ENTRETIEN AVEC BERNARD ROUSSIN

Bernard ROUSSIN (bureau d’études BETREC), OPC du chantier de Chassieu, décline sa vision de la planification suivant trois axes : prendre en compte l’approche du travail par les entreprises; adapter le niveau de détail du planning au mode d’intervention des équipes; optimiser la gestion de son chantier tout en intégrant les contraintes de l’activité - éclatée sur plusieurs chantiers - des entreprises de second œuvre. Même si la prise de risques pour l’OPC est plus grande.

" Planifier n’est pas imposer, c’est bien communiquer afin de négocier de manière réaliste "

C2000 : Au travers de cette expérimentation, l’OPC visait à approfondir les méthodes de planification en se dotant d’un outil informatique souple et interactif.

Bernard ROUSSIN : L’idée motrice qui sous-tendait l’utilisation d’un logiciel informatique de planification associé à une base de données était de dégager du temps à l’OPC sur le chantier. La réunion de chantier, qui est un moment très intense durant lequel l’OPC doit intégrer une quantité de données importante, montre en effet que les informations échangées ne sont pas toujours suivies d’effet, parce qu’elles sont peu ou mal formalisées. La fonction première du logiciel était donc de servir d’aide-mémoire. L’associer à une base de données permet de poursuivre le contact en dehors de la réunion de chantier, par transmission par fax d’informations aux entreprises qui les incitent à réfléchir voire à anticiper sur des problèmes à résoudre. Autrement dit, c’est une façon de déconcentrer la relation entre l’entreprise et l’OPC afin que ce dernier prépare mieux les réunions suivantes. La seconde idée était d’intégrer les informations relatives à ce qui n’est pas maîtrisable sur le chantier, en particulier les approvisionnements.

Quelles sont les fonctionnalités innovantes de DC+?

B.R : C’est un logiciel qui permet d’élaborer un planning basé sur un système de tâches à rebours afin de se conformer à une gestion en " juste à temps " du chantier. Un exemple : si la date d’exécution des menuiseries extérieures est planifiée au 1er Juillet, nous prévoyons un délai de six semaines afin que le déclenchement de la commande des approvisionnements s’effectue le 15 Mai. Conformément à cette prévision, le système informatique émet alors dans la semaine du 15 Mai un " flash " qui rappelle à l’OPC la commande à effectuer. Cette information est ensuite répercutée vers l’entreprise. Cela implique que celle-ci doive nous fournir ses plans d’exécution deux semaines avant la passation de la commande afin que la maîtrise d'œuvre puisse, durant cette période, effectuer l’approbation des plans. La date de remise des plans par l’entreprise se situe alors au 2 Mai. Compte tenu d’un délai d’exécution des plans de trois semaines, ceux-ci doivent être entamés le 8 Avril.

L’approbation des plans est cruciale pour que l’entreprise puisse passer sa commande sur la base d’informations fiables. Lorsque ce n’est pas le cas, l’OPC se retrouve rapidement dans une situation désorganisée, l’entreprise différant sa commande jusqu'à l’obtention de données précises.

Combien de tâches comportait le planning?

B.R : J’avais élaboré un planning initial de l’ordre de 1000 tâches que j’ai par la suite condensé. Une précision : le niveau de détail du planning de Chassieu n’était pas corrélatif à l’outil informatique lui-même, les logiciels de planification actuels pouvant gérer un nombre de tâches très conséquent. Ce qui m’importait, c’était de planifier suivant une approche du travail par les entreprises. De manière générale, établir par exemple une planification de l’ensemble d’un chantier suivant une logique de plateau me semble être une erreur. Cette approche est adaptée au gros œuvre mais pas au second œuvre qui procède d’une logique par cage, ou par colonne montante pour l’électricien et le plombier. Dans un second temps, il s’agit de vérifier quel est le degré de planification auquel peut répondre l’entreprise : une équipe qui a l’habitude de gérer son intervention de manière globale ne comprendra pas un planning dont les tâches sont découpées trop finement. C’est pourquoi j’ai regroupé des tâches qui étaient dissociées au départ. Par contre, j’ai conservé dans la mémoire informatique le détail initial des tâches afin de pouvoir contrôler plus rapidement l’avancement du chantier et ainsi me dégager du temps.

La rentrée de données dans le système informatique supposait des informations précises, par exemple sur les durées prévisionnelles d’intervention. Comment avez-vous procédé?

B.R : De manière classique, sur la base d’un questionnaire envoyé à chaque entreprise. Dans les faits, les décalages observés ne se situent d’ailleurs pas tant par rapport aux durées prévisionnelles des tâches - les temps unitaires sont assez bien respectés - que dans la manière d’intervenir. Les équipes des corps d’état dits de " poseurs ", travaillent en effet en " coup de poing " sur des durées très courtes afin de mettre en place des produits industrialisés, puis repartent sur un autre chantier. Il est donc difficile de procéder à un lissage de leur activité et de les mobiliser. Il s’agit alors de concilier les objectifs du " pilote " de l’entreprise, qui gère plusieurs chantiers, avec ceux de l’OPC, qui gère son chantier avec des marges de manœuvre très étroites. L’intérêt d’intégrer les données-entreprises en amont est alors évident.

A quoi correspond l’intégration de la phase commande dans le planning?

