LES NOUVEAUX MODES DE COORDINATION SUR LES CHANTIERS
Le débat suivant est extrait dune scéance de travail de latelier thématique " Logistique et Ingénierie de la Production ". A partir de lexemple de la la REX de Saint-Martin dHères, la séance portait sur les nouveaux modes de coordination sur les chantiers tous corps détat. Deux professionnels au centre des discussions : Robert Aiello, ancien Directeur de la cellule Recherche et Développement de Spie-Citra et Yves Michel, Ingénieur Commercial chez Spie-Tondella.
" La coordination réclame un généraliste de la construction capable dassurer une synthèse à toutes les étapes du projet ".
Hormis les question techniques liés au PCIS, quelles sont les interrogations auxquelles vous avez été confrontés en phase amont du projet?
Robert AIELLO : la phase réalisation soulevait des questions " métiers " liées à lintroduction de deux nouveaux acteurs : le charpentier métallique et le façadier. Cette question trouvait aussi son prolongement dans la nouvelle répartition des travaux entre les corps de métiers. Le gros uvre voit en effet sa part de travaux diminuer fortement (10%) alors quun corps détat, tel que le plaquiste, devient prépondérant (20%) : il doit donc disposer de compétences accrues en thermique, acoustique, sécurité-incendie. La seconde interrogation était de type " méthodes " : comment et à quel moment allions nous mettre en uvre les différents constituants du plancher? Par ailleurs, le PCIS comportant des plaques de bois et de plâtre, nous fallait-il réaliser dabord le clos-couvert? Devions-nous lexécuter complètement ou simplement prévoir un pare-pluie pour travailler à lintérieur du bâtiment? La troisième interrogation concernait la logistique. A cet effet nous avons engagé une phase de préparation avec les industriels, relayée par lélaboration dune organisation logistique axée sur un principe de liaison étroite entre industriels et entreprises. En corollaire, se posaient les questions du choix de ces entreprises, la façon dont lentreprise générale allait elle-même sorganiser, préparer le chantier, le réaliser et surtout le coordonner.
Sur cette opération, la fonction dingénieur commercial a largement dépassé celle qui lui est dévolue sur un chantier traditionnel.
Yves MICHEL : un chantier de type industriel nécessite un acteur qui simplique tout au long du projet. A cet égard, jai assuré la liaison complète, depuis la partie Recherche et développement jusquaux applications pratiques telles que le vissage des plaques sur le chantier. De manière générale, une innovation amenant une organisation de chantier nouvelle réclame un acteur pivot au sein de lentreprise. Son rôle est double: assurer une fonction de continuité lors des différentes phases du projet et synthétiser les préoccupations des intervenants. Autrement dit, il sagit dintégrer au mieux les logiques techniques, économiques et organisationnelles des différents acteurs. Cette opération aura dailleurs montré que la traditionnelle coupure entre la phase amont, dévolue au commercial, et la réalisation du chantier est ici impossible. Dune part la technique était nouvelle, et dautre part nos conducteurs de travaux, issus dune culture gros uvre béton, considèrent les entreprises de second uvre comme des " boîtes noires " dans lesquelles il est difficile dentrer. Ainsi, en phase de préparation de chantier, la nouveauté du système constructif nous a obligé à décortiquer le fonctionnement technique et logistique des entreprises de second uvre. Par exemple, le travail mené avec le plaquiste nous a beaucoup appris sur son mode de livraison, son cycle de commandes, le lieu de fabrication des composants... Notre problème est de trouver maintenant un mode de capitalisation de cette expérience.
Le chantier a connu des dysfonctionnements techniques et organisationnels. Étaient-ils consécutifs à une insuffisance de préparation?
