ENTRETIEN AVEC DENIS LEJARS

"La pression économique fait que chacun s'organise suivant ses propres besoins"

Denis Lejars, directeur de travaux de Campenon Bernard Régions, pense qu’il est actuellement difficile d’évaluer tous les gains économiques liés à la logistique. Mais selon lui, cette démarche permet d’obtenir des gains de délais et de bonnes relations partenariales avec les sous-traitants concourant à une meilleure qualité du produit.

CHANTIERS 2000 : Sur cette opération, vous aviez fait un effort particulier sur les cantonnements. Il s'avère qu'ils ont été peu utilisés par les sous-traitants. Pourquoi?

Denis Lejars : Nous avions mis en place de "magnifiques" cantonnements qui ont été effectivement mal utilisés. Cela tient à plusieurs raisons: la distance avec le chantier (quelques dizaines de mètres) et le fait que les locaux restent ouverts avec tous les problèmes de vols qui s'y rattachent. Chaque sous-traitant arrive à des heures diverses et il n'est pas possible de mettre en place un système de clés. Ils préfèrent donc laisser leurs affaires sur le chantier. Sur ces petits chantiers, avec un effectif réduit et diffus dans le temps, il n'est pas possible de les astreindre à une discipline aussi stricte que sur des gros chantiers.

Vous aviez également mis l'accent sur la propreté du chantier.

DL : Nous avons juste cherché à avoir un chantier nettoyé en permanence. Nous avons autant géré ce problème par les interfaces d'entreprises en favorisant l’intervention unique dans chaque logement de façon à ce qu'elles le laissent propre à la fin de leur intervention, que par la mise à disposition de bennes vidées régulièrement.

La circulation des documents semble avoir posé quelques problèmes.

DL : La maîtrise d'oeuvre n'arrive pas à saisir tout l'intérêt de valider l'ouvrage à construire avant le démarrage. A titre d'exemple, nous sommes obligés de refaire les plans d'exécution de béton armé parce qu'ils ne sont pas précis tant au niveau de l'arrêt de coulage, du ferraillage ou des détails d'exécution alors que ces données sont vitales pour le déroulement du chantier. Tous ces plans doivent être définis et validés. Or, décider un maître d'oeuvre à prendre en compte les validations de plans s'avère une opération très compliquée soit parce qu'il ne veut pas engager sa responsabilité, soit par manque de compétence technique. Le circuit d'approbation des documents est fondamental et devrait être le fruit d'une concertation commune au travers du domaine de compétences de chacun.

Quelles ont été les procédures mises en place pour l'accès au chantier et les aires de déchargement?

DL : Nous avons prévu des procédures précises avec des zones de stockage. Cela nous a permis d'obtenir une organisation rationnelle, en particulier au niveau du stockage des plaques de plâtres qui sont volumineuses. Ainsi, nous avons pu décharger rapidement les camions avec une reprise par la grue dès que celle-ci était libre. Par ailleurs, une aire supplémentaire, accessible aux camions, s'est libérée en cours de chantier. Ainsi, nous avons eu la possibilité d'approvisionner les bâtiments facilement. Pour le plan d'installation, nous avons essayé de différencier les périodes du chantier. Il est évident qu’il évoluait en fonction de l'avancement du gros-oeuvre. Nous avons monté les cages 4 et 3 dans un premier temps. Cela nous a permis, pendant que l'on montait les cages 1 et 2, de mettre la grue à disposition pour le montage de la charpente, l'approvisionnement des plaques de plâtre et des fenêtres. Il faut avouer que les contraintes de site n'étaient pas très importantes, ce qui a largement favorisé la circulation des camions et permis d'obtenir des aires de stockage assez importantes.

L'entreprise Gounot a refusé dans un premier temps toute solution collective d'approvisionnement des Carrobric et des doublages. Pourquoi?

DL : Cela tient au fait que l'approvisionnement nécessite cinq personnes et que l'entreprise n'était pas certaine de pouvoir disposer de la grue. Elle désirait donc approvisionner par ses propres moyens, en stockant en pied de cage et faire venir soit des grues mobiles soit des monte-charges en façade. Il a fallu décharger quelques camions avec reprise par la grue pour leur prouver que notre démarche était efficace.

Le planning TCE a été élaboré sans véritable concertation avec les sous-traitants. Pourquoi?

