ENTRETIEN AVEC ROBERT AIELLO ET PHILIPPE ROUSSEAU

" L’entreprise générale devra être de nouveau compétente dans la recherche de solutions et de mise au point des études techniques de second œuvre "

Robert Aiello et Philippe Rousseau sont respectivement directeur de la cellule Recherche et Développement et ingénieur chez Spie-Sitra. Ils évoquent le lent processus de maturation qui a abouti au PCIS. Robert Aiello insiste sur les nouvelles compétences que doit acquérir l’entreprise générale pour répondre à la diversité des techniques constructives.

CHANTIERS 2000 : Le PCIS est l’aboutissement de recherches entamées depuis plusieurs années. Dans quel cadre s’inscrit-il?

Robert AIELLO : Il s’inscrit dans le cadre plus général d’actions que nous menons depuis plusieurs années, en collaboration avec des industriels, afin de développer de nouveaux produits, de nouvelles méthodes et de nouvelles techniques. Cette collaboration poursuit deux objectifs: développer l’innovation et nouer des relations durables avec le monde de l’industrie. Le développement des produits secs dans la construction trouve ses origines à la fin des années 80 dans une action dénommée " Construire avec l’Industrie ". Cette démarche visait, autour d’une entreprise, à regrouper un certain nombre d’industriels afin de mettre en œuvre une véritable stratégie d’industrialisation de la construction par l’utilisation de produits secs manufacturés. Ce partenariat a conduit à la mise à disposition d’une documentation commune du produit composite ainsi créé. L’idée était de développer la filière métallique en donnant au prescripteur un produit composite à chaque fois transposable. Dès cette époque, le bac collaborant qu’avait développé Usinor-Sacilor aux alentours de 1986, paraissait présenter plusieurs contradictions avec une filière sèche :

-. il détruisait la cohérence de la filière sèche. On continuait à couler du béton alors que le reste du bâtiment était composé par des produits secs. Par ailleurs, le système nous contraignait à étayer tous les trois mètres;

-. il était lourd. Le poids des planchers s’établissait autour de 400 à 500 kg/m2. Nous étions dans la même configuration de poids que des planchers de dalles pleines en béton;

-. nous étions obligés d’insérer les poutres pour reprendre le plancher entre les plaques séparatives de logements. Cela conduisait à des séparatifs horizontaux de très forte épaisseur et surtout contraignait la conception et la flexibilité des bâtiments.

L’industriel ne pouvait pas réaliser rapidement un bac d’une portée de six mètres. Nous nous sommes donc orientés sur la mise en œuvre d’un plancher totalement sec d’une portée maximale de quatre mètres. Nous avons expérimenté cette solution en 1990 sur une REX de logements individuels. Ce plancher était constitué de poutres et de bacs en acier, de cornières de contreventement et de plaques de plâtre. L’opération a permis de dégager trois résultats importants:

- nous obtenions un chantier particulièrement propre;

- la pose des plaques de plâtre du plancher était réalisée sans difficulté, après une rapide période de formation, par un plaquiste local qui avait apporté des améliorations par rapport aux préconisations théoriques de mise en œuvre;

- le plancher présentait une bonne raideur.

Nous avons donc décidé d’entreprendre une série de mesures acoustiques de deux natures: la première sur le plancher tel qu’il avait été prévu initialement; la seconde en garnissant le plénum de laine de verre afin de vérifier l’amélioration attendue. Les essais se sont avérés très concluants; ils démontraient qu’en garnissant le plénum de laine minérale, nous obtenions des résultats qui satisfaisaient aux normes acoustiques en vigueur à l’époque.

Quel rôle ont joué les architectes dans ce processus d’innovation?

R.A : Une innovation est très rarement le fruit d’une imagination spontanée. Elle résulte souvent d’une réflexion, plus ou moins formalisée au départ, qui vous préoccupe pendant une longue période.

Il se trouve que nous connaissions bien le cabinet d’architecture Dubosc et Landowski, lui même animateur du Cercle Architecture et Industrie créé pour promouvoir la filière sèche. Nous avons une similitude d’approche et menons depuis plusieurs années des études et des développements en commun.

Tout naturellement, en 1992, nous nous sommes rapprochés de ces architectes et des industriels du Cercle pour mettre au point un plancher séparatif de logements collectifs totalement sec, afin d’apporter enfin cette cohérence recherchée.

