous l'impulsion de grosses entreprises confrontées à la gestion de gros volumes de données dans des contextes de transactions répétitives.

Le développement des nouvelles technologies sur Internet (langage XML, WebEdi) devrait permettre aux petites et moyennes structures de bénéficier à leur tour de la possibilité de passer commande auprès de fournisseurs et de suivre les livraisons. Néanmoins, ces nouvelles technologies souffrent d'insuffisances pratiques - notamment en matière de sécurisation des paiements ou encore d'harmonisation des standards dans le cas des applications basées sur le langage XML - et la seule alternative opérationnelle pour les PME consiste à recourir à des intermédiaires. De là l'intérêt de réponses de type "Place de marché" comme solutions permettant de mutualiser les coûts de réseaux privés de type Extranet, tout en rendant possible, en cas de besoin, l'intégration de l'EDI.

Un dernier facteur à prendre en compte est l'émergence sur Internet depuis 1999 de structures regroupant au sein de "portails verticaux" les publications et catalogues électroniques, initialement développés sur le Web pour leur propre compte et de façon indépendante par des fabricants, des négociants ou des éditeurs. L'ajout de services complémentaires (comme l'aide au choix, voire la commande en ligne) a ainsi pour conséquence l'évolution de ces portails en places de marché.

L'interaction des jeux d'acteurs

La présentation générale ci-dessus explique le foisonnement, la variété et l'hétérogénéité apparente des solutions existantes sur le marché. Elle ne rend pas toutefois bien compte du dynamisme du phénomène ainsi que de son déploiement, toutes choses importantes pour mieux en appréhender la réalité dans le secteur de la construction.

REPERES : 1.500 places de marché répertoriées en juillet 2000 , de 2 à 3.000 prévues en 2002 et 20.000 en 2003...

Mais sur le plus long terme, seulement une minorité de ces places devrait dépasser le seuil critique à partir duquel pourra être assurée la rentabilité des investissements. Ainsi certains estiment-ils que seulement de 1 à 2 places de marché publiques subsisteront par industrie (210 au total). A coté de ces places publiques, coexisteront en revanche un plus grand nombre de places privées regroupant les partenaires de leurs membres fondateurs respectifs (coût de constitution de l'ordre de 5 M d'euros ; de 1 à 20 membres fondateurs par place). Enfin, les places de marché de consortium (d'autres disent de coalition) assureront les transactions de type "Marchandises non pour revente" au profit des grands constructeurs (automobile, aéronautique, etc.) fondateurs de ces consortiums (coût de constitution de l'ordre de 500 M d'euros par membre fondateur ; 0,25 à 8% prélevés par transaction effectuée).

D'ores et déjà, ces différents types de places de marché sont en cours de déploiement et les deux grands secteurs les plus avancés sur le plan mondial concernent les marchés de l'automobile d'une part, des NTIC d'autre part. Dans cette course en avant, deux grands modèles économiques s'affrontent :

  • les "start-up" dont la fonction est d'assurer un rôle "d'infomédiaire", en proposant des modèles de transaction totalement nouveaux, susceptibles de se répliquer rapidement de façon géographique et trans-sectorielle - dans le but de devenir un passage obligé ; leur financement repose souvent sur une valorisation boursière sur-dimensionnée, des recettes de publicité en ligne et des commissions perçues sur les transactions effectuées sur leur site ;
  • les "grandes entreprises" qui peuvent se prévaloir d'une forte puissance d'achat et qui souvent ont déjà procédé à la rationalisation de leurs approvisionnements (ERP), voire à la mise en place de places de marché internes ; selon les cas, elles optent pour l'une des 3 options suivantes : participer à une place de marché privée indépendante (cf. BP dans Altra) ; externaliser leur solution interne (cf. Buzzaw d'Autodesk) ; rejoindre une coalition (cf. Renault qui a rejoint le consortium Covisint rassemblant Ford, GM, Daimler et Chrysler).

Ces deux grands modèles répondent à des logiques très différentes :

  • les "start-up" se fixent comme objectif de fédérer des marchés éclatés, de les rendre plus transparents, d'y rendre les transactions plus saines en jouant un rôle de tiers de confiance; elles s'attachent à susciter des communautés d'intérêt en proposant une information technique très spécialisée pour devenir ensuite un lieu d'échanges commerciaux ; elles mettent en avant l'apport d'une valeur ajoutée (cf. certification Véritas pour Tradorama) ; elles excellent dans les marchés morcelés ou opaques où elles peuvent se constituer des niches (cf. équipements hospitaliers, chimie, secteur du transport) ;
  • les grandes entreprises cherchent quant à elles à capitaliser leur pouvoir de négociation et à influencer de façon forte les transactions à leur profit ; une fois ses propres achats totalement intégrés sur Internet, la coalition a pour effet d'augmenter les volumes et de diminuer corrélativement les prix et les délais.

Néanmoins, ces deux modèles seront en tout état de cause conduits à coexister. On le constate d'ores et déjà dans le cas des équipementiers automobiles. Ainsi le canadien Dana et l'américain Delphi, ont-ils indiqué, après avoir rejoint la coalition Covisint, leur intention de continuer à utiliser les services de FreeMarket.com (enchères inversées). Ceci explique :

  • l'importance du rôle des normes et standards dans l'évolution des places de marché au cours des années à venir, cette condition devant être satisfaite pour assurer l"interopérabilité" de ces systèmes entre eux ainsi qu'avec les logiciels métiers des entreprises d'autre part ;
  • l'intérêt porté par les grands "éditeurs de logiciels" pour nouer des alliances avec les opérateurs de places de marché (cf. SAP, Oracle, CommerceOne, Ariba).