DL : La pression économique fait que chacun s'organise suivant ses propres besoins. Il est assez rare que l'intérêt individuel recoupe l'intérêt commun. Les critères que les corps d'état nous fournissent sont basés sur les contraintes de leurs entreprises et non sur celles du chantier. C'est pourquoi nous sommes directifs.

Les corps d'état secondaires ont-ils été associés aux réunions de préparation de chantier?

DL : Complètement. Néanmoins, nous avons été directifs parce qu'ils ne connaissent pas réellement leurs besoins en matière d'approvisionnement. Ils travaillent de manière empirique et sont dubitatifs lorsqu'on leur propose une façon différente de faire. A titre d'exemple, le menuisier n'a vraiment compris ce qu'était une recette à matériaux que lorsqu'il l'a vue fonctionner concrètement.

Les corps d’état sont capables de faire une projection d’organisation logistique, mais uniquement sur leurs propres besoins. Ils ont par contre des difficultés à les définir (en matière de levage par exemple) à partir du moment où ce ne sont pas eux qui les maîtrisent complètement. Il leur manque une vision globale du chantier et les solutions qu'ils imaginent sont fermées; elles ne prennent jamais en compte les besoins des autres. Il est exact qu'à leur niveau ils détiennent des solutions, mais je ne suis pas certain qu'elles soient efficaces en termes de rentabilité et d'efficacité globales.

L'entreprise de plomberie initialement prévue dans la démarche logistique en a été écartée. Pourquoi?

DL : Le plombier approvisionne au coup par coup à un stade relativement avancé du chantier. Les cloisons sont déjà fermées et la grue démontée depuis longtemps. D'autre part, il monte une baignoire par jour et il nous a semblé inutile d'établir une procédure d'approvisionnement qu'il n'aurait pu pérenniser par la suite. Il avait été imaginé à une certaine époque de faire un colisage du matériel de chaque logement (baignoire, lavabo, WC...). Ceci a été abandonné parce que ça nécessitait d'approvisionner très tôt et qu’il en résultait un encombrement au niveau des logements. De plus, il aurait fallu un colisage qui évite tout risque de chocs et de vols.

La démarche logistique a essentiellement porté sur l'usage de la grue. Vous n'avez pas imaginé d'autres solutions?

DL : Sur des immeubles à R+4, il est difficile d'imaginer autre chose. Sur des bâtiments à R+10, vous pouvez effectuer des mises en route prématurées d'ascenseurs, etc... La démarche s'est donc concentrée sur la phase de disponibilité de la grue. Nous avions déjà tenté des expériences de ce type, mais au coup par coup et de façon improvisée. L'expérimentation nous a permis de structurer cette démarche. Ce qui a favorisé cette optimisation, c'est une préparation précise de leur travail, à partir de fiches descriptives, par les sous-traitants. Nous n'avons rien inventé mais nous avons optimisé la démarche et nous nous sommes donné les moyens de la respecter. Cela peut paraître simple, mais si vous n'anticipez pas sur la neutralisation de la grue, vous vous retrouvez rapidement dans une situation désorganisée.

La démarche logistique induit-elle une vision différente de la conduite de travaux?

DL : Tout à fait. Elle oblige le conducteur à avoir une vision très en amont du chantier et à définir les paramètres financiers qui se rattachent à la mise en place d'une telle organisation. L’analyse économique instantanée ne démontre pas l'intérêt de prévoir une telle organisation puisque, de toute façon, les sous-traitants se débrouilleront pour acheminer leurs matériaux! Ce qui joue fortement, c'est que nos relations avec eux sont bien meilleures et que si ça se pérennise, ils en tiendront compte dans leurs coûts d'approvisionnement. Mais il est vrai qu'on a plutôt tendance à réagir sur le coup, uniquement par rapport aux éléments financiers du chantier en cours. Comme le gain n'est pas évident, nous finissons par nous organiser de nouveau en fonction de nos propres besoins. Le volant d'activité est actuellement insuffisant pour pérenniser des relations de partenariat et, par conséquent, pour apprécier à terme les gains financiers d'une telle organisation. Malgré tout, lorsque nous travaillons en entreprise générale, nous tentons de reproduire une telle organisation parce que c'est notre intérêt. Nous obtenons des gains de délais et de bonnes relations avec nos sous-traitants qui amènent à une meilleure qualité du produit. Le bilan financier de la REX de Saint-Chamond n'est pas vraiment positif pour nous mais nous ne pouvons pas mesurer ce que ça nous aurait coûté si l'opération s'était mal passée. Par contre, cette démarche nous a permis d'obtenir un gain de délais et une réception sans réserves.