Nous nous étions assignés au moins trois objectifs, sachant que l’industriel (Haironville) disposait déjà de bacs capables de franchir des portées de six mètres :

-. diminuer l’épaisseur du plancher

-. accroître son rôle structurel;

-. améliorer les performances acoustiques, thermiques et de résistance au feu et les rendre compatibles avec la réglementation des logements collectifs.

Cette collaboration a conduit à l’établissement, en 1993, d’un cahier des charges prescrivant les caractéristiques du plancher recherché et destiné aux différents industriels partenaires. Ces derniers se sont chargés de trouver des solutions satisfaisantes au sein de leur entreprise respective. Le produit a été mis au point et étudié théoriquement. En particulier, nous avons travaillé sur les différentes configurations problématiques comme l’interface plancher/façade, le passage des gaines de ventilation ou l’étanchéité dans les locaux techniques.

Nous avons ensuite mis en forme la solution et avons déposé une demande de brevet sur le PCIS en 1994. Parallèlement, nous avons effectué une première série d’essais en entreprise. Ces tests portaient sur les différents composants du PCIS de manière indépendante : résistance au feu des bacs et des poutres; transmission du bruit et des chocs dans les plaques de plâtre, etc. Enfin, nous avons établi et réalisé un programme d’essais sur le système dans sa globalité. Ces essais ont été préparés par les industriels et l’entreprise et réalisés dans des laboratoires agréés. L’ATEX (Avis Technique d’EXpérimentation) du CSTB, obtenu en Novembre 1994, va nous permettre de tester " in situ " les performances théoriques du produit.

Que fait ressortir l’étude de prix?

R.A : Lorsque l’on construit en ossature acier, la technologie dominante en matière de planchers est le bac collaborant. Nous avons donc entrepris une étude de prix comparative relayée par une projection des gains de productivité que nous pouvions espérer grâce à l’utilisation du PCIS. Nous n’avons pas opté pour une comparaison avec une solution béton qui nous aurait obligé à une mise en concurrence sur la globalité des deux systèmes, difficilement chiffrable au regard de leurs avantages et inconvénients respectifs. Par contre, le problème ne se posait pas avec le bac collaborant qui procède de la même filière que le PCIS et qu’il était donc possible d’isoler des autres coûts. Ce qui ressort de l’étude, c’est que le prix de revient entreprise fourni-posé des deux systèmes est sensiblement équivalent. Il s’établit à un prix de 505F/m2 pour le bac collaborant contre un prix de 525F/m2 pour le PCIS. Par ailleurs, il est dores et déjà possible d’énumérer les économies possibles par l’intégration du PCIS :

- réduction des délais de réalisation due à la cohérence des différents composants du système constructif et de leur facilité d’assemblage. Cela entraîne par ailleurs une diminution des frais de chantier ainsi qu’une accélération de la mise en service des ouvrages;

- diminution des fondations du fait de l’allégement du bâtiment (80 kg/m2 au lieu de 500 kg/m2);

- l’utilisation de composants industriels et le recours à la fabrication entraînent une réduction des effectifs ouvriers sur chantier et une minoration des installations sanitaires et cantonnements;

- suppression de l’installation fixe type grue à tour au profit d’une grue mobile.

De manière plus générale, je pense que le système poteaux-poutres est susceptible de trouver des débouchés économiques dans l’avenir, ne serait-ce qu’en terme de flexibilité des bâtiments. Les programmes de réhabilitation impliquant une redistribution des locaux sont à l’heure actuelle difficiles à appréhender. Les murs en béton banché posent en effet des problèmes de structure dans la réorganisation de l’espace des bâtiments. Ce qui est plus particulièrement intéressant avec le PCIS, c’est que - contrairement à un système poteaux-poutres associé à un plancher classique - la structure horizontale s’inscrit dans l’épaisseur du bac acier. On dispose donc d’un plateau entièrement libre en sous-face. De même, la flexibilité ou l’évolutivité des bâtiments, en vue d’une redistribution des espaces en fonction des usages, peut s’effectuer dans les trois dimensions sans travaux lourds.

Quelles fonctions assure le PCIS?

