ENTRETIEN AVEC PATRICK PINCEMAILLE ET JEAN-PIERRE LE CARRER
Deux architectes sur ces opérations : Patrick Pincemaille pour la définition et le suivi de la supra séquence logistique et Jean-Pierre Le Carrer pour la conception architecturale. Un constat essentiel selon Patrick Pincemaille : la nécessité dune logistique adaptée à chaque séquence de travail. Pour Jean-Pierre Le Carrer, le répétitivité des pratiques, sur deux chantiers successifs, a permis doptimiser de manière significative la qualité des interventions.
" La solution consiste, à partir dune tâche précise, à définir les besoins logistiques qui sy rattachent "
Chantiers 2000 : Quels étaient les objectifs de lexpérimentation?
Patrick Pincemaille : Premier objectif : la définition et la mise en place, par un acteur extérieur au chantier, dune supra-séquence logistique destinée à couvrir toutes les séquences afin dapporter une cohérence à lensemble. La méthode employée a consisté à extraire et à répertorier les tâches logistiques à partir des lots, des CCAG et des CCAP puis, à les regrouper suivant des ensembles de tâches liées à des entreprises différentes. Second objectif : définir des outils logistiques communs à tous les acteurs, à partir dune grille danalyse des besoins répertoriés. Très rapidement, nous avons dû corriger cette approche du fait que, lors des réunions préparatoires, les entreprises refusaient la mise en commun de certains équipements comme les échafaudages. Ce refus était dailleurs justifié dans la mesure où la nature différente des tâches nécessitait un échafaudage qui lui soit spécifique. Seconde remise en question : la grue. Il nous est en effet apparu ingérable dintégrer un budget-grue de cinq mille francs par mois pour un chantier de dix maisons individuelles dune durée de sept mois. Cette impasse financière sest avérée très positive; elle a permis dopérer un changement de perspective dans notre réflexion : nous sommes passés dun stade de logistique commune à toutes les séquences à un stade de logistique propre à chacune dentre elles. Résultat : nous avons constaté que les besoins en matériels de levage étaient différents pour chaque entreprise et ne justifiaient pas lemploi dun grue pour toute la durée du chantier. Une difficulté : la réticence des entreprises à exprimer leurs besoins de peur dêtre dessaisies dune partie de leur savoir. Ce problème a disparu à partir de la dévolution du lot logistique à lentreprise de gros uvre qui a pu, sur le terrain, entreprendre une analyse beaucoup plus fine des besoins.
Il semble que le lot logistique ait échu " par défaut " à lentreprise de gros uvre. A quoi cela tient-il?
P.P : Avant lappel doffres, nous avions tenté destimer ce que pouvait représenter la logistique de chantier en terme de coûts. A cet égard, les réunions préliminaires avec les entreprises ne nous avaient pas permis détablir un chiffrage précis, celles-ci estimant que la logistique était intégrée dans leur prestation et " ne coûtait rien ". Le dépassement constaté lors du dépouillement des plis est consécutif à cette demande de formalisation des coûts logistiques. Comme les entreprises ne savent pas chiffrer, elles surestiment le montant de leur prestation. Un détail intéressant : à cette occasion, nous nous sommes aussi rendu compte quautant en matière de matériaux les entreprises négociaient pied à pied avec leurs fournisseurs, autant en matière de location de matériel aucune formalisation contractuelle nexistait. Nous avons donc décidé de créer un lot logistique, chiffré point par point, que lentreprise de gros uvre a pris en charge.
La lecture des comptes-rendus relatifs aux réunions de préparation de chantier donne limpression que les entreprises ont demblée adhéré à la démarche séquentielle mais pas à la logistique.
P.P : Dabord un constat : nous nous étions calés sur trois réunions collectives de préparation qui se sont révélées insuffisantes. En outre, ces réunions se sont focalisées sur un problème de pré-cadres avec lentreprise de menuiserie. Conséquence : nous avons beaucoup abordé le séquentiel et, faute de temps, peu la logistique. Nous avons plutôt traité cette dernière de manière informelle, au fur et à mesure de lémergence des problèmes sur le chantier. Nous aurions dû abordé ces réunions différemment : la première pour définir des principes généraux puis des réunions successives avec les acteurs de chacune des séquences pour entrer dans le détail des interventions.
Vous aviez défini la supra-séquence logistique dans le cadre dun monitorat indépendant de la maîtrise duvre. Pourquoi?
P.P : Parce quun moniteur logistique est un acteur qui ne doit pas être rattaché au chantier. Lorsquon agit en tant que maître duvre, on ne possède pas toujours le recul nécessaire pour faire face aux problèmes. Un second avantage : comme je nétais pas directement impliqué dans le chantier, la remontée dinformations, depuis les entreprises, sest beaucoup mieux passée.
Vous rajoutez encore un acteur dans une chaîne qui semble déjà bien chargée. La maîtrise douvrage peut-elle le financer?
P.P : Cela peut sembler difficile dans la mesure où le maître douvrage supporte déjà la mission de maîtrise duvre et larrivée dun nouvel acteur sur le chantier: le coordonnateur santé-sécurité. Ceci étant, les dimensions logistique et santé-sécurité sont étroitement liées. Réfléchir sur la logistique, cest résoudre implicitement la majeure partie des problèmes de sécurité sur les chantiers.
