L’ORGANISATION QUALIFIANTE DE CHANTIER

Tout le monde est d’accord sur ce point : c’est dans l’organisation qu’il faudra aller chercher les gains de productivité. Bien que l’organisation du chantier soit primordiale, elle ne constitue qu’une partie de l’édifice; c’est l’organisation globale de l’entreprise qui doit évoluer. Répondre à des marchés de plus en plus diversifiés, plus complexes, ou repenser les activités en vue de la réduction du temps de travail, implique en effet pour l’entreprise de réexaminer toutes les composantes de son organisation, de l’amont à l’aval. Une piste intéressante pourrait se trouver dans l’organisation qualifiante dont les principes se fondent sur le travail en équipes ou en cellules, sur l’autonomie des équipes de production, sur un décloisonnement des relations entre les fonctions et sur une redéfinition des modes de gestion de l’entreprise. Objectif : accroître l’adaptation, la flexibilité, et l’efficacité de l’organisation tout en développant une dimension sociale.

Elisabeth Campagnac, chercheur au Latts (ENPC) et Nicolas Froment, ergonome, ont mené une étude visant à dégager les enjeux et les conditions d’application d’une organisation qualifiante dans le Bâtiment. L’article suivant, qui pose les principes généraux de ce mode d’organisation, résume la première partie de cette étude.

Enjeux

Sous ce concept d’organisation dite " qualifiante " émerge un enjeu fort lié à une approche globale de la performance, c’est-à-dire inscrite dans les dimensions organisationnelle et sociale. Par exemple, la prévention des dysfonctionnements s’appuie sur une anticipation et une coordination elles-mêmes subordonnées à des capacités de dialogue, de compréhension et d’ajustement des différents acteurs et fonctions. Mais d’autres enjeux émergent également à travers ce concept; ils sont liés aux rapports qui s’instaurent entre gestion économique et autonomie des équipes de production sur le chantier; aux stratégies de gestion de la main d’oeuvre ou aux acquisitions de compétences auxquelles cette main d’oeuvre devra procéder pour répondre à des contraintes de production plus complexes.

Principes et exigences

Qu’est-ce qu’une organisation qualifiante?

Les auteurs de cette étude la caractérisent suivant plusieurs principes. Tout d’abord, les équipes de production sont définies suivant l’ensemble des activités qu’elles prennent en charge et des objectifs de performance qu’elles doivent atteindre. Il ne s’agit plus d’additionner des tâches les unes derrière les autres mais de les structurer autour d’une " mission " et par rapport à des objectifs. But : responsabiliser les compagnons et leur fournir une vision synthétique de leur travail. Il faut donc au préalable qu’objectifs et performances attendues du projet soient expliqués pour que les équipes puissent caler leurs propres objectifs, les plans d’action, ou les outils de suivi. De même, il est indispensable qu’il y ait concertation et communication entre tous les services de l’entreprise de manière décloisonnée afin de développer la co-responsabilité autour d’enjeux communs.

Développer un " métier complet ", c’est-à-dire un métier maîtrisant une plage de savoir-faire technique, d’organisation et de gestion dans un contexte de forte autonomie, constitue le second principe. Il est à noter que le secteur du Bâtiment laisse des marges d’autonomie relativement restreintes aux équipes de production. Si celles-ci travaillent suivant des objectifs de production ou de qualité, avec la possibilité de prendre des décisions seules, il n’en demeure pas moins qu’elles n’ont aucune part dans la détermination de ces objectifs ni, a fortiori, dans le suivi de gestion.

En parallèle, l’organisation qualifiante nécessite que l’entreprise définisse et mette en place des outils d’évaluation des compétences, à la fois pour inscrire le salarié dans une logique d’implication de ses capacités (individuelle et collective), mais aussi pour le reconnaître et le valoriser dans son parcours professionnel.

Les deux premiers principes amènent à reconsidérer la manière dont la hiérarchie appréhende sa fonction d’encadrement; il ne s’agit plus pour elle d’exercer le pouvoir de manière verticale, mais de fixer des plans d’action, de trouver des compromis, d’arbitrer différents points de vue ou de vérifier l’atteinte des objectifs.

Comme le soulignent les auteurs, " l’organisation qualifiante est conçue de manière à utiliser toutes les occasions d’apprentissage dans l’exercice du travail et toutes les possibilités de transfert de connaissances entre personnes aux compétences différentes ". Ces " occasions d’apprentissage ", c’est l’analyse et le traitement des situations événementielles qui vont les permettre. L’événement peut revêtir différentes formes : l’événement panne (par exemple l’aléa); l’événement rendez-vous d’acteurs (par exemple les interactions entre gros oeuvre et plombier); l’événement projet (qui est l’approche des particularités de l’opération, le choix du parti constructif et des moyens à impliquer).

De la théorie à la pratique

On le voit, l’organisation qualifiante met en avant des principes très différents de ceux régissant l’organisation actuelle des entreprises. Alors utopie ou organisation de l’avenir? Si le monde industriel semble vouloir s’approprier ces principes, comment le secteur du Bâtiment, qui éprouve plus de difficultés à définir des politiques à long terme, peut-il s’engager dans ce type de démarche? Une ébauche de réponse se trouve dans les pages suivantes qui montrent comment deux REX ont tendu vers une organisation plus qualifiante de l’activité.

La REX d’Evreux a attaqué le sujet selon une approche de type information/concertation des compagnons et une meilleure prise en compte par l’amont de leur activité.

Sur la REX de Toul, l’équipe a tenté d’aborder l’organisation sous l’angle d’un élargissement des savoir-faire, et d’une participation active des compagnons à l’analyse du travail et à la recherche collective de solutions à des problèmes d’exécution.