VERS UNE DÉMARCHE ENRICHIE DE CONDUITE DE CHANTIER:
UNE COLLABORATION ENTREPRISE-ERGONOME
L'opération de Beauvais constituait le cadre d'une recherche-action effectuée par l'entreprise QUILLE PICARDIE et le Groupement d'Ergonomie de la Région Nord (GERN), dans la perspective d'une amélioration de la prévention (sécurité et conditions de travail) sur les chantiers. Son objectif principal était d'enrichir la démarche de conduite de chantier, en intégrant aux différentes phases du projet les conditions de travail et de sécurité, et en associant les compagnons à la préparation et à l'organisation du travail. L'analyse préalable avait mis en évidence la nécessité d'une meilleure connaissance et prise en compte de l'activité réelle des compagnons et de leur implication dans la conception et la préparation du travail. Plus largement, l'objectif des entreprises est de mieux gérer la variabilité et les aléas du processus de construction.
LA CONSTITUTION D'UNE ÉQUIPE PROJET
En entreprise, la conduite d'un projet comporte classiquement:
- la phase commerciale, dans laquelle sont impliqués les services études et le commercial;
- la phase réalisation qui concerne les services travaux, méthodes et matériel.
Le cloisonnement entre ces deux phases est réel. A Beauvais, la constitution d'une équipe-projet, animée par l'ergonome, a favorisé une confrontation utile. Les analyses faites par le commercial ont permis à l'équipe travaux et aux méthodes de se construire très tôt une représentation plus précise de l'ouvrage. En retour, le commercial a bénéficié des expériences des services travaux.
De plus, l'équipe-projet a rencontré les architectes. A partir d'une lecture commune des plans et une explication du projet, l'objectif était de mieux repérer les spécificités et points particuliers du projet architectural, afin de mieux les intégrer en phases préparation puis réalisation du chantier. En fait, les architectes ont surtout développé la philosophie du projet (insertion urbanistique et sociale dans le quartier). Si la rencontre a été jugée utile par l'équipe-projet - du fait d'une meilleure compréhension des choix architecturaux - l'objectif initial n'a été que partiellement atteint. Cet enjeu, dont l'importance est souligné aujourd'hui par la fonction du coordonnateur sécurité, est de permettre l'anticipation des conséquences - en termes de conditions de travail et de sécurité - des choix de conception architecturale ou de méthodes de travail.LA PARTICIPATION DES COMPAGNONS A LA PRÉPARATION DU TRAVAIL
Les analyses préalables s'étaient attachées à décrire les modes opératoires réels des compagnons dans différentes situations. Elles révélaient leurs compétences opératoires et leur savoir-faire pour faire face aux contraintes de la situation, aux aléas et aux exigences des tâches. En même temps, elles montraient des coûts importants en termes de fatigue et d'exposition à des risques, par manque de moyens adaptés ou défauts d'organisation face aux variabilités rencontrées. D'où l'idée d'expérimenter les conditions à réunir pour valoriser les savoir-faire des compagnons dans la préparation des tâches en y intégrant les dimensions conditions de travail-sécurité.
Lors de la préparation du chantier, le service méthodes a identifié cinq points particuliers : la pose des prédalles, la pose des poutres consoles, l'étaiement et la pose des coursives, les coffrages et les maçonneries. Il a alors élaboré des supports graphiques pour les réunions de travail avec les compagnons (éclatés du bâtiment en 3D et schémas de phasage des tâches). Ces 5 réunions - conçues comme partie intégrante du travail et prises sur son temps- se sont déroulées environ 10 jours avant le démarrage effectif de la tâche. Elles ont été animées par le conducteur de travaux et le chef de chantier.
Les supports ont permis aux compagnons de mieux se représenter les conditions de leur activité future. Ils ont donc pu réfléchir, avec leur encadrement, aux organisations permettant un travail plus efficace, dans des conditions acceptables. Une évolution du mode participatif a été notée. Les compagnons sont passés d'un stade de demande à un stade de proposition: remise en cause de matériels (garde-corps, plate-forme d'approvisionnement en maçonnerie) et modes opératoires. Ainsi, ces réunions ont été l'occasion de reformuler des demandes et suggestions habituellement faites " sur le tas " et souvent peu prises en compte.BILAN
Impliquer les compagnons dans la préparation du travail revient à reconnaître et valoriser leurs connaissances et savoir-faire, indispensables à la réussite du chantier. Les conditions de la participation sont exigeantes. Elles supposent une évolution dans le travail des méthodes et de l'encadrement de chantier. Au regard des enjeux actuels du secteur de la construction, une meilleure connaissance de la gestion de la variabilité et des aléas et sa prise en compte dans la préparation du chantier et du travail sur le chantier, constitueront une avancée utile pour tout ce qui touche à la conception de la prévention. La préparation du travail sur le chantier poursuit et enrichit la préparation de chantier.
L'expérimentation a démontré tout l'intérêt d'un rapprochement des différentes logiques d'acteurs, de la circulation des informations et d'une remontée des contraintes du chantier jusqu'à la préparation. Dans le pointage de l'avancement du chantier, il aurait cependant été intéressant de vérifier, par exemple, comment le recalage du cycle de gros-oeuvre influait sur l'organisation du travail et donc sur la sécurité.
D'autres pistes restent à explorer, notamment dans la perspective de la loi du 31/12/93 visant à améliorer la sécurité sur les chantiers (cette recherche-action est antérieure à la parution des décrets d'application de la loi). A ce titre, il sera intéressant d'examiner, avec le maître d'ouvrage, les possibilités d'intégration de la sécurité dans son cahier des charges; l'appréhension par l'architecte de la sécurité dès le stade de l'esquisse ou sa meilleure intégration, par le maître d'oeuvre, dans le CCTP. La rédaction du PHS manquait de fondements, faute d'informations suffisantes sur la conception de l'ouvrage et l'organisation future du chantier. La réflexion des acteurs devra évoluer dans ce sens.