L’ÉLABORATION DU PROGRAMME ET L’ORGANISATION DU PROJET

Les maîtres d'ouvrage se trouvent placés au cœur d'une évolution majeure dans l'approche du projet, suscitant une autre organisation des relations entre maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre et entreprises. Les modes de fonctionnement habituels subsistent largement, mais d'autres stratégies émergent. La formulation de la commande occupe une place essentielle dans cette évolution.

Une question essentielle : le renouvellement de la commande

Le maître d'ouvrage s'efforce d'atteindre un meilleur équilibre des opérations, aussi bien dans le rendement et la performance du projet, que dans la recherche d'une cohérence entre construction, maintenance et exploitation de son patrimoine. Le maître d’ouvrage doit aujourd'hui prendre en compte de multiples dimensions ; il ne peut se tromper sur l’opportunité et la faisabilité de l'opération et il lui appartient de mener une réflexion sur le programme dans un cadre de plus en plus contraignant.

Mais la place de la maîtrise d’ouvrage s’affirme aussi dans la conception et la production pour favoriser une évolution des pratiques et une progression des performances du secteur. Ceci l’amène à veiller au bon fonctionnement de ce process (répartition des rôles et des missions), à arbitrer parmi les objectifs du projet et à permettre une bonne anticipation .

Inciter à une rationalisation de l’ensemble de la chaîne devient une condition essentielle à l’optimisation du projet. Cela oblige à faire appel à des méthodologies et outils rigoureux, au niveau du produit comme du process.

Des outils mieux adaptés

C’est ainsi que se développent des outils d’élaboration et de suivi du programme ; des analyses plus globales du produit : cahiers des charges fonctionnels, analyse de la valeur, analyse en coût global; des procédures de contrôle des prix et de la qualité. Parallèlement, on constate une plus grande diversité des modes de consultation, incluant des approches performancielles sur programme fonctionnel détaillé : exigences de résultats à atteindre ou prestations à satisfaire.

Concernant la maîtrise de l'exécution et du process, on observe une meilleure coordination et des méthodes de pilotage plus élaborées ; des tentatives pour rendre l'ingénierie plus concourante ; des responsabilités nouvelles dans la chaîne de qualité et de sécurité.

Un nouveau rôle dans la filière

L’extension du rôle et des responsabilités du maître d’ouvrage l’engage dans une direction d’opération visant à mieux maîtriser l’ensemble coût de conception - coût de réalisation - coût de fonctionnement.

Répondant de la responsabilité et de la régulation de l’ensemble des interventions, il a la charge d'assurer le bon fonctionnement du projet et de gérer les nombreuses situations de co-conception qui caractérisent l’opération de construction. Mais il évolue dans un système particulièrement "en tension" aujourd'hui, où aucun des acteurs, aucune profession, ne peut se passer de l’autre, ni s’approprier un monopole dans un champ clos. Le maître d’ouvrage ne peut plus répondre seul de la définition des besoins, le maître d’œuvre bâtir son projet de façon isolée, ni l’entreprise assurer complètement l’organisation de la production.

Des ponts sont à établir entre les diverses phases du projet. Les intervenants de la phase amont, pour mieux approcher l'usage, sont conduits à intégrer les contraintes de l'aval, aussi bien à partir des exigences de constructibilité qu'à partir de celles des gestionnaires et exploitants. De leur côté, les constructeurs ne peuvent faire l’impasse sur les impératifs de la demande ni sur l’usage, en particulier pour maîtriser le rapport coût-qualité.

L'organisation de la concourance

Constituer l'ingénierie de projet suppose de coordonner de multiples spécialités de maîtrise d'œuvre. Les pratiques de co-conception, habituelles dans l'industrie quand les donneurs d'ordre s'efforcent d'optimiser les coûts et la qualité des produits, sont encore timides dans le secteur de la construction et l'examen des quelques tentatives qui cherchent à investir ces deux niveaux, montre des résultats inégaux.

