GREMAP : LES EXIGENCES DE LINGÉNIERIE CONCOURANTE
Christophe Gobin est Directeur de la Recherche et Développement au sein de Dumez Construction. Il évoque les enjeux de lingénierie concourante et notamment la nécessité de mieux prendre en compte lusage des produits et les services rendus au client final.
" Ce que réclame lingénierie concourante, ce nest pas lacquisition dune nouvelle compétence, mais lacquisition dune nouvelle culture "
CHANTIERS 2000 : Vous êtes le mandataire du GREMAP. Pourquoi avez-vous mis en place cette démarche?
Christophe GOBIN : Il devient indispensable de proposer de nouvelles orientations à la profession du Bâtiment en fonction de la destination finale du produit. Ces nouvelles orientations doivent tendre à une meilleure prise en compte du service rendu, du besoin et de lusage. Plutôt que de continuer à justifier la faible portance du marché par une mauvaise conjoncture économique, il faudrait vérifier si les client sont satisfaits du produit mis à leur disposition. Or, je crois, que pour partie, ils ne le sont pas. Il devenait donc urgent de réfléchir sur cette notion de " service rendu " et, de ce point de vue, lingénierie concourante, explorée au travers du GREMAP, me paraît constituer un excellent vecteur à cette réflexion. Un second point : ce séminaire devait sétablir sur la base dun dialogue collectif rassemblant professionnels, chercheurs et membres du PCA afin délargir - avec du recul - le champ de réflexion au-delà des seuls intervenants habituels du bâtiment.
Les maîtres douvrage, les architectes ou les entreprises ont certainement des réponses à apporter sur ce plan. Quels sont pour vous les cas où il semble que lentreprise ait des choses à exprimer quant aux services à rendre et aux besoins à satisfaire?
C.G : Je voudrais éclaircir un point : la notion de service signifie quil faut satisfaire aux aspirations dun client par une réponse adéquate en termes de délais et de qualité, avec un bon niveau de dialogue. La compétence technique de lentreprise est insuffisante dès lors quelle ne saccompagne pas dune réflexion, avec les autres professionnels, sur le devenir de lobjet bâtiment et de son environnement. Autrement dit, le " service " passe par une meilleure coopération de tous les acteurs de la filière, y compris les petites structures. Notre réflexion concerne la manière dont chaque acteur peut apporter une réponse dans la chaîne de valeurs de lacte de construire. La concourance ne veut pas dire : " mettre tout le monde autour dune table et discuter ", car ce serait le meilleur moyen ne pas y arriver! Il sagit que chacun puisse se rendre compte que, depuis sa place, il est capable dapporter un service pour autant que tout le monde travaille en coopération et que ce service participe de luvre collective. Cest se mettre " au service de " ou, selon le terme employé dans les pays anglo-saxons, être " market oriented ". Cette perspective est négligée à lheure actuelle dans le secteur du Bâtiment parce que la logique technique demeure primordiale par rapport à la vision de lutilisateur final et de ses besoins. Il suffit dobserver les difficultés que lon connaît en France pour construire autrement quen béton banché. Cest certainement une bonne solution mais dont on a perdu les fondements : commande très forte et répétitivité dexécution. Dans les formes de marchés actuels, plus diversifiés et plus complexes, est-ce nécessaire de reconduire systématiquement la même technologie?
La technologie béton nest-elle pas " market-oriented " puisque ce sont les maîtres douvrage eux-mêmes qui demandent à utiliser cette solution?
C.G : Non. La maîtrise douvrage en France, au travers du logement social, a pris un tel poids quelle a tendance à se focaliser sur des choix qui ne reflètent pas toujours les attentes des usagers. Elle raisonne par exemple en terme de patrimoine plutôt quen fonction de la diversité des modes de vie. Ou bien elle cherche à fiabiliser le processus de production afin datteindre ses objectifs économiques ou de respecter les normes et réglementations en vigueur. De ce fait, le client " ultime " est souvent oublié au profit dune rationalisation un peu vide de sens : rationaliser, oui, mais pour faire quoi?
Les cas détudes sur lesquels sest appuyé le GREMAP montrent que cest sur lopération de logement social que lon a constaté le plus de dysfonctionnements, à la fois sur le programme et la conception architecturale. Doit-on considérer que cet exemple est symptomatique?
