ENTRETIEN AVEC MARC LANDOWSKI

CHANTIERS 2000 : En quoi consiste la démarche "filière sèche" et quel est son but?

Marc Landowski: La démarche consiste à essayer de transformer complètement le chantier de manière à ce que même le mot "chantier" n'existe plus. Elle vise à changer ce site en chaîne de montage par importation des matériaux de l'industrie dans les meilleures conditions de qualité, puis les faire monter sur place par un personnel qualifié. Un bâtiment doit remplir un certain nombre de fonctions qui sont traditionnellement plus ou moins bien remplies par le béton, tant sur le plan horizontal, vertical, de l'étanchéité, de la façade, de la portée... Notre vision des choses, c'est que chaque matériau puisse être employé pour ses caractéristiques et performances propres, d'où le terme de filière composite. D'autre part, le système offre la possibilité de faire évoluer le bâtiment; les maîtres d'ouvrage le demandent de plus en plus. Le plancher composite interactif sec, que nous allons expérimenter à Saint-Martin d'Hères, permettra de "boucler" la filière et de disposer d'un système complètement sec. La seule inconnue qui réside encore c'est le vécu, car on ne peut pas le mesurer. Comment va t-on, par exemple, appréhender un sol sans poids? L'expérimentation devrait permettre de vérifier différentes hypothèses.

Peut-on imaginer une filière mixte béton-acier?

ML: C'est effectivement possible mais, à mon sens, dans des cas particuliers. Je préfère l'éviter, les expériences précédentes n'ayant pas été très heureuses. Nous nous retrouvons dans des logiques d'organisation de chantier antagonistes qui ne facilitent pas une bonne synergie.

Quelles sont les principales difficultés techniques du système?

ML: Elles se situent essentiellement au niveau des jonctions. Les assemblages sont délicats à réaliser et demandent le maximum de précision dans les dessins. Les matériaux eux-mêmes sont très performants, mais toute la difficulté réside dans leur cohabitation.

Quels sont les facteurs de résistance à l'utilisation de ce type de construction en France? N'est-ce pas dans la compétence du système d'acteurs que se situent les problèmes?

ML: Il ne me semble pas que ce soit le problème des compétences qui se pose. Ce qui manque, c'est l'expérience. Les professionnels n'osent pas parce qu'ils ne savent pas si ce sont des méthodes qui, dans le temps, sont crédibles. A titre d'exemple, nous avons été invités par la SNCF à propos de la construction de la dalle qui va recouvrir les voies sur la gare d'Austerlitz. Ils avaient commencé par concevoir un radier de 5 mètres d'épaisseur sur lequel ils pensaient pouvoir reprendre la charge d'un certain nombre de bâtiments dont ils ne connaissent pas la localisation. Entre les contraintes liées aux voies qui sont en infrastructure et les contraintes qui sont au-dessus et qu'ils ne maîtrisent pas, il y avait cette chape de 5 mètres qui, techniquement, était infaisable ou qui, s'ils y étaient arrivés, aurait été d'un coût démentiel. Nous leur avons proposé des solutions dont ils n'avaient pas idée ou dont ils n'avaient pas l'expérience et qu'ils n'avaient pas, par conséquent, imaginées. Ils ont donc découvert une nouvelle façon de faire. En matière de logement, il est vrai que nous rencontrons des résistances au niveau des maîtres d'ouvrage. Il y a, à ce niveau, un problème politique et un problème d'image. Sur le plan local, certains maîtres d'ouvrage se demandent comment ce type de construction sera ressenti. Ils ont peur de s'attirer les foudres de la population ou de la municipalité. De plus, Il y a une confusion dans le langage avec l'acier. Pour la plupart des maîtres d'ouvrage, construire en acier c'est bâtir avec de l'acier en façade. Il faut remettre les choses à leur place: construire en acier ne veut pas dire mettre un bardage ou une tôle pré-laquée sur la façade. L'intérêt est organique, il est dans la composition de l'immeuble et non dans le parement façade pour lequel il existe toutes sortes de possibilités.

L'architecte occupe-t-il une position plus centrale dans ce type de construction? N'est-ce pas une source de conflit?

ML: Pour l'architecte c'est une manière de redonner de la valeur à son métier. Depuis la guerre et jusqu'à ces dernières années, ils s'étaient laissé aller à la facilité et avaient délégué à certains bureaux d'études et aux entreprises le soin de faire. Ils dessinaient en gros le projet, aux autres de se salir les mains en dessinant les détails de construction. La démarche de la filière composite, c'est une manière de récupérer, par la technologie, le pouvoir de la détermination dans la définition de la construction. L'architecte n'est plus un décorateur de façade mais redevient le chirurgien de base du corps du bâtiment. Les entreprises peuvent trouver des variantes au projet, mais à partir de solutions précises qu'il a défini. Il n'y a pas d'"aventure", chaque chose est claire, tout est identifié et ça ne crée pas systématiquement de problème avec l'entreprise. A partir du moment où l'architecte remet un dossier précis, l'entreprise peut chiffrer de manière précise et l'on évite les surprises.

Les industriels doivent-ils être associés aux études de l'ouvrage?

ML: Absolument. Ils doivent être associés aux études afin de pouvoir, en phase chantier, envoyer des spécialistes "pointus". C'est au bénéfice du chantier parce que le fabricant voit comment son produit est mis en œuvre et c’est intéressant pour le fabricant lui-même parce que ça peut l'appeler à modifier son produit quand des difficultés apparaissent. Lorsqu'il reste en usine, il ne connaît pas les difficultés qui sont liées à la mise en œuvre de son produit. C'est donc pédagogiquement très bénéfique, et pour lui et pour les autres intervenants, qu'il soit présent sur le chantier.

La solution composite est-elle performante du point de vue des prix? Là aussi les opinions divergent.

ML: Les prix sont les mêmes. Nous nous sommes trouvés dans deux cas de figure où les clients étaient d'accord pour passer en filière composite mais étaient tout de même inquiets sur ce point. Ils nous ont fait faire un appel d'offre " béton " pour être absolument rassurés qu'en cas de surprise désagréable en structure poteaux-poutres acier, on puisse se rabattre sur une solution traditionnelle. Il s'est avéré que, dans les deux cas, la filière composite a été choisie. A titre d'exemple, à Boulogne, dans le cadre d'un appel d'offre concurrentiel " béton ", nous nous sommes aperçus que le poids d'acier dans le béton était équivalent au poids de la charpente. Il est facile de se rendre compte pourquoi c'est le même prix. Il n'est pas vrai, par exemple, qu'un plancher en bac collaborant soit plus cher qu'une dalle béton. Cela tient aussi au mode de formation des prix des entreprises. Ce qui vaut pour une ne vaut pas pour toutes. Un grand nombre de facteurs entre en compte dans leur détermination et il n'est pas possible de généraliser et d'affirmer que la filière composite coûte plus cher sur des cas ponctuels.

Que pensent les utilisateurs de vos réalisations?

ML: La réponse est toujours la même, "on n'entend rien". Je pensais que les utilisateurs feraient des remarques sur l'architecture, mais il s'avère que ça vient très loin derrière. La performance acoustique est un des intérêts majeurs, parmi d'autres, de cette filière, du point de vue des usagers.