B.R : La phase commande correspond au type d’organisation des entreprises. De ce point de vue, on peut distinguer deux familles de corps d’état : les façonneurs qui s’organisent en fonction de l’avancement du chantier et les " poseurs " qui s’organisent eux en terme de gestion d’activité de leur propre structure. Ces entreprises de pose se concentrent sur des aspects, tels que les dates de commandes vers les fournisseurs, les échéances de paiement... Le rôle de l’OPC consiste alors à " coller " au plus près de ces entreprises afin, qu’en terme de commandes et de mobilisation de leur effectif, leurs intérêts coïncident avec ceux du chantier. Il ne s’agit pas d’imposer à l’entreprise une intervention très étalée dans le temps mais - au contraire - de lui permettre d’intervenir à un moment T, constituant le meilleur compromis dans le lissage de son activité. Dans les faits, cette manière de procéder est difficile à gérer pour l’OPC. En planification " traditionnelle ", lors d’une intervention prévue sur deux semaines par exemple, l’OPC impose à l’entreprise d’être présente tous les jours sur le chantier. C’est un processus très linéaire et rassurant pour la gestion des aléas. En revanche, lorsque l’OPC laisse toute liberté à l’entreprise pour organiser son intervention, donc de n’être présente que trois ou quatre jours pour une durée d’intervention théorique de quinze jours par exemple, il court le risque d’un dérapage incontrôlé si l’entreprise ne respecte pas son engagement. Une confiance réciproque entre le pilote et l’entreprise est par conséquent impérative, cette dernière s’engageant à mettre en place un effectif important sur une courte période, mais aussi à bien structurer son intervention.

Les approvisionnements de matériaux y gagnent-ils en efficacité?

B.R : Cela permet à l’entreprise de grouper ses approvisionnements. Deux avantages : elle est susceptible d’obtenir un tarif plus intéressant auprès de son fournisseur qui n’effectue qu’une seule livraison; la réception des matériaux sur le chantier s’effectue à pied d'œuvre, sans stockage intermédiaire. Chaque cellule de logement est ainsi approvisionnée directement puis " reprise " par l’équipe qui met tout de suite en œuvre les matériaux. Conséquence : un très bon résultat qualitatif et un taux de vol quasiment nul. En contrepartie, ce mode de fonctionnement suppose quelques transferts de tâches : ainsi, à Chassieu, c’est le plaquiste qui s’est chargé des incorporations de fils électriques dans les cloisons au lieu de l’électricien. Ce dernier, de par son mode d’intervention obligatoirement très étalé dans le temps, n’est en effet pas en mesure de fournir un effectif correspondant à la rapidité d’exécution des cloisonneurs. Autre point : sur cette opération, nous avons planifié la phase gros œuvre dans une optique d’enclenchement rapide des corps d’état. Par exemple, nous avons réalisé très vite les regingots de fenêtres afin de permettre une pose rapide des menuiseries PVC (parallèlement à la pose de la toiture) et, dans la foulée, pouvoir approvisionner les plaques de plâtre.

Quelle est l’utilité d’un simulateur connecté au planning?

B.R : Entre le début et la fin de la réunion de chantier, un nombre important de corrections sont apportées au planning. Le déroulement d’un chantier s’inscrivant comme une suite de recalages, il faut hiérarchiser l’importance des décisions prises lors de la réunion de chantier de façon à éviter aux entreprises une trame de modifications trop serrée. Autrement dit, chaque changement ne génère pas systématiquement un ordre ou un contre-ordre vers l’entreprise dès lors qu’il n’influe pas sur le délai global de réalisation. L’intérêt du simulateur est justement de vérifier en temps réel les répercussions des décisions sur le délai global du chantier afin de trier les ordres à transmettre. C’est aussi un outil de négociation lorsqu’il y a risque de dérapage du délai. Ainsi, en procédant par itérations, le simulateur permet de recaler l’intervention d’une entreprise dans le cadre d’un compromis acceptable avec l’OPC, mais aussi avec les autres entreprises de second œuvre.

Une planification très détaillée, telle que celle de Chassieu, rend impossible l’édition d’un planning " papier ". Est-ce un handicap?

B.R : Afficher un planning au mur ne favorise pas l’interactivité, ne serait-ce que parce qu’il est modifié à chaque réunion. En revanche, la communication des informations par fax aux entreprises, telle que nous l’avons utilisée sur l’opération de Chassieu, pourrait se révéler bien plus efficace si elle était complétée par des zooms du planning Gantt. Cette dimension me semble très importante pour l’avenir: elle permettrait en effet de faire réagir rapidement les professionnels en cas d’erreur et elle favoriserait l’autonomisation des entreprises de second œuvre qui, à Chassieu, ont été très consommatrices d’informations vis-à-vis de l’OPC.

En conclusion, peut-on dire que le logiciel DC+ est un plus pour l’OPC?

B.R : L’utilisation de l’outil n’est pas compliquée. En revanche, l’approche de chantier induite par les fonctionnalités du logiciel nécessite une expérience de pilote confirmée. De manière plus générale, l’OPC doit aussi faire preuve d’une forte capacité d’écoute vis-à-vis des entreprises, ne serait-ce que parce qu’en corps d’état séparés - contrairement à un pilote d’entreprise générale - la contractualisation fait qu’il ne dispose que d’un pouvoir souvent très limité.

Planifier n’est pas imposer, c’est bien communiquer afin de négocier de manière réaliste. Le logiciel utilisé à Chassieu, de par le simulateur ou le planning à rebours, répond à cette philosophie de la planification.