R.A : Le déroulement du chantier a mis à jour certains problèmes liés à la préparation. Ainsi pour la charpente métallique, il avait été prévu à lorigine un montage horizontal niveau par niveau. Le charpentier a par la suite remis en cause ce process et a opté pour un montage vertical. En parallèle, il a retenu une solution déléments de portiques qui a généré des problèmes de pose des bacs, puis du Triply dont le calepinage sest avéré inopérant. Ceci est la conséquence dune préparation initiale, soumise ensuite à une entreprise dont on na pas su maîtriser lintervention dans un cadre plus général de gestion du projet. Mais il est vrai que nous ne pouvions imposer une méthode que nous ne maîtrisions pas nous-mêmes.
Guy GARCIN : On voit à travers cet exemple que les problèmes techniques font émerger des difficultés liées à la préparation. Vous aviez identifié trois lots (plaquiste, charpentier métallique, façadier) dont lintervention était cruciale sur ce chantier. Par contre, au lieu dentreprendre une synthèse générale de ces lots pour optimiser leur interactions, vous avez pratiqué une préparation lot par lot, de manière indépendante. Cet exemple montre bien quen négociant de cette manière, vous avez trouvé un compromis local (avec le charpentier), mais sans voir les implications techniques et organisationnelles sur des autres lots très importants.
Y.M : Il ne suffit pas de mettre les trois lots autour dune table. A titre dexemple, lorsque jai demandé au charpentier comment il allait assembler sa charpente sur le chantier, cela lui a paru inquisitoire. Il a fallu lui démontrer que selon la configuration de montage quil allait adopter, les séquences suivantes nallaient pas sorganiser de la même manière. Autre problème : linterlocuteur en phase de préparation nest pas le même que celui sur chantier. Or, il est actuellement impossible de mobiliser un chef de chantier trois mois à lavance, alors que ce serait nécessaire. Conséquence : le mode de mise en uvre sur le site peut être différent de celui arrêté précédemment. Lautre difficulté est liée à notre propre façon de conduire un chantier. Le conducteur de travaux ne disposant pas de "son gros uvre" pour rythmer lavancement du chantier, il éprouve des difficultés pour planifier lintervention des entreprises de second uvre, dautant plus quil lui faut entrer dans le détail de la fabrication en atelier, des approvisionnements, etc. Ces points de repère, encore difficiles à appréhender pour nous, sont pourtant indispensables pour éviter des dérives sur le chantier. Cest un nouveau métier dentreprise générale.
R.A : En phase amont, un rapport intermédiaire avait mis en avant la nécessité dun généraliste de la construction au stade de la préparation de chantier afin dorienter le projet, de mener les discussions avec les corps détat, de trouver avec les BET et les entreprises les bonnes solutions techniques. Son rôle est dentreprendre une analyse des différentes options possibles et de réaliser la synthèse de lensemble. Lopération aura montré que cette fonction fait actuellement défaut dans nos entreprises.
On peut aussi imaginer que cette coordination très fine requiert des outils de planification adaptés.
Y.M : Nous avons abordé la planification de ce chantier suivant un schéma traditionnel, certainement insuffisamment détaillé. Face aux retards que nous accumulions, nous avons fait appel à un outil informatique afin de permettre une gestion plus anticipatrice du chantier.
R.A : Ce nest pas quune question doutil informatique. Ce nest pas le logiciel qui va définir la méthode, ni lorganisation générale. Il sagit tout dabord de décomposer lopération en une vingtaine de grandes tâches que lon affine progressivement. Cela permet davoir une vision assez juste des enchaînements sur le chantier.
G.G : Cette REX est révélatrice des difficultés à formaliser des objectifs en matière de planification. Il y a des lots et des enchaînements de tâches plus importants que dautres. En phase préparation, il ne sagit pas de définir précisément toutes ces tâches mais dextraire celles qui risquent de poser des problèmes, pas uniquement en terme de délais mais aussi en terme de points techniques particuliers. Cest une vision différente de ce quest la planification actuellement. Autre point : la méthode de préparation traditionnelle donne une grande place aux discussions sur les prix. Ces négociations sont souvent longues et ne favorisent pas une formalisation des choix techniques et organisationnels Ne faudra-t-il pas à lavenir essayer de fixer un objectif prix avec le sous-traitant de manière travailler correctement et sereinement en amont sur les choix techniques et organisationnels?