Même les REX qui ont comme projet de développer certaines formes de conception partagée n'affichent pas de situation où les divers intervenants contribueraient solidairement à la programmation, la conception et la réalisation du produit. Terrains d'expérimentation, elles n'apportent que des réponses partielles à l'enjeu que représente l'instauration d'une réelle concourance dans les opérations. S'il revient bien au maître d'ouvrage d'instaurer les conditions de cette concourance, il n'en est pas le seul porteur; d'autres acteurs y contribuent largement.

Une nouvelle stratégie sur le produit

Les acteurs sont unanimes à reconnaître la nécessité de renouveler les conditions de production du logement social et l'importance à en maîtriser la qualité tout en abaissant le coût loyer et charges. Mais la capacité réactive du secteur à imaginer des réponses adaptées à des besoins différents reste à interroger.

Certains maîtres d'ouvrage choisissent d'internaliser des compétences nouvelles et mènent des transformations dans leurs propres structures. Mais quelle ouverture et autonomie laissent-ils à l'architecte? Les analyses menées en interne par les maîtres d’ouvrage peuvent certes aider l’architecte à mieux cibler la demande, à explorer les fonctionnalités et prestations, mais ce cadrage préalable effectué en interne présente le risque d'être quelque peu normatif comme c’est largement le cas en maîtrise d’ouvrage privée.

Le renouvellement des méthodes reste encore très limité sur l'analyse de l'usage. La prise en compte des coûts d'entretien des immeubles a amorcé un progrès en ce sens et la maîtrise d'ouvrage acquiert ainsi une vision à plus long terme de son parc, de la situation de l'immeuble et de sa proximité aux équipements, à la ville. Une voie indéniable de progrès consisterait à mieux explorer le périmètre du produit, son cycle de vie, ses valeurs environnementales et urbaines, faisant le lien entre qualité de vie, usage du logement et solutions techniques. Tous les intervenants sont appelés à proposer des solutions nouvelles et adaptées à une plus grande variété de demandes.

Faire évoluer les rôles

L'ingénierie du projet reste encore à organiser; plusieurs acteurs se partagent les mêmes tâches et se disputent les contrats. L'architecte y occupe une place privilégiée par ses compétences de synthèse, mais il doit montrer son aptitude à s'inscrire dans un espace de conception partagé où d'autres ingénieries internes ou externes à la maîtrise d'ouvrage ont également leur rôle à jouer. Il en est de même pour le suivi d'exécution que d'autres intervenants lui disputent : animateurs, pilotes et coordinateurs divers, entreprises de construction. Pour leur part, les maîtres d'ouvrage signalent manquer de ressources et de liberté dans cette mobilisation de compétences.

Pourtant, c’est bien à eux qu’il revient de maîtriser la complexité du projet.

L’élaboration du programme et l’organisation du projet. Cahier Thématique

Sous la direction de Jacotte BOBROFF (ENPC - LATTS)

L’établissement du programme est l’acte fondateur d’une opération de construction. C’est le maître d’ouvrage qui l’effectue, qui en a la responsabilité et qui en suivra la réalisation. Mais l’élaboration de ce programme est déjà une étape de croisement de savoirs et de compétences internes à la maîtrise d’ouvrage, et externes, avec d’autres acteurs ou décideurs.

Aussi, l’organisation même du projet est-elle, comme la formulation du programme, au coeur du métier de la maîtrise d’ouvrage. Comment celle-ci réunit-elle les expertises nécessaires ; quels outils de dialogue et de validation met-elle en place ; comment fiabiliser la commande et susciter des offres innovantes? Telles sont quelques-unes des questions abordées par l’atelier thématique portant sur l’élaboration du programme et l’organisation du projet de construction.

Les réflexions de cet atelier accompagnent ainsi les évolutions de la maîtrise d’ouvrage sociale et les préoccupations actuelles des acteurs de la construction pour renouveler les produits et les process de construction.