ENTRETIEN AVEC SERGE N'GUYEN

CHANTIERS 2000 : La REX de Gières s'est faite à partir d'une ossature poteaux-poutres acier avec dalles en béton associés à des produits industriels. Qu'est-ce qui a déterminé ce choix?

Serge N'Guyen: Cette opération était la dernière tranche d'un programme de 330 logements et se situait en site habité. Il fallait donc que nous puissions la réaliser dans de bonnes conditions environnementales. Lorsque nous avons réfléchi au problème, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait fabriquer à l'extérieur ce qui se faisait habituellement sur le chantier, sans savoir quelle solution nous allions retenir. Nous avons naturellement évolué vers les produits secs, au maniement facile, plutôt que sur des produits lourds qui auraient nécessité des engins encombrants. La seconde condition était de construire rapidement, d'une part à cause de la gêne occasionnée aux habitants et d'autre part parce que les contraintes financières et d'instruction de dossier font qu'on ne maîtrise pas les délais. Comme nous avions une échéance pour la rentrée scolaire de Septembre 1994, nous avons opté pour la filière acier qui, en raison d'une préparation de chantier importante et une structure facile à monter, permettait de répondre à ces impératifs de délais.

En tant que maître d'ouvrage, était-ce une première expérience ou aviez-vous déjà travaillé sur ce type de système constructif?

SNG: C'était une première expérience dans le logement et je dois avouer que je ne sais pas si j'aurais opté pour cette solution si ça avait été du logement familial. J'ai eu moins d'états d'âme avec du logement étudiant qui représente une population de transit. La prise en compte des souhaits des locataires ne peut se faire que dans la mesure où on est certain que le produit, même s'il présente certains défauts, pourra s'améliorer dans le temps. Or, avec la filière sèche, je n'aurais pas été certain de pouvoir les résoudre de façon suffisante à terme et il m'aurait fallu beaucoup plus de garanties. Pour faire du logement étudiant, nous avons raisonné de façon extrêmement théorique en tablant sur le fait que nous pouvions obtenir un très bon résultat. Ca s'est avéré être le bon choix.

Vous aviez donc des doutes quant aux performances de cette solution technique?

SNG: Je n'avais pas de réticences sur le matériau lui-même, l'acier est connu depuis longtemps, mais par rapport aux normes actuelles auxquelles je n'étais pas certain de pouvoir répondre. J'avais aussi une certaine inquiétude relative au problème de la sécurité-incendie. D'autre part, je ne suis pas certain qu'on ait, en France, l'"éducation" pour accepter l'acier dans du logement.

Il existe tout de même un certain nombre de réalisations de logements de ce type en France. Du point de vue des normes acoustiques, thermiques et de sécurité au feu, la filière sèche semble présenter des performances égales sinon supérieure à celles du béton.

SNG: Sans doute, si on met en œuvre toutes les précautions qui s'imposent. L'acier permet en tout cas une souplesse au niveau de la conception qui est plus intéressante que le béton. L'acier et le béton sont très complémentaires et c'est dans cette voie qu'il faudrait s'orienter plutôt que sur une filière complètement sèche. La possibilité de pouvoir marier des produits industriels de différentes natures me semble intéressante mais je me demande si l'aspect que nous obtenons sur ce type de bâtiment est susceptible de s'insérer dans l'architecture de l'habitat.

On retombe toujours dans l'argument de l'attachement à la pierre...

SNG: C'est vrai qu'on essaie toujours de donner aux locataires l'impression que leur logement est traditionnel afin de satisfaire leur propre expression culturelle. Dans le passé, je me suis intéressé au concept de la maison évolutive, qui était en filière sèche et évoluait dans le temps en fonction de la cellule familiale, pour lequel nous n'avons pas réussi à toucher le grand public. Or, le PLA c'est le grand public et nous ne pouvons pas le heurter.

L'utilisation de la filière sèche, c'est aussi la possibilité d'une grande diversité architecturale de façade. On peut donc imaginer des réalisations qui s'insèrent parfaitement dans des cadres traditionnels.

SNG: Il ne faut pas rêver. Il est évident qu'on ne renouvellera pas en habitat classique des opérations du type de Gières. Mais on essaiera certainement de marier un certain nombre de produits qui permettront une transition beaucoup plus souple de la filière sèche vers la construction traditionnelle. Par contre, je crois qu'il serait souhaitable de montrer l'acier de façon à ce qu'on puisse se rendre compte qu'il est utilisé dans de bonnes conditions, aussi bien sur le plan technique que celui de la sécurité.

Les architectes qui travaillent en filière sèche affirment que l'aspect visuel ne heurte pas les locataires. Par ailleurs, les performances acoustiques font l'unanimité.

