ENTRETIEN AVEC LOIC GERVOT ET JEROME NOMBALLAIS

Loïc Gervot (responsable commercial de GTB-Duchemin) et Jérôme Nomballais (conducteur de travaux) estiment que la réussite de ce chantier tient d’abord à son organisation. La forte cadence d’intervention imposée aux corps d’état serait compensée par une totale maîtrise économique de leur intervention.

" Le système constructif est ici un prétexte à une anticipation de l’organisation "

CHANTIERS 2000 : Le projet a fait l’objet d’une forte concertation entre vos bureaux d’études et ceux de la maîtrise d’œuvre.

Loïc GERVOT : La mise en œuvre de notre système constructif présentait un impératif : nous devions anticiper la phase de préparation de chantier en établissant, dès la phase d’étude préalable, des plans qui soient presque " bon pour exécution ". Nous avons donc largement utilisé l’informatique - de manière interactive - entre nos bureaux d’études et ceux de l’ingénierie de maîtrise d’œuvre. Résultat : toutes les contraintes de mise en œuvre du système étaient déjà prises en compte avant le dessin de l’architecte. Ce principe d’anticipation, au niveau de la conception, a trouvé son prolongement dans les matériaux. Il était nécessaire qu’ils présentent des facilités, tant dans leur mise en œuvre que dans leur colisage. D’où aussi le choix d’une structure ouverte - à base de panneaux préfabriqués (en usine) - permettant d’approvisionner très en amont les matériaux . Un autre exemple : les gaines techniques du plombier ont été préfabriquées afin de faciliter leur mise en œuvre. De même pour le bloc cuisinette, étagères, mobilier qui a été conçu dans la même optique. Une première volonté donc : obtenir une très bonne articulation entre conception technique (structure, espace, matériaux) et réalisation du chantier.

Jérôme NOMBALLAIS : L’informatique a aussi permis d’établir les plans béton en un temps record et en y intégrant les modifications dès la pré-étude. Les plans ont ainsi rarement dépassé l’indice A et ont donc évité les reprises en sous œuvre.

C2000 : Vous avez aussi appliqué ce principe d’anticipation au niveau de la préparation de chantier.

L.G : Pour y parvenir, nous nous sommes fixés une période de préparation de quatre mois en exigeant du maître d’ouvrage la délivrance d’un ordre de service de préparation avant l’ordre de service travaux. La consultation des entreprises s’est effectuée suivant un état d’esprit " organisation de chantier ". Un critère impératif : l’entreprise devait pouvoir répondre à un cycle d’intervention de cinq logements par jour. En contrepartie, nous leur fournissions des facilités, tant sur les moyens de levage que sur la conduite des travaux. A partir de là, les entreprises retenues ont travaillé avec nous sur l’organisation à mettre en place pour faire face à cette cadence : effectif nécessaire, mise en place de l’encadrement, proportion de la préfabrication dans l’intervention. Nous avons abordé cette opération comme un chantier de réhabilitation en logements occupés : en terme de cycle de cellule, sans débordement possible sur le planning.

C2000 : De quelle manière avez-vous organisé le cycle de gros œuvre?

L.G : La préparation du gros œuvre s’est effectuée dans un état d’esprit similaire. Il s’agissait d’organiser le cycle sans qu’aucun aléa ne vienne le perturber. Nous avons donc eu recours à la préfabrication sur site (éléments porteurs en béton et dalles) afin de travailler en flux tendus entre la zone de préfabrication et la zone de montage. C’est un avantage important. Lorsqu’on travaille avec un préfabricant extérieur, celui-ci a plutôt tendance à raisonner en terme d’optimisation de ses moules. Il ne préfabrique pas nécessairement sur un cycle cohérent avec celui du chantier. Ce choix vient aussi du fait que nous possédons une longue expérience en matière de préfabrication. Nous disposons donc d’un personnel très qualifié sur ce type d’approche. Une seconde condition indispensable : sensibiliser et associer nos compagnons au défi que représentait cette opération. Outre la mise en place de procédures " classiques " (petits-déjeuners-sécurité, plan-qualité), nous nous sommes efforcés de les impliquer sur les notions de préfabrication et de délais. Nous avons pour cela conçu des aménagements de chantier permettant d’optimiser leurs interventions et leur assurant de bonnes conditions de travail : zones de transit, de stockage, de préfabrication, plan de circulation des véhicules déterminé dès la conception.

C2000 : Quelles impératifs vous étiez-vous fixés par rapport au système constructif?

L.G : Tout d’abord, nous ne voulions aucune reprise de dalle à l’intérieur d’un logement afin d’éviter les jonctions. Il fallait aussi bannir les retombées de poutres afin d’obtenir un plateau libre permettant une flexibilité importante en cas de restructuration des logements. Dans le même ordre d’idée, nous désirions incorporer tous les réseaux dans les points porteurs. Enfin, faire appel à un système de façades complètement indépendant qui puisse être monté en dehors du cycle de construction et après les approvisionnements de matériaux sur les plateaux. Outre la flexibilité, plusieurs avantages découlent de ces choix : excellentes performances acoustiques et thermiques liées d’une part à la légère surépaisseur de la dalle préfabriquée et d’autre part à la désolidarisation de la façade (Label Confort Plus et HPE ***).

C2000 : Comme vous l’avez souligné, une des particularités de ce système réside dans l’incorporation des réseaux dans un des points porteurs.