Les architectes détiennent-ils cette connaissance logistique pour assurer ce type de mission?
P.P : Cest un véritable problème. La tendance actuelle, au sein des cabinets darchitecture, est de sous-traiter à des ingénieurs, des métreurs ou des économistes du Bâtiment leur mission de chantier. Cette perte de la culture " chantier " pose par ailleurs une autre question : comment les architectes peuvent-ils continuer à concevoir si le retour chantier, tant du point de vue des matériaux que de leur mise en uvre, ne seffectue pas? Un second problème encore plus grave : la sous-traitance des descriptifs. Comment voulez-vous quun projet, où il y a à la fois sous-traitance du descriptif et de la mission chantier, à des acteurs différents, ne génère pas des incohérences? Conséquence : les maîtres douvrage sont de plus en plus exaspérés par la récurrence des problèmes auxquels ils ont a faire face, ne serait-ce que sur linadaptation des matériaux utilisés. Enfin, un dernier point : nous établissons des descriptifs qui, me semble-t-il, sont difficilement compréhensibles à nos interlocuteurs. Les descriptifs synthétisent une somme dinformations qui sont plus destinées à faire valoir les connaissances de larchitecte quà être de véritables outils de chantier. Or, " faire " du bon séquentiel et de la bonne logistique, cest dabord être capable de rédiger un descriptif qui prenne en compte les informations du chantier.
Vous avez uvré sur le projet en tant quarchitecte. Quelles adaptations spécifiques le processus séquentiel a-t-il induit par rapport à une opération classique?
Jean-Pierre Le Carrer : Il ma dabord fallu entreprendre une pré-analyse de développement du processus de construction, la " règle du jeu " étant que chaque entreprise bénéficiait dune intervention seule et en continu sur le chantier. Je désirais par ailleurs que lorganisation séquentielle ne moblige pas à éliminer certaines options techniques. Le travail spécifique sest alors essentiellement concentré sur des plans plus détaillés et sur la rédaction dun descriptif différent de lhabitude : intégration des corps détat, dissociation de lots traditionnels, création de la séquence ravalement... Cette mise au point plus précise na pas empêché quelques dysfonctionnements. Un exemple : après la pose du revêtement de sols, le butoir de porte a été posé trop près du mur et la porte butait contre le convecteur électrique. Cela démontre que les plans séquentiels, sur lesquels figuraient ces détails, nont pas assez été utilisés par les entreprises. On se pose dailleurs quelquefois la question de savoir de quelle manière il faudrait sy prendre pour les obliger à lire leur dossier avant daller sur le chantier. A lissue de Guengat, javais constitué un bilan relatif aux incidents qui a révélé que ceux-ci étaient essentiellement liés à un manque détudes préalable. Cétaient pourtant des incidents très faciles à éviter.
Quest-ce qui, en matière de logistique, a le mieux fonctionné et inversement?
P.P : Premier point positif : la physionomie du chantier. Les aires de stockage et de circulation ont bien été respectées dans lensemble. Sur ce point, il faut souligner limplication de lentreprise de gros uvre qui a permis datteindre ce résultat. Un second point : lutilisation des garages comme ateliers et lieux de stockage différenciés. Javais imaginé au départ un découpage par zones, avec des grandes aires, que les entreprises ont modifié de manière à obtenir des stockages de matériaux homogènes, à proximité de leur lieu dintervention, et des ateliers de découpes pour faciliter leur travail. Exemple : le plaquiste a utilisé un des garages comme lieu de stockage pour ses plaques et datelier pour ses découpes. Les plaques de doublage étaient elles stockées à lextérieur, puisquelles étaient les premières à être mises en place. Quant aux rouleaux disolation, ils étaient directement amenés dans les combles dès la livraison.
J.P.L C : Par contre, nous navons pas pu obtenir un colisage spécifique, avec différents types de plaques nécessaires pour un logement. Inversement, lentreprise de fluides a bénéficié dun colisage adapté à chaque logement que lentreprise a fortement apprécié. Un second point positif : la qualité de cette livraison bien supérieure, en terme de connexions par exemple, à ce quelle reçoit habituellement.
Lexemple des aires de stockage montre bien les limites dune logistique commune à toutes les entreprises.
P.P : En fait, les grandes aires initialement prévues pour tous nont servi quau charpentier. Cest lexemple symptomatique dune logistique globalisante, telle que je lavais définie au départ, et qui sest avérée erronée. Je pense par ailleurs que les solutions logistiques initiales étaient sur-dimensionnées par rapport à la taille de ce chantier. La bonne solution aurait consisté, à partir dune tâche précise, à définir les besoins logistiques qui sy rattachent.
Comment se sont passées les réceptions intermédiaires entre séquences?
J.P L C : Elles se sont bien déroulées à partir du moment où les délais de chaque séquence étaient respectés. A contrario, des problèmes ont surgi dès lors quil y a eu chevauchements entre corps détat, autant sur lorganisation, la gestion des interfaces...que sur la qualité de louvrage. Un constat essentiel : la progression des pratiques des entreprises, entre les chantiers de Guengat et de Ploneis, a été significative. Le principe de répétitivité a ici conduit à une évolution des comportements que le caractère prototype des opérations de construction ne permet pas habituellement. La meilleure preuve : labsence de réserves sur le chantier de Ploneis qui constituait la seconde opération de la REX.