Philippe ROUSSEAU : Le PCIS est un plancher qui assure des fonctions comparables à un plancher béton (résistance mécanique, stabilité horizontale et verticale, performance acoustique, sécurité-incendie, encombrement). Il se caractérise par une protection au feu entre logements supérieure à une heure. Il peut donc viser des constructions de logements classés en deuxième famille A et B et en troisième famille. Il apporte une fonction d’isolation thermique et un important gain sur le poids mort du bâtiment grâce à sa légèreté. En matière acoustique, il répond aux normes définies par la NRA, aussi bien en bruits aériens qu’en bruits de chocs. La seule incertitude qui demeure est relative au confort à la marche (bruits de chocs provoqués et retransmis par le fait de marcher). Les mesures effectuées par les industriels montrent qu’actuellement, même avec une excellente performance aux bruits de chocs, un plancher léger n’obtient qu’une performance relativement moyenne vis-à-vis du confort à la marche. Pour parer à cette gêne, nous avons imaginé des solutions correctives avec les industriels. Ces solutions visent à dessolidariser le plus possible les plaques de plâtre constitutives du faux-plafond de la structure. Les essais in situ permettront de vérifier l’adéquation de ces dispositions. Enfin, les essais de résistance mécanique font apparaître une flèche sous charges permanentes et surcharges variables compatibles avec les conditions d’usage.

De quelle manière l’entreprise générale se repositionne au sein de cette filière?

R.A : La vocation de l’entreprise générale est d’apporter la meilleure solution technique et économique à un problème posé - quelle que soit la technologie utilisée. Cela implique qu’elle développe à l’avenir un savoir-faire pluri-culturel. Elle doit s’affranchir de la mono-culture " béton " au profit d’une vocation d’entreprise généraliste. Dans cette nouvelle configuration, comment orienter - dès l’amont du projet - les grands partis constructifs afin de répondre, avec la meilleure solution, au problème posé?

Aujourd’hui, ceci passe par des phases de discussions et de négociations avec les concepteurs et les maîtres d’ouvrage. Quelles compétences doit acquérir l’entreprise pour pouvoir mener ces discussions? Par ailleurs, de quelle manière appréhende-t-on la consultation avec les corps d’état secondaires? Si en solution béton on maîtrise bien cette phase, il n’en n’est pas de même pour les autres techniques constructives. Dans le cas de Saint-Martin d’Hères - et malgré toute la compétence des intervenants - cette phase a été longue et difficile à mettre au point.

Le repositionnement de l’entreprise générale - comme entreprise ensemblière - peut se traduire par cette question : comment manager le projet, à la fois dans sa conception technique et sa réalisation?

Cela passe-t-il par une évolution des bureaux de méthodes?

R.A : Je pense que les bureaux de méthodes devront intégrer une cellule technique de type généraliste. Son rôle sera - non pas d’explorer à fond le projet - mais d’orienter les choix constructifs et de détecter rapidement les problèmes de mise en œuvre par rapport aux contraintes techniques et économiques, afin que les spécialistes puissent les résoudre. Cette fonction est à l’heure actuelle souvent assumée par le conducteur de travaux dont ce n’est pas le rôle. Ce glissement tient au fait que la plupart des entreprises ont perdu une partie de leur savoir d’études techniques au profit de bureaux d’études sous-traitants qui n’interviennent d’ailleurs que pour la structure. Il subsiste évidemment des bureaux de méthodes internes, mais ceux-ci sont axés sur la phase gros œuvre " béton " et non sur l’organisation générale des travaux.

Comment le conducteur de travaux va-t-il s’organiser lorsqu’il sera confronté à une technique qu’il ne connaît pas? Toute une série d’interrogations se pose, notamment par rapport aux moyens dont doit se doter l’entreprise générale et aux nouvelles compétences que les hommes doivent acquérir.

La perte de ce savoir d’études techniques ne se traduit-elle pas également par une méconnaissance des corps d’état secondaires?

R.A : Cette perte se situe à la fin des années 70. Auparavant, la commande publique étant forte, les grandes entreprises impliquées dans ces programmes possédaient des cellules très compétentes. Elles maîtrisaient l’ensemble des problèmes liés aux produits qui étaient demandés, tant en réglementation technique que dans la connaissance du second œuvre. Au début des années 80, la commande publique se raréfiant, les entreprises se sont restructurées et n’ont conservé - pour les plus importantes - que leur BET béton, leur bureau méthodes et une mini-cellule de corps d’état techniques de type " consultant ". Cette cellule exerce une fonction d’ " acheteur " auprès des corps d’état, mais ne possède pas les compétences nécessaires pour être un véritable coordonateur dans la recherche de solutions et de mise au point des études techniques de second œuvre. C’est pourtant une des compétences que l’entreprise générale devra se réapproprier pour s’orienter vers une entité de type ensemblier.