J.N : Nous avons effectivement décidé de remplacer un des poteaux porteurs par une gaine technique en béton, munie d’une réservation en son centre, afin d’y faire passer les réseaux. Ces gaines ont été préfabriquées sur site et ont pu recevoir les réservations et incorporations techniques au moment du coulage. Elles ont été dimensionnées de telle manière qu’elles puissent répondre aux exigences de descente de charge, d’encombrement minimum pour les réseaux et d’acoustique. Nous avions donc défini très en amont, avec les corps d’état, le dimensionnement et le positionnement des différents réseaux afin d’avoir une connexion simple et rapide. Là encore, le système constructif a été un prétexte à une anticipation de l’organisation.

L.G : Cela permet aussi d’effectuer un contrôle qualité en amont et non plus " in situ ". Dès que l’élément sort du décoffrage, il fait l’objet d’une procédure de conformité par fiche-contrôle.

C2000 : Comment était organisée la préfabrication des éléments du gros-oeuvre?

J.N : Le chantier était divisé en quatre zones de préfabrication : prédalles, gaines techniques porteuses, poteaux et balcons. Nous avions ménagé une petite zone tampon en cas de problème au décoffrage sur un des éléments verticaux. Pour des raisons d’impossibilité de stockage sur le site, nous fabriquions quatre prédalles par jour, mises en place dès le lendemain. Nous avions équipé le banc de brûleurs pour obtenir une résistance suffisante à 12 heures et avons utilisé un béton spécial. Chaque dalle étant d’une dimension de 25 m2 (un logement complet, la moitié du couloir et l’animation de façade), nous en posions donc 100m2 par jour. Chaque niveau de bâtiment comprenait douze studios. Il nous fallait trois jours pour réaliser un niveau, le quatrième étant consacré au coulage de la dalle de compression. Ce résultat est le fruit d’un phasage très précis, chaque élément de préfabrication étant coulé à une heure précise. Le temps de grue a aussi fait l’objet d’une procédure d’optimisation afin d’éviter les attentes.

C2000 : Quels avantages présente le système en terme de sécurité?

L.G : Toute la sécurité passive (garde-corps) a été intégrée sur le banc de préfabrication (planchers et points porteurs). Le levage et la pose du plancher s’effectuaient donc avec les éléments de sécurité posés à l’avancement. Idem pour les poteaux sur lesquels les attentes étaient fixées. Cela implique une réflexion-sécurité dès le stade des plans qui s’avère intéressante en terme économique. Nous savons en effet très exactement la quantité de matériels qui sera nécessaire sur le chantier.

C2000 : Ce système n’est-il adaptable qu’à des projets présentant des petites trames répétitives?

L.G : Ce système implique en moyenne trois points porteurs pour 20 m2. Autrement dit, pour du logement familial, cela signifie des poteaux apparents dans les logements. Or, les maîtres d’ouvrage ne sont pas " prêts " pour ce genre de choses. Mais c’est techniquement possible.

C2000 : De quelle manière avez-vous abordé la consultation avec les corps d’état secondaires?

L.G : Nous avons consulté les entreprises sur la base d’un dossier dans lequel figurait, lot par lot, toutes les données relatives au chantier : quantité de matériaux, éléments à préfabriquer, qualité, prix, plans, délais, installation de chantier. Nous désirions imposer des exigences claires, précises, aussi bien en termes de prix et de matériaux qu’en terme d’organisation, afin qu’elles puissent rapidement évaluer leur aptitude à répondre à l’appel d’offre. En revanche, nous mettions à leur disposition toute notre capacité logistique et un encadrement renforcé. Nous leur garantissions par ailleurs qu’aucun élément figurant dans le dossier ne ferait l’objet de modifications ultérieures. Qu’est-ce qui se passe, en règle générale, lors des consultations? L’entreprise générale commence par obtenir un prix, puis, par la suite, impose des contraintes. Les corps d’état ne maîtrisent donc jamais l’ensemble des paramètres liés à leur intervention.

C2000 : Les corps d’état évoquent des cadences de travail très élevées.

L.G : Certainement. C’est aussi pour cela qu’il fallait, dès le départ, être dans une configuration définitive, à la fois dans ce que nous exigions et ce que nous apportions. Les corps d’état étaient ainsi certains de maîtriser toute leur chaîne économique. Par contre, ils n’avaient aucune latitude pour faire évoluer leur proposition par la suite. Les données sont les mêmes au départ et à l’arrivée. Au niveau du planning, nous avions anticipé la fin des travaux d’une semaine afin d’obtenir une petite marge de manœuvre. De même pour les corps d’état avec lesquels nous nous étions calés sur cinq logements par jour en leur demandant de pouvoir éventuellement en faire six. Par contre, en terme de planning de congés, nous étions figés dès le départ. Comme il n’était pas question d’infléchir le rythme durant la période estivale, chacun devait procéder à un lissage étudié de ses effectifs.

C2000 : Comment ont été organisés les approvisionnements des plaques de plâtre?

J.N : Comme nous disposions d’une structure ouverte, nous avions décidé d’approvisionner tous les matériaux avant fermeture de la façade. Les plaques ont été approvisonnées après la mise hors d’eau et avant la mise hors d’air. Nous avons monté entièrement la structure, posé le pare-vapeur puis approvisionné les matériaux sur un platelage avec reprise par un tire-palettes. Ce platelage est une console passerelle que nous avons reconditionnée avec des pieds plus longs. Les livraisons étaient organisées en dehors des heures de chantier suivant un planning de livraison recalé une fois par semaine. Résultat : pas d’attente de camions sur le chantier.