PETITES ENTREPRISES ET INNOVATION : UN MARIAGE DE RAISON

Une des ambitions de CHANTIER 2000 est de favoriser les coopérations entre le monde de la recherche et les professionnels du Bâtiment. Plusieurs recherches ou études ont ainsi été initiées sur des thèmes répondant aux préoccupations du programme, et notamment sur l’innovation. Ce journal a aussi pour vocation d’en rendre compte. L’étude que nous vous présentons ici avait pour objectif d’explorer les conditions de diffusion de l’innovation dans les très petites entreprises du bâtiment (moins de vingt salariés, artisanales ou non) en Île-de-France. Elle montre, qu’au sein de ces entreprises, la diffusion de nouveaux produits et de nouvelles techniques est réelle mais suit un processus lent et sélectif.

L’effet structurant du marché

Face à l’innovation, c’est le marché qui apparaît comme structurant dans les comportements des petites entreprises en Île-de-France. Confrontées depuis des années à une très vive concurrence, à la multiplicité des marchés ainsi qu’à l’existence d’une maîtrise d’ouvrage professionnelle forte, ces petites entreprises ont du adapter leurs pratiques.

Il s’agit d’un mouvement ancien, que la conjoncture récente n’a que peu amplifié. En règle générale, les petites entreprises ne bouleversent pas leurs habitudes. Elles sont par contre amenées à élargir leur métier de base vers des activités connexes (peintre qui fait de la miroiterie ou des faux plafonds, maçon qui pose des carrelages ou des fermettes...). Certaines d’entre elles se spécialisent dans une fonction, d’autres deviendront entreprises tous corps d’état.

La présence en Île-de-France d’une clientèle professionnelle (bureaux, commerces, bâtiments publics...) a conduit bon nombre de petites entreprises à dépasser le cadre d’une clientèle de particuliers pour s’orienter vers des maîtres d’ouvrage, souvent plus exigeants en termes techniques et organisationnels. Un autre facteur d’évolution : la configuration du marché et de la concurrence a amené bon nombre d’entreprises à élargir considérablement leur rayon d’action (jusqu’à la province pour certaines d’entre elles).

Cette adaptabilité dans la nature des travaux ne s’accompagne pas d’une mobilisation massive des moyens internes et externes aux entreprises, autres que ceux dont elles disposent déjà. Il n’y a pas de recours systématique à la formation, tant pour le chef d’entreprise que pour ses salariés. Par ailleurs, la mise en place d’outils commerciaux ou de marketing, la constitution de groupements structurés et organisés, l’embauche de personnels spécialisés ne sont que rarement mis en œuvre. Cependant, une minorité d’entreprises, souvent animées par des chefs d’entreprises jeunes à profil commercial ou technicien, abordent le métier à travers le marché et se positionnent sur des niches d’activité (isolation, alarmes, vérandas...). Cette approche, en terme de créneaux de marchés, se double parfois du recours à des savoir-faire techniques pointus que l’entreprise doit rechercher pour se pérenniser.

Une diffusion lente et sélective de l’innovation

Les chiffres des investissements et des achats réalisés soulignent la place importante qu’occupent les petites entreprises dans la filière construction. Toutefois, il apparaît que l’innovation technique, l’adoption d’un nouvel équipement résultent moins d’un souci de productivité que celui - fortement affirmé - de la recherche de la qualité des travaux réalisés.

Très sélectifs, attendant que certains produits aient fait leurs preuves, inquiets face à un système de responsabilité complexe et coûteux, les patrons de petites entreprises désirent être certains que l’innovation sera parfaitement adaptée à leurs besoins. Exemple : dans les années 80, les petites entreprises ont développé une résistance passive face à l’informatisation que voulaient mener - à marche forcée - des structures extérieures au milieu.

Trois mots-clés : empirisme, multiplicité et adaptabilité

Empirique, l’artisan sera sensible aux efforts déployés par ses interlocuteurs privilégiés, les fournisseurs. Une démonstration, la visite sur un chantier d’un technicien qui explique le bien-fondé d’un nouveau produit, un test par l’entreprise, seront des préalables efficaces à l’adoption d’un produit.

La typologie détaillée des comportements face à l’innovation technique met en relief la multiplicité de l’innovation. Ainsi, la capacité à intégrer l’innovation est proportionnellement inverse au caractère familial de l’entreprise et à son ancrage dans le métier. Un autre élément : la génération des moins de quarante ans se tourne plus volontiers vers les produits et modes de communication nouveaux.

En dépit de ce qu’affirment les chefs d’entreprise interrogés, les équipements et produits qui améliorent notablement le travail sur le chantier - permettant des gains de productivité - sont adoptés par les entreprises de petite taille (pistolet-clouteur, scies à eau pour le béton, peintures à séchage rapide...). S’ils ont un coût souvent plus élevé, ces produits et équipements permettent des gains de temps dans la mise en œuvre, le raccourcissement des délais et l’allégement des efforts physiques. Un fait incontournable : plus l’outillage et la technique seront adaptables - voire transformables - plus ils seront adoptés.

L’innovation qui favorise l’élargissement du métier rencontre l’adhésion des entreprises qui ont une démarche commerciale structurée (éléments de menuiserie-bois prêts à poser pour les maçons, isolation acoustique pour les plâtriers...). En revanche, les innovations " pures " ne sont incorporées que progressivement (poutre composée pour les charpentiers-bois, inox pour les couvreurs-zingueurs...).

Enfin, certains produits peuvent être rejetés par une partie des artisans, lorsqu’ils les considèrent opposés à leur recherche de qualité et/ou d’éthique de travail ou nécessitant une modification trop radicale de l’entreprise. C’est le cas du professionnel de la pierre qui intègre à regret la pierre reconstituée ou de certaines entreprises de finition qui récusent les produits faciles à poser, parce qu’ils sont destinés aux bricoleurs, dont elles veulent se démarquer.