ENTRETIEN AVEC GAËTAN COURBE

Gaëtan Courbe est Directeur à l’OPAC du Finistère (Habitat 29). Il s’engage de manière très volontariste dans une démarche d’innovation qui passe d’abord par une généralisation des acquis observés sur les opérations de Ploneis et Guengat : futurs chantiers en séquentiel, approfondissement de l’organisation logistique, planification détaillée des interventions.

" Le processus séquentiel est un formidable moyen de clarification des besoins logistiques "

CHANTIERS 2000 : Vous ne connaissiez ni le séquentiel, ni la logistique. Pourquoi vous lancer dans une telle expérimentation?

Gaëtan Courbe : La taille moyenne de nos opérations, en construction neuve, est en constante diminution (de l’ordre de cinq logements). Nous réalisons donc nos chantiers avec de très petites entreprises locales, en lots séparés. Un constat : les réceptions de chantier font apparaître un nombre de réserves, toujours en augmentation. Par ailleurs, les premières années de fonctionnement des bâtiments révèlent une multitude de problèmes. Dès lors, l’introduction d’une organisation séquentielle nous a semblé pouvoir répondre à une exigence accrue en matière de qualité d’exécution du chantier (diminution du nombre d’entreprises sur le site, clarification des interfaces, réception entre les séquences) qui est la condition indispensable à une gestion de qualité du patrimoine. Second point : la logistique. A partir du moment où nous décidions d’adopter une organisation séquentielle, il nous paraissait indispensable d’y coupler une organisation des moyens qui puisse l’optimiser. Nous avons donc confié à Patrick Pincemaille la mise en place de l’organisation logistique des deux chantiers. Le choix d’un architecte pour cette mission n’est pas le fruit du hasard : de manière générale, nous imposons à nos architectes, au regard de la petite taille de nos opérations, de s’investir plus largement dans la phase de suivi de chantier. Contractuellement, cette exigence se traduit par une rémunération à hauteur de 50% pour la phase d’études et 50% pour la phase chantier. Une remarque : nous effectuons actuellement, avec Patrick Pincemaille, un travail de synthèse sur Ploneis et Guengat destiné à élaborer les outils nécessaires aux architectes pour le pilotage logistique de chantier. Autrement dit, notre rôle de maître d’ouvrage ne se borne pas qu’à formuler des exigences; il est aussi de fournir aux professionnels les outils permettant d’y répondre.

Quel premier bilan retirez-vous de cette expérimentation?

G.C : D’abord une appréciation très positive des entreprises par rapport au séquentiel qui leur a procuré un confort de travail inégalable, concourant à une meilleure qualité d’exécution de leurs tâches. Second point : la logistique a permis d’obtenir un chantier très bien tenu, tant du point de vue de la propreté que de l’organisation des aires de stockage en pied de bâtiment. A contrario, l’adaptation de colisages spécifiques à l’opération ne s’est pas révélée convaincante. Deux points positifs par rapport au monitorat logistique : le fort travail d’explicitation du projet aux entreprises par Patrick Pincemaille et un bilan de chantier très lucide qui s’avère être un très bon outil de capitalisation de l’expérience.

Vos prochaines opérations feront-elles l’objet d’une séquence logistique à part?

G.C : Le bilan de Ploneis et Guengat nous amène à penser qu’il est nécessaire d’intégrer la logistique dans chacune des séquences, sans formalisation d’une séquence logistique particulière. L’expérimentation a d’ailleurs permis de montrer qu’il était difficile de trouver une entreprise suffisamment " pointue " pour prendre en charge cette tâche. Cela signifie aussi qu’il n’est pas question que l’architecte perçoive une rémunération complémentaire pour le pilotage logistique du chantier qui s’inscrit dans le cadre de sa mission " classique " de maîtrise d'œuvre.

Répercuterez-vous, dans vos prochains appels d’offres, les surcoûts induits par l’introduction du séquentiel et de la logistique sur vos chantiers?

