ENTRETIEN AVEC PIERRE POSSEME

Pierre Possémé, PDG de l’entreprise Bâtiment Associé et Président de l’Union Nationale de la Maçonnerie, tire un bilan prometteur des expérimentations initiées à Bétheny et à Reims. Il pense en revanche qu’il y a beaucoup à faire pour promouvoir les innovations relatives aux techniques de maçonnerie.

" Comment associer une technique à la définition d’un objectif précis, et non pas réutiliser systématiquement les mêmes solutions constructives? "

CHANTIERS 2000 : Quel était le but des sessions de formation pour les maçons?

Pierre POSSEME : Atteindre un niveau élevé de performances, tant en matière de qualité de travail que d’optimisation des délais. Dès lors, il s’agissait de leur expliquer ce qui fondait les précautions corrélatives à la mise en oeuvre de la maçonnerie à joints minces de colle. Sur l’opération de Reims, la prise en compte de ces précautions était d’autant plus importante que la mise en œuvre des monomurs en brique isolants induisait de ne pas créer des ponts thermiques qui auraient annulé l’avantage lié au matériau. De manière plus générale, les compagnons ne sont pas toujours très perméables à l’introduction d’innovations, surtout lorsqu’il s’agit de nouvelles techniques susceptibles de remettre en cause des savoir-faire hérités de la période de l’apprentissage. Si ce phénomène est connu, il n’en est pas moins aigu : certaines innovations n’expriment pas tout leur potentiel parce que les compagnons n’y sont pas formés et craignent de ne pas être compétents. Ils ont de ce fait tendance à se replier sur des modes de mise en œuvre incompatibles avec l’introduction d’une nouvelle technique sur le chantier. L’exemple le plus significatif se trouve dans l’outil de préhension mis au point pour les parpaings à Bétheny: seuls les jeunes maçons l’ont utilisé alors que les " anciens " ont soulevé les blocs manuellement. D’où l’intérêt d’assurer une formation d’autant plus sérieuse en amont du chantier.

Quel premier bilan retirez-vous de ces expérimentations?

P.P : Dès lors qu’ils sont formés, les maçons n’éprouvent aucune difficulté à mettre en œuvre la technique à joints minces. Autre point : un meilleur confort de travail, le mortier-colle, contrairement aux mortiers classiques, " n’usant " pas les doigts des hommes. A noter, qu’en terme d’organisation de chantier, l’introduction d’un petit malaxeur à mortier-colle permet de réduire le nombre de rotations de la grue. A Bétheny, nous avons aussi porté nos efforts sur la pallettisation des matériaux qui, alliée à un de choix prédalles, au système de rotation des banches, à la diminution de la quantité de mortier mélangé sur site, permet d’améliorer les conditions de travail des maçons.

D’autre part, suivant les matériaux utilisés, la maçonnerie à joints minces présente des pistes intéressantes. Ainsi, pour les blocs à enduire, elle conduit à une augmentation des performances mécaniques, à un gain sur les délais de pose et à une grande qualité esthétique de l’ouvrage. Les blocs apparents, quant à eux, présentent, outre la diminution des temps de pose, une adhérence renforcée qui contribue à une meilleure tenue aux efforts horizontaux. Par ailleurs, la pose du doublage intérieur est facilitée par le fait qu’il est collé sur une surface complètement plane, les reliefs de joints étant supprimés. Dans une mesure moindre, l’enduit extérieur bénéficie lui aussi d’une réalisation plus aisée, corrélative à la diminution de l’épaisseur des joints. En revanche, l’apparente facilité d’exécution de ne doit pas faire oublier qu’en phase de conception, un calepinage précis est indispensable pour optimiser les coupes et les percements.

Autre point : il faudra disposer à l’avenir d’une nomenclature de blocs plus large pour la réalisation des points singuliers. Sur le plan économique, la technique à joints minces n’est pas " révolutionnaire ". La rectification des blocs en usine ou le prix du mortier-colle sont encore onéreux, même si le temps de pose est réduit par rapport à une solution traditionnelle.

Le coût est évidemment déterminant. Cela signifie-t-il que vous n’arrivez pas à imposer cette technique hors chantier expérimental?

P.P : Les avantages de la maçonnerie à joints minces s’expriment en termes de conditions de travail et en qualité esthétique de l’ouvrage. A l’heure actuelle, ce ne sont pas deux arguments suffisants pour convaincre un maître d’ouvrage qui préférera généralement voir des parpaings mal posés, mais qui lui coûteront moins cher. Cela tient aussi au contexte économique difficile : je suis persuadé que dans un marché " normal " nous serions concurrentiels. Comme, en tant que chef d’entreprise, je me refuse à brader mes frais généraux pour obtenir un marché, la technique à joints minces, malgré ses qualités, ne suscite pas encore de nouvelles opérations en logement collectif. En revanche, sur du logement individuel où l’argument qualité est plus déterminant, des perspectives de développement existent. Cette situation sclérose l’innovation. A titre d’exemple, sur la pose du parpaing collé, j’avais envisagé d’optimiser l’étalage du mortier par la mise au point d’une nouvelle machine qui aurait encore amélioré les temps de mise en œuvre. J’y ai finalement renoncé en raison du retour d’investissement trop aléatoire induit par les conditions actuelles de dévolution des marchés.

La maçonnerie à joints minces incite aussi à une nouvelle approche au niveau de la conception.

P.P : Au niveau de la conception, la technique à joints minces exige une architecture plus souple. Prendre en compte les contraintes relatives au calepinage des blocs impose de concevoir dans un esprit " ouvert ". Autrement dit, l’architecte doit faire évoluer son dessin en fonction des contraintes de mise en œuvre. Or, dans un appel d’offres classique, les plans sont figés à l’avance au travers des pièces du DCE qui ne sont pas susceptibles d’évoluer. A l’extrême, la maçonnerie à joints minces serait adaptée à une consultation de type conception-réalisation. A ce propos, le dernier appel d’offres auquel j’ai soumissionné avec cette technique s‘est montré très révélateur : les plans de l’architecte induisaient un nombre de coupes trop importantes pour pouvoir entrer dans les prix. Au travers de cet exemple, il est possible d’élargir le débat à une problématique du programme Chantier 2000 : comment associer une technique à la définition d’un objectif précis - en termes de contraintes de délais, de site, d’organisation, de qualité de l’ouvrage... - et non pas réutiliser systématiquement les mêmes solutions constructives? La diffusion de l’innovation est au cœur de cette problématique...

La diminution de la taille des opérations n’est-elle pas porteuse d’espoirs pour des innovations relatives à la maçonnerie?

P.P : La maçonnerie à joint minces devrait permettre aux entreprises moyennes de retrouver un marché au niveau du logement. Elle nécessite en effet moins de matériel et davantage de compétences de la part du maçon. Pour rebondir sur votre question, je me demande si, par rapport à la réduction de la taille des opérations, l’aide apportée aux innovations relatives aux systèmes industrialisés constitue une piste prometteuse pour l’avenir. A force de ne pas aider l’innovation dans les techniques traditionnelles, on néglige aussi les hommes qui contribuent à leur qualité. Construisons avec des technologies industrielles lorsqu’il y a des ressources de matière première et de compétences sur la région. Mais n’en faisons pas un règle générale. D’autant que je ne suis pas certain que la qualité et l’économie du logement soient parfaitement maîtrisées sur ce type de construction...