ENTRETIEN AVEC EMMANUEL VALENTI

Emmanuel Valenti est gérant de l’entreprise Sud-Est Plâtres. Rappelant les tensions économiques qui ont pesé sur la passation du lôt plâtres, il émet aussi des doutes sur la capacité des entreprises générales à coordonner un chantier de ce type.

" Nous avons travaillé sur ce chantier industriel suivant des méthodes traditionnelles "

CHANTIERS 2000 : Comment s’est passée pour vous la préparation du chantier de Saint-Martin d’Hères?

Emmanuel VALENTI : la préparation a été une période difficile durant laquelle les négociations de prix ont pesé négativement sur les discussions relatives aux détails techniques et à l’organisation du chantier. A partir du dossier initial, nous avions soumis une première offre qui s’est avérée être le double du budget de l’entreprise générale (3,6 millions contre 1,8 million). Nous avons donc retravaillé afin de parvenir à un offre de 2,5 millions, en optimisant par exemple le dimensionnement des cloisons. Une précision : l’obtention de ce marché résulte aussi de la pugnacité du technico-commercial de Spie-Tondella (Y. Michel) qui a intégré au mieux nos contraintes et de Lafarge qui, techniquement, n’envisageait pas une autre entreprise. La préparation de chantier proprement dite a réellement démarré bien après, les problèmes financiers n’étant toujours pas réglés. Effectivement, elle s’est étalée sur une période d’un mois. Autre problème : le choix du plombier n’étant pas arrêté, nous avons entamé cette préparation sans certains éléments d’information nécessaires (clapets et gaines coupe-feu). Enfin, cette phase a montré la nécessité de disposer de plans plus précis, et mieux concertés avec l’architecte. Hormis pour le PCIS lui-même qui était subordonné à une ATEx (Appréciation Technique d’Expérimentation du CSTB), nous avons complètement repris toute l’étude technique afin d’élaborer nos propres plans d’exécution. A ce propos, nous avons travaillé sur les plans en concertation avec le charpentier et l’entreprise de bardage afin de gérer les interfaces, mais à aucun moment une supervision de l’ensemble n’a été produite. Un dernier point : nous n’avons eu aucun contact avec l’architecte durant la préparation. Par contre, sa présence nous a été utile en phase opérationnelle pour la mise en œuvre de certains points techniques particuliers.

En matière de logistique, les moyens de levage par exemple, comment avez-vous travaillé avec l’entreprise générale?

E.V : J’ai fait appel à ma propre organisation logistique, les moyens dévolus par l’entreprise générale ne m’offrant pas la possibilité de travailler aussi efficacement que je l’entendais. Pour cela, je sous-traite mes approvisionnements à un transporteur qui, à chaque livraison, se rend sur le chantier avec le moyen de levage approprié, et reconditionne les palettes suivant le mode de mise en œuvre arrêté. En fait, le maniscope qui avait été prévu au départ n’a pu être utilisé parce qu’en phase préparation, il n’avait pas été pris en compte la présence des croix de Saint-André en façade ni les dépassés de toiture. Conséquence : nous avons approvisionné avec des grues par les pignons, avec une reprise par un tire-palette. Plus globalement, l’entreprise générale connaît des difficultés lorsqu’elle veut passer d’une gestion de la tâche à une gestion de l’activité. M’allouer par exemple un budget pour les moyens de levage présente un intérêt certain. Toutefois, prévoir à ce titre trente mille francs est très insuffisant sur une opération où la quantité de matériaux est multipliée par trois par rapport à un chantier traditionnel.

L’entreprise générale a connu des difficultés pour trouver une entreprise qui veuille poser le Triply. A quoi cela tient-il?

E.V : Nous-mêmes avions envisagé d’assurer la pose du Triply en y intégrant une dimension logistique relative aux circulations. Sachant qu’il est impossible de rouler sur le plancher sans détériorer les plaques de plâtres, il était prévu de créer un cheminement provisoire en Triply pour amener nos matériaux sur le lieu de pose. J’ai donc soumis une offre incluant une commande de Triply un peu plus importante afin de créer ces cheminements. Mais l’entreprise générale préférait sous-traiter à un tâcheron en achetant elle-même le matériau, ce qui lui coûtait moins cher. Assurer la pose du Tiply m’aurait pourtant intéressé, dans la mesure où ça m’aurait permis de maîtriser complètement toute l’intervention relative au montage du PCIS.