C.G : Une remarque : létude sur lopération de logement social, constitue, contrairement aux autres opérations étudiées, un cas " banal " dans lequel némerge aucun acteur fort. Cest pourquoi cette opération a eu à souffrir de la comparaison avec les autres cas détudes. Ceci étant, lobjectif du GREMAP était aussi de réfléchir à la production courante et, de ce point de vue, je pense que cette opération est révélatrice des dysfonctionnements " habituels " du secteur. Les logiques individuelles prennent toujours le pas sur luvre collective et créent un chaîne de problèmes, en termes de délais, de qualité, de coûts, quon ne remet même plus en question, tant ils font partie du " paysage ".
Les cas étudiés révèlent que les procédures existantes, y compris en marchés publics, ne sont pas aussi bloquantes quon pourrait limaginer. Quel est leur impact sur les nouvelles formes de gestion de projet?
C.G : Les procédures " institutionnelles " ne sont pas la source majeure des difficultés du secteur. Il est un lieu commun qui consiste à penser quen ingénierie concourante, tout le monde est désigné en même temps, sans mise en concurrence. Soyons clair : lacte de construire est un processus séquencé quil nest pas question de remettre en cause. On peut très bien, en ingénierie concourante, ouvrir un appel doffre en architecture après un bon programme fonctionnel. Par contre, pour optimiser le processus actuel, il faut que, dans chacune des phases, il y ait une anticipation sur les réactions de létape suivante.
Une idée dynamique de la gestion de projet repose sur une combinaison dexpertises, de métiers, dacteurs disposant de technologies variées. Quel acteur est le mieux placé pour permettre cette combinatoire?
C.G : Je me refuse à assigner le rôle de " synthétiseur du projet de construction " à un acteur ou à une institution pré-définis. Ce que réclame lingénierie concourante, ce nest pas lacquisition dune nouvelle compétence, mais lacquisition dune nouvelle culture. Cela revient à dire que les acteurs doivent intégrer à leur pratique la recherche de cohérence et de pertinence du projet. Il ne sagit évidemment pas de mettre en place un nouveau métier de coordinateur de projet.
Votre argumentaire nous laisse sur notre faim. Vous cherchez un acteur projet et, dans le même temps, vous refusez de le désigner.
C.G : La cohérence du projet doit être assurée en continu, dabord par le maître douvrage puis par des configurations dacteurs différents suivant le type dopération. Lingénierie concourante met en avant cinq dimensions principales dans la réussite du projet : foncier, usage, objet bâtiment, procédé dexécution et financement. Il est par conséquent difficile dimaginer quun seul acteur puisse prendre seul en charge ces cinq dimensions. Une précision : cette recherche visait, dans sa première phase, à faire émerger les enjeux qui saffirment au travers de lingénierie concourante. Une seconde phase consistera à les instrumenter. Cest pourquoi le lecteur peut avoir limpression que les principes, tels que nous les posons, restent encore théoriques.
Lingénierie concourante semble quelquefois être la redécouverte de principes évidents : définition dun bon programme, décloisonnement des logiques individuelles...
C.G : Ces travaux nous ont effectivement permis de redécouvrir des fondements que, malheureusement, la profession a oubliés. Un autre élément important mis à jour par cette recherche : pour être un vrai professionnel, il faut disposer de bons outils et savoir communiquer sur la valeur ajoutée de ces outils. Le Bâtiment dispose de bons outils mais a totalement perdu de vue leur valeur ajoutée. Une autre " banalité " à explorer : ne faut-il pas faire évoluer la fonction du commercial dun rôle de " capteur de marché " vers un rôle de relation de service vis-à-vis du client? Contrairement au secteur du Bâtiment, la fonction commerciale dans lindustrie prend en compte des notions telles que lanticipation des usages, lexploration des besoins et le retour de lexpérience. Le GREMAP a dailleurs mis en avant la faiblesse des démarches dévaluation dans notre secteur. Conséquence : comme les connaissances sont mal capitalisées, nous ne disposons pas de repères nous permettant danalyser puis de progresser pour les opérations futures.
Lappel à propositions Logement à Qualité et Coût Maîtrisés (LQCM) fait apparaître plusieurs points de convergence avec les travaux du GREMAP.
C.G : LQCM apparaît comme très intéressant par rapport aux travaux du GREMAP, pour autant que le programme applique les principes dingénierie concourante jusquau bout. Un exemple : les propositions, mandatées par des maîtres douvrage, sont un point positif à condition que ces derniers entretiennent une relation privilégiée avec les équipes avec lesquelles ils travaillent. Cest ainsi que se développera, sur la durée, un véritable partenariat de type industriel.