POUR DE " NOUVEAUX MAÇONS"
par Michel Chatry (Ancien Conseiller Scientifique et Technique au Plan Construction et Architecture)
Limportance de la maçonnerie dans la construction en France est souvent sous-estimée.
Sait-on quen construction neuve, pour la maison individuelle (un marché de 67 milliards de F. H.T. en 1995), la part de la maçonnerie dans les techniques de murs est très majoritaire : 95 % qui se partagent entre 70% pour les blocs de béton, 20% pour les briques de terre cuite, et le reste pour le béton cellulaire (1%), la pierre (1%), et des solutions mixtes. Pour le logement collectif, la maçonnerie est aussi utilisée en structure porteuse : sa part de marché est de 10% (structure de beaucoup de petits immeubles bas). Mais la maçonnerie est la solution constructive souvent retenue, même dans le cas dimmeubles importants, pour les murs de remplissage (45% des surfaces vues des logements collectifs sont en maçonnerie).
Logement individuel et logement collectif, cest déjà plus de la moitié du marché de la construction neuve. Et la part de la maçonnerie dans les techniques de construction du tertiaire reste importante. On mesure donc les enjeux économiques qui sont attachés à des progrès significatifs dans une technique aussi répandue dans la construction, et qui paraît bouger si peu. Sans parler de lamélioration nécessaire des conditions de travail du métier de maçon, jugé pénible et sale, et considéré comme peu attractif pour les jeunes.
Un peu dhistoire...
Depuis environ sept ans, le Plan Construction et Architecture sest attaché à rechercher des innovations dans la maçonnerie. Diverses voies ont été suivies : murs doubles, maçonnerie armée, petits éléments apparents de maçonnerie, maçonnerie posée à sec et même maçonnerie apparente posée à sec. Mais cest lamélioration de la maçonnerie courante - lessentiel du marché - qui semblait la plus productive, et réduire lépaisseur des joints a été la direction de recherche jugée la plus réaliste, compte tenu des conditions actuelles de production des blocs en béton et des briques.
Cest en 1992 que ce programme a été initié, en collaboration avec le CSTB, le CERIB. pour les blocs de béton, le CTTB. pour la brique, avec le concours actif de lUnion Nationale de la Maçonnerie de la FNB. Monter de petits éléments à joints minces de mortier-colle, dune épaisseur de lordre de 2 à 3 mm (contre 10 mm environ dans la maçonnerie traditionnelle), cétait transposer des applications déjà largement éprouvées dans les blocs en béton cellulaire, et tentées aussi avec des blocs en pierre tendre dans les années 80 (études CEBTP - PCA.). Mais si la découpe au fil du béton cellulaire avant durcissement, le sciage en atelier de la pierre, permettent dobtenir une précision dimensionnelle suffisante, comment faire avec des blocs moulés puis séchés et des briques filées, puis cuites? Comment adapter les mortiers de joints, chercher de nouvelles méthodes de pose, avec de nouveaux outils?
Trois directions de recherche
Une première phase dinvestigation visait à établir la faisabilité de la transposition. Elle a permis dorienter la recherche des compatibilités entre produits de maçonnerie présents sur le marché et mortiers de pose, danalyser les modes de mise en uvre. Déjà apparaissait lintérêt de la pose à joints minces pour assurer une meilleure homogénéité mécanique traductible en bonifications dans les règles de calcul des murs, pour améliorer aussi laspect et le comportement des enduits (suppression des fantômes des joints, élimination des fissurations...). Une seconde phase de recherche, actuellement en phase finale, et menée parallèlement à des réalisations expérimentales sur des chantiers, a permis davancer dans trois directions : les processus de fabrication et de livraison, laide à la prescription et à lexécution, lorganisation et les modes opératoires de chantier. Des chantiers expérimentaux ont permis de vérifier les hypothèses de recherche et de tirer tous les enseignements de la réalisation dans des conditions courantes de ces nouvelles maçonneries. Lévaluation technique et socio-économique de ces trois programmes de logements collectifs sociaux, denviron 100 logements en tout, à Reims et dans sa banlieue, est aujourdhui presque achevée et devrait permettre à nouveau davancer.
Trouver une organisation performante
Le problème de la précision dimensionnelle des produits est dimportance, et implique lutilisation de presses à blocs, de rectifieuses performantes. Elles existent sur le marché et ont tout un potentiel de progrès. La maçonnerie à joints minces implique, par ailleurs, du calepinage des murs sur les plans de larchitecte jusquà la pose par le maçon, en passant par lorganisation de la production (avec les inévitables éléments spéciaux), du colisage, des livraisons, du contrôle de qualité, du stockage, de la manutention, une logistique élaborée. Cest changer les pratiques de la conception et de la conduite des travaux.
Quant au travail du maçon, il évolue sensiblement : nouveaux outils dapplication, pelle crantée pour les blocs, rouleau pour les briques. Et lon nest pas au bout des perfectionnements possibles : mise en uvre de quatre fois moins de matériau de joint, moins pénible et plus propre; plus grande rapidité dexécution et facilité de réglage. Le mortier-colle est certes un matériau cher; il faut rectifier les briques. Ainsi, malgré le gain de temps de pose, les nouvelles pratiques ne sont pas encore rodées et ne laissent pas encore apparaître leur économie potentielle.
Les pistes pour lavenir
La vitesse de développement de cette nouvelle technique dépendra de la capacité des industriels à fournir aux entreprises des matériaux élaborés et compétitifs, de la résistance du milieu des maçons à sadapter aux nouveaux modes de mise en uvre, et donc des efforts de formation des entreprises, notamment à partir des jeunes. Les responsables des professions, qui, dès le début de la démarche se sont fortement impliqués, y sont sensibles, et leurs efforts de diffusion conséquents.
En 1997, parallèlement à la poursuite des recherches, il serait souhaitable que se constituent des équipes fabricants de matériels-entreprises, pour améliorer les outils de manutention sur chantier des produits, et peut-être en inventer de nouveaux, plus adaptés à la nature de ceux-ci, et à lergonomie de la pose.
Quand ce maillon faible sera consolidé, nul doute que lavenir, déjà ouvert aux " nouveaux maçons ", devrait être prometteur...