ELARGIR LE CHAMP DE COMPETENCE DES COMPAGNONS

A Toul, sur une opération de réhabilitation en site occupé de 346 logements, l’expérimentation comportait une double entrée : modifier l’organisation du travail et renforcer les moyens de communication et de contrôle durant les travaux. L’atteinte du premier objectif passait par une organisation plus souple, obtenue grâce à une diminution du nombre d’entreprises sur le site, afin d’assurer une meilleure continuité dans les travaux. Cette organisation devait notamment se caractériser par une extension du domaine d’intervention des compagnons, autrement dit par un développement de leur polyvalence technique, de manière à réduire les interfaces, impulser un esprit d’équipe et s’orienter vers une prestation globale. Le second objectif, quant à lui, passait par une amélioration de la collecte, l’organisation et la transmission des informations entre le conducteur de travaux, les entreprises et les locataires. A cet effet, il s’agissait d’élaborer des fiches de travaux par logement et par entreprise servant de programme de travaux aux ouvriers et d’instrument de pilotage et de communication au conducteur de travaux.

L’extension de la polyvalence technique des compagnons tombe à l’eau

Le projet d’extension de la polyvalence technique des compagnons avait été conçu dans l’hypothèse d’une forte co-activité à l’intérieur des logements. En réalité, le menu de la maîtrise d’ouvrage ne prévoyait qu’une intervention limitée dans les appartements, avec des natures de travaux peu génératrices d’interfaces. Ainsi, la possibilité de rendre l’organisation plus flexible par la polyvalence technique des ouvriers s’est trouvé compromise. De plus, comme le souligne Paul Kalck (Aressli), évaluateur de la démarche, " en l’absence d’évaluation des effets sur la productivité, la recherche de flexibilité est apparue, pour le conducteur de travaux et les autres entreprises, comme une expérience risquée. S’agissant de ménager le confort des locataires, les contreparties semblaient incertaines : en serait-il amélioré? Qui se soucierait de l’évaluer? ".

Une formation à tonalité qualifiante

L’équipe s’est donc centrée sur le second objectif de l’expérimentation, à savoir l’amélioration de la gestion des informations, cruciale en réhabilitation dans laquelle le conducteur de travaux gère une masse d’informations considérable. Des fiches de travaux, élaborées à partir d’un support informatique, ont permis de répondre à cette attente. Préalablement, des séances de formation à destination des compagnons ont été montées afin de leur apprendre à se servir de l’outil informatique pour qu’ils en tirent parti dans l’optique d’une démarche qualité. Paul Kalck précise bien sur quoi s’appuie cette démarche : " il s’agit de repérer et de classer tous les événements qui se produisent autour du chantier. Est considéré comme événement ce qui est susceptible d’inférer sur le déroulement du chantier et de prêter à des décisions de la part du personnel des entreprises. Les événements sont analysés collectivement du point de vue de leurs causes et de leurs conséquences avant de rechercher des solutions palliatives ou, mieux encore, préventives ". Exemple événement analysé : le problème de passivité des locataires dans la préparation de leur logement qui fait que les ouvriers sont souvent confrontés aux risques de casses lors du déménagement de meubles et redoutent de passer un temps très long à cette opération. Autre point : la formation s’est orientée sur des compétences et apprentissages à tonalité qualifiante des ouvriers : anticipation sur l’activité des jours prochains, coopération avec les autres, communication, capacité à travailler en collectif, etc.

Vers la notion de produit-service

L’application informatique est allée au-delà d’un simple instrument de communication. La mobilisation des ouvriers pour la saisie des données leur a en effet permis de partager l’information afin de construire des mesures améliorant le processus de production. Mais cela a été rendu possible grâce au conducteur de travaux qui les a responsabilisés en les impliquant dans l’analyse des données et la recherche de solutions aux problèmes d’exécution. Paul Kalck le pointe, " leur implication dans le repérage des événements, voire leur participation à l’élaboration des décisions ont permis d’aller plus loin et d’en faire les acteurs d’une démarche qualité ancrée dans l’histoire du chantier ".

Autre point : le passage des compagnons de la dimension " travaux à exécuter " à celle de " produit-service ". Grâce au repérage et au traitement des événements, les compagnons se sont positionnés en situation d’écoute accrue vis-à-vis des locataires. Ils ont de ce fait proposé des solutions, tant sur des décalages d’intervention au planning, que de fourniture de petit matériel ou de dépannage des locataires. " Se prévaloir d’une démarche de produit-service permet au compagnon de reprendre l’initiative en faisant preuve de qualités d’écoute, d’organisation, de professionnalisme, caractéristiques d’une prestation complète et d’en faire reconnaître la valeur au locataire comme au conducteur de travaux " précise ainsi Paul Kalck.

Animer plus qu’imposer

Bien que par le biais de certains transferts de tâches (par exemple les menuisiers ont assuré la sécurité au niveau des branchements électriques de certains convecteurs qu’ils étaient chargés de démonter), certains ouvriers aient élargi leur domaine de polyvalence technique, c’est l’évolution vers un concept d’activité des compagnons qui constitue ici le progrès essentiel. Au travers de la gestion des relations avec les locataires, de la participation à l’analyse du travail et la recherche collective de solutions, de la mise en place d’une approche produit-service, l’organisation leur a en effet permis d’élargir leur champ de compétences, le tout dans un contexte d’imagination, de prise d’initiatives et de dialogue renforcés.

De même, le repérage des événements, puis l’élaboration de solutions collectives, requièrent de la part du conducteur de travaux des compétences de management qui s’expriment plus en termes d’animation du dialogue, de recherche de compromis ou d’apaisement des conflits que de solutions directives. Et c’est bien ce qui s’est passé sur cette opération qui a ouvert des perspectives sur une organisation plus qualifiante de l’activité.