ENTRETIEN AVEC MICHEL BARDOU

Selon Michel Bardou, chef du service Méthodes chez Bouygues Bâtiment, la réussite de la banche B96 tient à la philosophie qui a animé sa conception : celle d'une logique d'utilisateur.

" Toute innovation technique doit être organisante ou, tout au moins, diminuer le besoin en organisation "

La mise au point de la banche B96 résulte d'une démarche longue et progressive qui a mobilisé tous les échelons hiérarchiques de l'entreprise. Quelle est son origine?

Michel Bardou : Elle résulte d'une série d'enquêtes et de chrono-analyses entreprises sur l'initiative de la Direction Générale afin d'identifier précisément les points de dysfonctionnements et cerner les gisements de productivité dans le travail des compagnons. Nous avions plus particulièrement relevé qu'autant les opérations de décoffrage et de manutention des banches, qui s'opèrent le matin, se déroulaient facilement, autant la phase de fermeture, qui coïncide avec le bétonnage des planchers l'après-midi, obligeait à un partage de la grue entre les équipes de verticaux et d'horizontaux. Ce partage, générateur de tensions et de temps improductifs, se traduisait également en heures supplémentaires de travail pour les compagnons. Une observation plus approfondie du travail des verticaux a alors montré les problèmes liés aux conditions de travail des coffreurs : postures de travail, poids de certaines pièces ou déplacements improductifs des compagnons pour aller chercher des outils.

Cette banche a donc été conçue suivant une logique " utilisateur ". Sur quels points apporte-t-elle un meilleur confort de travail pour les compagnons?

M.B : L'innovation la plus " spectaculaire " réside dans le dispositif de roulage qui permet aux compagnons de fermer la banche sans effort et, presque dans tous les cas, sans recourir à la barre à mine. Mais on peut également citer la diminution de poids des éléments manutentionnés à la main, tels les abouts, le rangement intégré pour tous les éléments de la banche et l'outillage, la suppression de l'utilisation du marteau pour l'accouplement et le serrage des tiges ou la hauteur et le mode d'utilisation de ces tiges. Toutes ces innovations ont été pensées dans un souci de réduction, voire de suppression, des risques de pathologie lombaire qui restent très importants avec les coffrages traditionnels. Mais nous avons également mené une réflexion en matière de sécurité, et notamment au travers de la création d'un garde-corps face coffrante qui, outre sa fiabilité (principe d'axe rotatif qui se substitue au principe de coulissement), interdit l'accrochage des élingues de levage sur la banche si le garde-corps n'est pas en position " protection ". Cela oblige donc les compagnons à le mettre en place.

L'introduction de la banche B96 sur le chantier s'accompagne-t-elle d'une organisation spécifique?

M.B : Cette banche a été conçue dans un souci d'amélioration de la fluidité de l'organisation. Comme je l'avais souligné lors du colloque " Innover ensemble ", toute innovation technique doit être organisante ou, tout au moins, diminuer le besoin en organisation. Par exemple, le système de roulage, qui permet de fermer la banche sans recourir à la grue, nous affranchit du besoin de synchronisation entre les verticaux, les horizontaux et la grue. Ou bien l'utilisation de rehausses manuportables légères qui se substituent aux sous-hausses. La mise en place de ces sous-hausses étant une opération effectuée par des spécialistes extérieurs et qui monopolise la banche et la grue, créant ainsi des perturbations dans l'organisation.

La fluidité de l'organisation, c'est l'obtention de plus de souplesse dans le processus de production de manière à amener les équipes à pouvoir s'autoréguler. Il s'agit d'éviter les crêtes et les trous dans la journée de travail en cassant les chemins critiques engendrés par les aléas, par exemple en dégageant du temps de grue supplémentaire. A Bagnolet, nous avons aussi testé une organisation plus spécifique, en décalant la prise d'heure du travail entre les équipes d'horizontaux et celle des verticaux. Ce qui permet aux équipes de travailler de manière plus indépendante et, surtout, de ne plus recourir à la grue au même moment. Cela se répercute également sur le chef d'équipe qui anticipe mieux les tâches à venir, dans la mesure où il n'a plus à gérer des situations de tensions entre les équipes pour le partage de la grue. D'où un étalement des tâches mieux réparti sur l'ensemble de la journée et une élimination des heures supplémentaires de travail pour les compagnons.
Mais l'introduction d'une innovation forte est aussi l'occasion de faire évoluer l'organisation de manière plus générale. Par exemple, la distribution du plan de cycle journalier aux compagnons et au grutier leur permet en cas d'aléas, par exemple une toupie en retard, d'anticiper leur travail du lendemain. Depuis Bagnolet, nous tendons à systématiser cette procédure qui, même avec des banches traditionnelles, donne d'excellents résultats en termes d'accroissement d'autonomie, de responsabilisation des compagnons et de diminution des heures supplémentaires de travail.
La banche B96 nous a également permis d'introduire des changements d'habitude plus à la marge, tel le nettoyage quotidien du coffrage. Si cette mesure n'est pas toujours bien perçue par le chantier, elle induit en revanche des conséquences très positives sur la durée de vie du coffrage. Nous constatons, qu'à l'heure actuelle, la banche B96 transite directement d'un chantier à l'autre, sans retourner au service " matériel ".

Vous ne vous êtes pas associé en amont à un industriel pour concevoir cette banche. Pourquoi?

M.B : Parce que justement nous désirions concevoir un coffrage axé sur les besoins des utilisateurs. La difficulté avec les industriels est qu'ils ne bénéficient pas de la part du chantier d'un retour d'expérience suffisamment " pointu " pour s'inscrire dans cette logique. Ils nous proposent des outils qui ne nous laissent que très peu de latitude en terme de modifications techniques et dont les options techniques même, prennent mal en compte les besoins organisationnels du chantier. A l'inverse, être amenés à élaborer les plans d'exécution du coffrage signifiait, pour nous, entrer dans le travail des compagnons jusque dans le détail. Cette intégration du détail se traduit par des apports plus " discrets ", comme les goupilles imperdables, mais qui contribuent également à réduire les " improductifs ". De même, pouvoir bénéficier du savoir-faire de notre service matériel a permis d'obtenir de cette banche qu'elle soit entièrement colisable.
Dans cette démarche B96, l'industriel n'intervient qu'à partir de la phase de fabrication. Et, au vu des cadences actuelle de production actuelles, nous pensons pouvoir équiper 50% des chantiers de Bouygues Habitat dès 1999.