SNG: En tant que maître d'ouvrage, les logements sur lesquels on montre trop la structure industrielle me choquent. Ils ressemblent à des usines aménagées. Le mariage de la tôle acier de type ondulé avec toutes les fixations visibles et très marquées, avec des câbles tendus me font un drôle d'effet. Je ne voudrais pas, au travers des ouvrages que je mets à disposition des locataires, les heurter de la même façon. Quant aux performances acoustiques, il est exact qu'elles sont bien supérieures à ce qu'on trouve en construction traditionnelle.

Pour un maître d'ouvrage, la manière de travailler sur ce type de filière est-elle la même que dans la construction traditionnelle?

SNG: On travaille d'une manière tout à fait différente. En construction traditionnelle, nous n'avons des relations qu'avec l'entrepreneur avec qui nous passons l'acte d'engagement et l'architecte du projet. On se soucie peu de la provenance des différents matériaux. Ce qui nous intéresse, ce sont les performances que nous matérialisons au travers de nos pièces écrites. En filière sèche, le travail est différent tant avec les bureaux d'études qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques qu'avec les industriels avec qui nous initions des discussions. De ce point de vue, c'est une bonne évolution car les industriels n'ont habituellement presque aucune relation avec les maîtres d'ouvrage. Il m'a semblé que sur l'opération de Gières, ils étaient satisfaits de pouvoir dialoguer avec nous sur leurs produits.

Dans ce type de filière, l'architecte paraît occuper une position plus centrale. En tant que maître d'ouvrage, comment le ressentez-vous?

SNG: Le problème, c'est qu'actuellement, compte tenu de la situation économique, nous avons des bureaux d'architectes de plus en plus déstructurés. Il faut donc, très souvent, qu'il y ait une forte compréhension entre le bureau d'études que le maître d'ouvrage va désigner et l'architecte qui devra tenir compte des données qui lui sont fournies pour mener à bien son projet. Il faut que l'architecte puisse admettre la contestation, la remise en question de son projet ou l’adaptation de celui-ci à un certain nombre de techniques. Il n'est pas possible qu'il imagine être le seul auteur du projet et qu'il supporte la totalité de la conception.

L'opération de Gières ne semble pas avoir été rentable pour tous les intervenants.

SNG: Notre rôle de maître d'ouvrage est très clair. Nous avons un projet qui doit passer dans les objectifs de prix que nous nous sommes fixés. Le prix d'objectif de Gières a été atteint. Il n'y a pas sur cette opération une seule entreprise qui m'ait dit avoir perdu de l'argent et beaucoup d'entre elles ont déclaré que leur marge avait été supérieure à celle d’une opération traditionnelle. Nous avions même passé un contrat moral avec elles au travers duquel nous souhaitions que le bénéfice d'une telle opération revienne aux entreprises à partir du moment où notre objectif financier était atteint.

Une deuxième tranche de logements étudiant vient d'être réalisée - en béton - sur le même site. Pourquoi cette solution plutôt que celle utilisée lors de la REX?

SNG: Je ne voulais pas faire une comparaison sur les coûts. Il est évident que le béton coûte moins cher que l'acier. Ce qui m'intéressait, c'était de faire une comparaison avec une opération traditionnelle dans les mêmes conditions, avec les mêmes délais de fabrication et les mêmes performances. Je tenais à mesurer le risque que nous aurions pris si nous avions lancé les 150 premiers logements dans des conditions traditionnelles. Nous avons donc décidé de le faire sur cette dernière tranche de 50 logements, qui était à plus petite échelle, pour minimiser le risque. Je n'ai pas encore un état précis du résultat. Ce que je peux dire, c'est que les délais sont respectés, que l'environnement a beaucoup plus souffert que lors de la REX mais que le fini du bâtiment est le même. Nous n'avons pas encore pu mesurer les performances techniques.

De ce point de vue, les acteurs ont-ils tenté de reproduire une organisation de chantier telle qu'elle avait été définie lors de la REX?

SNG: Non. J'ai demandé à ce qu'il y ait une organisation tout à fait classique de chantier. Les entreprises ont appliqué leur propre logistique en s'insérant dans le planning général qui avait été défini. L'entreprise générale, elle, a appliqué la même démarche que lors de la REX. Par contre, les colisages et les approvisionnements n'ont pu se faire de la même façon du fait de la centrale à béton qui occupait le site.

Comme vous avez évacué le problème du coût et que pour le reste les résultats sont comparables, est-ce que ça veut dire que si vous aviez à choisir, vous opteriez pour une solution béton?

SNG: Cela dépendra de l'entreprise que nous choisirons. Si nous avons affaire à une entreprise très structurée, je choisirai une solution à base de produits industriels. Dans le cas d'une entreprise plus traditionnelle, je choisirai une solution béton avec des règles très précises. Je ne veux pas être trop sélectif, chaque entreprise possède ses traditions et sa façon de faire. C'est important et ça permet d'avoir une multitude d'approches face au chantier.