La situation actuelle dans le cas du secteur de la construction

Les places de marché électroniques pour la construction font actuellement en France l'objet de très importants investissements qui mobilisent l'ensemble des grands acteurs du secteur. Ainsi, tous les grands groupes, la plupart des fabricants et des négociants leaders dans leurs domaines respectifs, mais aussi les médias en position dominante comme Le Moniteur (et derrière lui, les groupes Havas et Vivendi), les principaux organismes de vérification (cf. Véritas) sont actuellement qui à l'initiative, qui partenaire fondateur, d'un projet de place de marché. Par ailleurs, les portails d'informations techniques à vocations professionnelles ou interprofessionnelle (cf. Interbat) travaillent également à faire évoluer leurs offres de service dans ce sens. Enfin, de nombreux sites sur Internet initialement dédiés à la mise en ligne d'outils de gestion de projets pour la construction se trouvent aussi impliqués. Il faut aussi noter l'implantation en France de filiales de sociétés étrangères (cf. Mercadium, filiale de la Lloyds)

Ce sont ainsi près d'une trentaine de sites qui font actuellement l'objet d'investigations plus approfondies, au niveau du PUCA et en s'appuyant sur les réseaux Edifrance, Médiaconstruct ou Edibatec. Le poids de la fonction achat dans l'activité globale du secteur constitue à coup sûr une première explication du phénomène. Elle induit en effet des coûts de main d'ouvre importants pour le traitement des transactions. Elle représente donc des potentialités évidentes de marges bénéficiaires. Mais il s'agit d'une fonction complexe étant donné la grande variété des domaines de produits de construction et des niveaux d'exigences à satisfaire.

Ces particularités expliquent donc la nécessité d'adapter à la marge les modèles économiques généraux évoqués dans les points précédents, ce qui revient à les décliner "en vertical". Néanmoins, on se limitera, eu égard à l'esprit de cette note, à n'en évoquer que quelques aspects parmi les plus remarquables.

En particulier :

  • l'échelle géographique visée. Il peut être intéressant de remarquer que les projets de places de marché qui associent les groupes leaders du secteur affichent tous une ambition européenne Cf. les projets : LeMoniteurExpert, Constructeo (Vinci, Gtm, Veritas), Lafarge, Voltinum (futur portail des fabricants d'électricité : Philips, Legrand, Schneider, Alcatel Câble...), B2Build, etc.
  • l'importance de la dimension "gestion de projet". A l'exception de B2Build, place résolument orientée "Achats", tous les projets des groupes leaders prévoient de fidéliser leurs communautés d'usagers en complétant leur offre de base sur Internet avec des outils plus ou moins évolués dédiés à la transmission, au partage, à l'archivage et au traçage des documents échangés sur les projets, voire par des applications de workflow (cf. gestion des approbations des documents, plannings). Certains envisagent la liaison à terme de ces outils avec les catalogues de produits, pour permettre de passer directement des phases d'études techniques aux processus d'achats sans changer d'environnement.
  • le facteur discriminant clé : la valeur ajoutée métier offerte. Il peut s'agir par exemple de la fourniture en ligne de bases de données spécialisées (cf. en matière d'opportunités d'affaires, l'accès aux permis de construire, à des appels d'offre privés, en complément des annonces des marchés publics, dans le cas de LeMoniteurExpert ; les "fiches produits" des négociants référencés dans celui de B2Build). Ou encore : de garantir la sécurisation des transactions ; de mettre à disposition des moteurs de recherche plus performants pour la sélection des produits ; de fournir des outils d'aide à la visualisation et à l'extraction des données techniques pour les fichiers CAO échangés, etc.

Une dernier point à noter en conclusion : les recherches et les travaux soutenus par le PUCA dans le champ de la structuration des données techniques et de l'ingénierie concourante trouvent dans les places de marché un nouveau territoire pour leur valorisation à grande échelle car ils leur ouvrent des voies nouvelles pour augmenter les valeurs ajoutées métiers au niveau de leurs offres.

Quelques exemples :

  • la standardisation des formats des données pour les produits catalogués (cf. travaux Edibatec) devrait aboutir à des économies d'échelle considérables pour la saisie des catalogues ; elle ouvre aussi la voie au développement de nouveaux types de moteurs de recherche plus performants, pour l'aide au choix des produits ;
  • la normalisation des classes d'objets CAO (cf. le format IFC) va permettre de garantir aux maîtres d'ouvrage que leurs standards de programmation internes (locaux-types, équipements-types, etc.) pourront effectivement être pris en charge tout au long du processus de conception réalisation de leurs projets ;
  • le maquettage virtuel des projets associé au recours au format IFC pour la structuration des données techniques va conduire non seulement à améliorer la qualité des dossiers d'appels d'offre, en permettant la cohérence entre les pièces écrites et graphiques, mais aussi à améliorer celle des équipements livrés, en garantissant leur conformité aux cahiers des charges.
 
 
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