ENTRETIEN AVEC JEAN-LUC SALAGNAC ET BERNARD BLACHE

Jean-Luc Salagnac et Bernard Blache, ingénieurs au CSTB, ont suivi et évalué les REX de Beuzeville et Gisors. Ils estiment qu'une mise au point plus rationalisée du matériel est la condition indispensable au bon fonctionnement du binôme expérimentation-avancement du chantier.

"Le problème posé est de maîtriser à la fois la régularité de fabrication et les variations de débit du chantier "

CHANTIERS 2000 : Quelle était l'origine de la REX portant sur la centrale à béton autonome CENTAURE I?

Jean-Luc Salagnac: Le développement des centrales CENTAURE s'inscrit dans le contexte économique de la production de béton. La position économique forte des fournisseurs de BPE a conduit des entreprises du groupe Bouygues à réagir pour peser sur les coûts de fourniture du béton aux chantiers. Une première réaction a été la constitution d'un réseau parallèle d'unités de production de BPE, de manière à introduire une concurrence vis à vis des réseaux en place. Après avoir eu des effets jugés suffisants, cette action a été arrêtée et relayée par le développement des centrales CENTAURE. Il existait déjà sur le marché un certain nombre de centrales faciles à transporter et à mettre en oeuvre, mais avec des capacités de production plus importantes. CENTAURE I est donc destinée à concurrencer le BPE, sur des chantiers de 40 ou 50 logements pour lesquels les autres centrales mobiles sont certainement sur-dimensionnées. Son concept original réside dans le fait qu'elle est transportable au gabarit routier, avec un seul camion, et facile à mettre en oeuvre. Elle est de conception classique, avec des silos qui voyagent à l'horizontale mais qu'il faut redresser sur chantier et un malaxeur.

L'expérimentation a t-elle été satisfaisante en termes techniques et économiques?

Bernard Blache: Du point de vue économique, CENTAURE I n'a pas été pleinement concluante. L'entreprise pense que c'est parce que son système est apparu comme concurrent au BPE et, que de ce fait, les fournisseurs ont baissé leurs prix pour contrer la démarche. Il faut reconnaitre qu'il y eu un pourcentage plus important que prévu de fournitures par l'intermédiaire du réseau BPE.

Etait-ce dû à une mauvaise appréciation de départ par rapport aux possibilités de la centrale?

BB: Il y a eu des problèmes de mise au point qui ont nécessité l'apport de béton prêt à l'emploi. Il me semble tout de même que les hommes de chantier ont recouru, plus que nécessaire, au BPE du fait de son faible coût et de l'accès aisé au site.

JLS: Je pense qu'il y a également un autre élément. Un des arguments en faveur du BPE est qu'il est élaboré dans des conditions normalement maîtrisées de fabrication. Il doit en résulter une certaine garantie de régularité de la qualité. Ce service a un prix. Le discours de l'entreprise est de mettre en doute la validité de cet argument. Aussi CENTAURE I devait prouver que le chantier était capable de faire aussi bien - sinon mieux - que le BPE. Je ne suis pas certain qu'elle y soit arrivée.

Le rapport du CSTB ne faisait-il pas état de la difficulté à vérifier la qualité du béton par rapport au BPE qui est facilement contrôlable en laboratoire?

BB: Absolument. Il y a effectivement eu des problèmes du fait que les contrôles ont été effectués a posteriori, dans un laboratoire éloigné, ce qui a engendré un fort décalage entre les résultats des vérifications et la nécessité d'intervention sur la machine.

Quel était le degré d'automatisation de CENTAURE I?

BB: CENTAURE I était munie d'un automate programmable qui nous a été annoncé, durant l'expérimentation, comme fonctionnant bien. Après le chantier, l'entreprise est revenue sur cette position en affirmant que la centrale avait besoin d'être améliorée, d'où l'évolution CENTAURE II. D'autres problèmes se sont greffés : en particulier le fournisseur de la centrale qui a déposé son bilan. Toutefois, nous n'avons pas réussi à obtenir suffisamment de résultats pour pouvoir comparer objectivement la qualité du béton fourni par cette centrale par rapport à celle du BPE.