G.C : Un constat : la qualité d’exécution des chantiers de Ploneis et Guengat est telle qu’elle aura des répercussions financières très positives sur la gestion ultérieure des logements. Notre position est donc très claire : nous n’imposerons pas aux entreprises, lors des prochains appels d’offres, qu’elles compriment encore leurs marges en allégeant l’introduction du séquentiel et de la logistique sur nos chantiers. Nous espérons au contraire qu’elles puissent tirer parti financièrement d’une telle organisation. En revanche, nous exigerons d’elles une meilleure exécution du chantier, et plus particulièrement en terme de tenue des délais. Nous formulerons ainsi, au niveau des pièces contractuelles du DCE, des contraintes supplémentaires et nous exigerons une phase de préparation de chantier beaucoup plus outillée. Une remarque : le séquentiel favorise l’intervention unique sur le chantier et impose des réceptions inter-séquences. Autrement dit, ce mode d’organisation clarifie les responsabilités de chacun. A partir du moment où l’entreprise comprend que nous sommes en mesure de déceler sa responsabilité sur le travail exécuté, elle améliore la qualité de sa prestation.

L’introduction de la logistique et du séquentiel permettent aussi de s’aligner sur les exigences du coordonnateur santé-sécurité.

G.C : Les exigences réglementaires corrélatives à l’introduction d’un coordonnateur santé-sécurité sur les chantiers recoupent fortement un certain nombre d’éléments que nous avions prévus en matière de logistique. Les contraintes formulées par cette mission sont d’ailleurs tellement imbriquées avec une " bonne logistique " que j’éprouve des difficultés à dissocier les éléments propres à chacun. Le séquentiel, quant à lui, permet de limiter fortement la co-activité qui présente toujours un facteur de risques sur les chantiers. C’est pourquoi l’avenir passe par des opérations réalisées en séquentiel couplé à une logistique appropriée à chacune des séquences qui, nous le pensons, permettront d’être en conformité avec les impératifs de la mission du coordonnateur santé-sécurité. Une précision : nous ne confierons pas la mission santé-sécurité aux architectes mais à des contrôleurs techniques qui nous semblent plus " calibrés " pour l’accomplir.

Faire exprimer les besoins de l’entreprise en matière de logistique n’est pas évident. On s’est d’ailleurs aperçu, sur ces deux opérations, que les déficiences logistiques étaient essentiellement dues à une mauvaise communication.

G.C : D’abord, nous pouvons être faillibles dans la définition de la logistique, comme l’a montrée la mauvaise implantation initiale des aires de stockage. Cela révèle toute la difficulté que nous éprouvons à faire exprimer les besoins des entreprises. Par contre, je ne suis pas certain qu’il nous faille entrer dans le détail de certaines tâches, comme les relations entreprises-fournisseurs-négociants, pour mettre en place une logistique qui réponde à leur capacité. Si le chaînage maître d’ouvrage-chantier-entreprises est bien organisé, les sous-traitants feront certainement l’effort d’eux-mêmes pour mettre en place ou pour mieux adapter leur propre organisation logistique avec les fournisseurs.

En conclusion, qu’allez-vous pérenniser dans l’avenir à partir des acquis de Ploneis et Guengat?

Premier point : nous allons progressivement généraliser le séquentiel sur tous nos chantiers, à partir d’outils destinés aux architectes. Second point : l’introduction d’un planning " glissant " qui permettra de déclencher, au moment voulu, les commandes des entreprises vers les fournisseurs. Troisième point : une préparation de chantier progressive et intégrant l’organisation logistique. Nous exigerons à cet égard un ordre de service de préparation obligatoire suivi par un ordre de service d’exécution au vu de tous les documents qui nous auront été remis. En outre, nous élaborons actuellement une liste des documents-type et des réalisations que l’architecte exigera de la part des entreprises. Ce document, couplé au planning de réalisation, devrait nous permettre d’adapter la préparation à chaque intervenant en phase amont et en phase chantier. Cet outil aura une double fonction : aider l’architecte dans sa mission et permettre au maître d’ouvrage d’exercer un contrôle.