ENTRETIEN AVEC ERIC DUBOSC ET ELISABETH CAMBILLARD
Eric Dubosc est le concepteur de lopération de Saint-Martin dHères. Elisabeth Cambillard, architecte du même cabinet, a participé à la phase opérationnelle pour la mise au point des détails techniques et dorganisation. Ils estiment que les difficultés rencontrées, pour partie consécutives au manque dexpérience de lentreprise générale sur la filière sèche, ne remettent pas en cause son rôle pivot sur cette opération. Eric Dubosc évoque par ailleurs les difficultés auxquelles se heurte linnovation dans le bâtiment.
" Malgré ses lacunes, seule lentreprise générale peut animer et organiser un chantier porteur dune innovation telle que le PCIS "
CHANTIERS 2000 : Vous étiez impliqué sur lopération de Saint-Martin dHères à double titre : en tant que membre du cercle " Larchitecture avec lindustrie " concepteur du PCIS, et en tant quarchitecte. A partir de ces deux regards, quel bilan tirez-vous de cette réalisation?
Eric DUBOSC : Lun des objectifs du cercle " lArchitecture avec lIndustrie " était de prouver notre aptitude à créer des éléments douvrage. Lélaboration dun plancher sec constituait un défi important, le franchissement horizontal étant toujours la partie la plus difficile à réaliser. De ce point de vue, lopération révèle que le plancher est une réussite. Sa mise en oeuvre est facile et rapide bien que certains détails, comme linsuffisance de rigidité des bacs acier, nous aient échappés lors de la conception. Plus globalement, nous navons pas été suffisamment attentifs sur les aspects concernant les tolérances dimensionnelles. Un exemple : nous avions préconisé au charpentier lutilisation de profilés reconstitués soudés à la place des poutres qui étaient prévues à lorigine. Il sest avéré que ces profilés induisaient des écarts dimensionnels plus importants que prévu. Autre point : linefficacité du calepinage du Triply (du fait des écarts dimensionnels) a montré a contrario quune découpe sur site est aussi efficiente lorsquelle est réalisée par une entreprise compétente. Le point le plus positif concerne les performances acoustiques qui sont supérieures à la NRA. Lavenir du procédé passe maintenant par une demande dATec (Avis technique) pour utiliser le plancher sur une gamme douvrages plus étendue, notamment en réhabilitation où il devrait être très performant. Avec le PCIS, nous avons achevé la phase de recherche concernant la séquence STREN (structure-enveloppe) destinée à assurer la cohérence complète de lenveloppe. Une nouvelle étape consistera à travailler sur lintégration des fluides dans le plancher sec en phase de conception architecturale, en corrélation avec les choix de matériaux. Lopinion de larchitecte est quant à elle plus mitigée. Le point positif est le rôle fédérateur qua jouée la cellule Recherche et Développement de Spie-Citra dans lanimation de lopération. Il est en effet difficile de faire concourir les industriels qui travaillent traditionnellement de manière cloisonnée. De ce point de vue, la synergie architecte-entreprise-industriels a parfaitement fonctionné. Le point négatif concerne la préparation de chantier à laquelle nous navons pas participé. Nous avons pourtant besoin du savoir-faire des entreprises pour adapter les détails techniques à lopération. Or, durant cette phase, lentreprise générale a fait écran entre notre cabinet et les entreprises de second uvre. Lexplication se trouve probablement dans la consultation auprès des entreprises qui sest éternisée et qui na pas permis dentreprendre une préparation plus en amont. Par contre, il est évident quil aurait été impossible de monter cette opération sans lentreprise générale qui est la seule à pouvoir animer et organiser un chantier porteur dune innovation technique telle que le PCIS.
Est-il difficile dimposer une innovation comme le PCIS sur un chantier actuellement?
E.D : De manière générale, nous sommes confrontés à deux freins très forts dans la diffusion de linnovation. Le premier est relatif à la maîtrise douvrage publique qui ne veut pas simpliquer, tant en termes économiques que techniques alors quelle dispose pourtant de cellules techniques qui font de la prescription. Par contre, cette compétence technique nest jamais utilisée lorsquil sagit de faire évoluer le système productif français dans lequel les maîtres douvrage sont pourtant complètement impliqués et dont ils sont les principaux bénéficiaires. A cet égard, les problèmes de déqualification au sein des entreprises sont aussi la conséquence du manque dintérêt de la maîtrise douvrage pour la technologie. Cest une politique à court terme dans la mesure où la baisse des coûts passera systématiquement par des recherches préalables qui demanderont de linvestissement. Le deuxième frein concerne les bureaux de contrôle qui ont rigidifié leur position par rapport à la réglementation. En matière de sécurité au feu par exemple, les dispositions que nous utilisions il y a trois ans, et qui étaient acceptées sans difficultés, ne le sont plus. Ainsi, toute lexpérience que nous avons capitalisée en matière acoustique, thermique, mécanique, etc, ne nous sert pas de référence dun chantier à lautre. Nous avons beau leur démontrer que des bâtiments construits depuis une dizaine dannées ne présentent aucune pathologie, rien ny fait. Le paradoxe est que les bureaux de contrôle veulent nous ramener à des solutions constructives traditionnelles qui, elles, sont pathologiques. Pathologie acceptée puisquon considère comme normal que le béton ou le parpaing fissurent, quil y ait des infiltrations deau, etc.
Une maîtrise duvre spécialisée nest-elle pas plus apte à piloter un chantier de ce type plutôt quune entreprise à culture béton?
Elisabeth CAMBILLARD: Absolument pas. Il faut observer un certain nombre de précautions sur la formulation des commandes, sur la préparation de chantier, etc., mais il ny a pas un saut culturel, de connaissances et de savoir-faire tel quun conducteur de travaux " béton " ne puisse sadapter à cette filière. En revanche, une mission de maîtrise duvre étendue serait utile en matière de surveillance technique, par exemple sur la mise en place des matériaux.
Cest surtout lexpérience qui manquait à lentreprise générale. Ainsi le manque de préparation et de synthèse en phase amont sest trouvé de fait reporté sur laval. ll a fallu retravailler de manière concertée les enchaînements entre les corps détat les plus sensibles, le chantier étant bloqué. Une période de trois semaines a été nécessaire pour que les détails soient mis au point afin que les corps détat puissent travailler ensemble. En fait, le flottement de départ était consécutif à une mauvaise estimation de la gestion dun tel chantier. En particulier, la planification nétait pas suffisamment stricte pour permettre aux entreprises de caler leur intervention dans une vision interactive des enchaînements. En parallèle, le conducteur de travaux sest aussi rendu compte que la gestion des commandes et des flux ne saccommodait pas " dà peu près ". Cette opération sest révélée très structurante pour lui en matière de pilotage de chantier. Lévolution la plus marquante en cours dopération sest traduite par une évolution de la planification. Lentreprise générale est passée dune planification par lot à une répartition par tâches.