Vous avez évoqué des problèmes de mise au point.pour CENTAURE I. Est-ce qu'ils ont été résolus sur CENTAURE II?

JLS et BB: Fondamentalement, les problèmes rencontrés sont les mêmes: la régularité de fabrication n'est pas acquise et il est toujours nécessaire de recourir au réseau BPE lors des défaillances techniques de la centrale ou lorsque le débit de béton demandé par le chantier dépasse notoirement celui de la centrale CENTAURE. Les problèmes de régularité de production du béton sont liés à une mauvaise maîtrise des taux d'humidité des sables et des graviers.Ce n'est pas un problème nouveau, mais on pourrait espérer qu'il fasse l'objet d'une attention particulière dans le cadre du développement d'un engin nouveau grâce, en particulier, à une mise au point antérieure au chantier. Or, ce n'est pas le cas. La centrale CENTAURE II a été livrée neuve sur le chantier de Gisors et sa mise au point s'est effectuée en même temps qu'elle démarrait sa carrière en temps qu'outil de production. Il s'agit là de méthodes très "bâtiment" sur lesquelles il y a réellement lieu de s'interroger. Le chantier est certes un excellent lieu d'expérimentation, mais à force de mélanger les aspects "pilote" (au sens industriel du terme) et conditions de production opérationnelle, il devient difficile de tirer des enseignements clairs. On part d'un fond d'hypothèses implicites en espérant que ça va marcher, sans véritablement prendre en compte la possibilité d'une erreur de départ. Même s'il est exact que les partenaires ont les compétences requises, les problèmes subsistent parce que, s'ils sont identifiés et que des solutions sont imaginées, le cycle de production du chantier ne veut pas être perturbé par la mise au point du matériel. C'est une règle réputée intangible.

Peut-on dire de même pour le béton ECO2?

Cette lacune méthodologique se retrouve également dans le cas du béton ECO2. Le manque de maîtrise des conditions de fabrication de ce béton, qui aurait sans doute été obtenue par des essais préalables prolongés, a conduit à quelques déboires sur chantier. Certes, les caractéristiques mécaniques semblent satisfaisantes (encore n'en a-t-on été informé que lorsque le chantier était déjà bien avancé), mais les qualités de parements sont loin d'être satisfaites. Quant au coût, il devrait se situer au niveau de celui du BPE. Il faut toutefois relever qu'au cours de l'expérimentation CENTAURE II, l'équipe a franchi un pas par rapport à CENTAURE I en incorporant le grutier dans le cycle de production du béton. C'est lui qui déclenche avec le temps de cycle nécessaire, en fonction du type d'ouvrage qu'il est en train de couler, la production du béton.

Du point de vue des entreprises, quels vont être les critères de choix qui vont jouer en faveur de l'utilisation d'une centrale par rapport au BPE?

JLS: Lorsque j'ai moi même posé cette question, il m'a été répondu qu'il n'existait pas de vraie réponse, que ça dépendrait à un moment donné des moyens de production disponibles. Il n'y a pas véritablement d'argument fort qui milite en faveur de cette technologie, si ce n'est les contraintes d'accès et d'espace sur des petits chantiers.

A t-on atteint un plafond en matière de qualité du béton?

BB: D'une manière générale, le problème avec le béton c'est celui de la régularité des composants. Or, cette régularité fait elle-même l'objet d'une recherche constante; elle n'est absolument pas garantie. Lorsqu'un changement survient sur la qualité du ciment, celle du béton s'en ressent et, donc, la qualité de l'ouvrage. Sur la REX ECO2, le préalable indispensable pour pouvoir utiliser les cendres volantes aurait été de vérifier la régularité de leur composition. Comment voulez-vous que le bétonneur obtienne un résultat de qualité si, à chaque livraison, la composition des cendres est différente?