L’approche logistique révèle que vous n’aviez pas suffisamment sectionné vos approvisionnements et que vos poseurs ont été gênés par l’encombrement des plateaux qui en résultait.

E.V : L’enchaînement des tâches ne s’est pas passé comme prévu du fait de l’accumulation des retards. La logistique que nous avions élaborée s’est trouvée de ce fait inopérante. Nous avons entamé les doublages alors que les bardages n’étaient pas posées, ce qui a provoqué un encombrement consécutif aux matériaux de façades qui occupaient les planchers. En fait, nous avons éclaté notre intervention sur plusieurs tâches simultanément alors qu’elles devaient se suivre dans un ordre précis. Le paradoxe de ce chantier industriel, c’est que nous avons oeuvré de manière traditionnelle : nous sommes entrés dans le planning au prix de réajustements permanents au coup par coup. Il est bien évident que lorsque le planning dérape, la logistique prévue tend à éclater. Un autre enseignement relatif à la planification : il n’y a pas lieu d’entrer très loin dans le détail des tâches mais d’articuler les principales phases correctement. En terme de délai, nous aurions certainement gagné un mois supplémentaire si l’enchaînement de ces phases avait été respecté.

L’entreprise générale était elle-même dans une phase d’apprentissage sur ce chantier. On peut imaginer que l’expérience qu’elle a acquise - et plus particulièrement sur le fonctionnement du second œuvre - est un élément positif pour l’avenir.

E.V : La seule capitalisation qui lui soit utile concerne les ratios qu’elle pourra dorénavant calculer quant aux pratiques des corps d’état sur cette technique. Si elle avait bien évalué son étude de prix, l’entreprise générale ne serait pas entrée dans le détail du fonctionnement de nos entreprises. A Gières, l’entreprise générale ne s’était d’ailleurs pas intéressée à des histoires de ratios de plaques de plâtre; mais il est vrai que l’étude de prix était correcte. Si ce chantier représentait une occasion pour l’entreprise générale de se réorienter vers une mission de coordination, j’ai du mal à en discerner la finalité sur du logement social traditionnel qui ne réclame aucune technicité particulière de la part des entreprises. Je pense même qu’à l’heure actuelle, par rapport à la taille des opérations, la notion d’entreprise générale est dépassée : on dispose de suffisamment de compétences en maîtrise d’œuvre ou en OPC pour assurer le pilotage des chantiers. De même sur cette opération, nous étions plus compétents qu’elle, tant dans les dimensions techniques, qu’organisationnelles.

Quelles sont les relations que vous entretenez avec l’industriel (Lafarge Plâtres) sur un chantier de ce type?

E.V : En phase opérationnelle, nous demandons à Lafarge Plâtres un suivi de chantier tous les quinze jours. Ce suivi donne lieu à un courrier reprenant tous les points d’améliorations possibles. En phase préparation, notre dossier d’exécution est d’abord transmis à l’industriel qui y apporte ses remarques. De même, pour les points techniques particuliers, nous avons établi un carnet de détail que Lafarge a vérifié pour être ensuite validé par le bureau de contrôle.

Ce chantier vous a permis de capitaliser de l’expérience sur la filière sèche. La réutilisez-vous sur d’autres opérations?

E.V : A l’heure actuelle, cette expérience se traduit surtout par un enrichissement en culture interne d’entreprise. Des applications ponctuelles PCIS sont envisageables, par exemple sur la construction d’un complexe cinématographique pour les cabines de projection qui sont sur structure métallique. Toutefois cette expérimentation, hormis pour la partie PCIS très innovante, n’apporte pas un " plus " technique ou organisationnel pour SEP. Nous réalisons des ouvrages en traditionnel (collèges) bien plus complexes que l’opération de Saint-Martin d’Hères.