RÉSUMÉ  


Cette contribution décrit la réalisation d'un projet d'infrastructure nord-européen notoire: le lien fixe de 16 km du Storebaelt, reliant l'Est et l'Ouest du Danemark. La construction de ce lien, achevée en juin 1998, pour un montant total de 22 milliards de couronnes danoises (prix 1988), a réuni une série de consortiums multinationaux. Notre recherche a porté sur l'analyse de la politique publique, des stratégies d'entreprises et du management technologique, dans la perspective de la constitution d'un marché européen de la construction et de l'ouverture à la concurrence internationale. Il retrace l'historique du processus de décision publique, en s'appuyant sur l'examen des plans et des spécifications du projet. Il développe une approche constructiviste en montrant comment la multitude d'intérêts en présence a conduit à un agrément sur la conception d'un lien fixe combinant la route et le rail.

Pour la première fois dans la politique de transport au Danemark, le régime de la concession est appliqué à un projet d'infrastructure. La société publique concessionnaire ne mise, en retour de ses investissements, que sur les péages pour les automobilistes et sur les taxes versées par la compagnie publique de chemins de fer. En effet, les infrastructures de transport au Danemark ont toujours été, jusqu'ici, financées sur le budget annuel de l'Etat et gérées par des agences publiques dépendant du Ministère des Transports.

Après une présentation des grandes étapes de la chronologie du lien fixe et de son organisation, l’analyse porte sur les montages contractuels. Trois d'entre eux concernent des grandes entreprises associées en joint ventures internationales tandis que le quatrième - le contrat de travaux pour le pont de l'East bridge - a été attribué à une entreprise générale italienne. Cette diversité traduit les différentes stratégies du concessionnaire qui, dans ce dernier cas, a retenu l'entreprise italienne sur la base de sa conception de la superstructure.

La différence de cultures managériales et d'organisation, issues de divers systèmes nationaux, a marqué aussi bien les rapports au sein et entre les entreprises que leurs relations au client. D'après l'expérience des équipes multinationales, il semble bien qu'une année soit nécessaire pour obtenir entre elles une coopération efficace.

Une attention spéciale est portée à la construction du tunnel ferroviaire. Le choix technologique du creusement de tunnel répondait à l'origine à des considérations environnementales justifiées par la présence de couches glaciaires en mélanges complexes sous le Storebaelt. L'inondation du tunnel et des machines a constitué un événement marquant entraînant des conséquences pour les entreprises du groupement international, en particulier le changement de direction du projet, qui est passé de l'entreprise danoise au groupe français. Bien que le projet dans son ensemble ait rencontré de graves difficultés sur le plan technologique, et d'importants dérapages en termes de budget et de planning, la livraison du tunnel démontre néanmoins une étonnante capacité à gérer avec succès une technologie innovante et à répondre véritablement au défi technique. Sans doute l'apprentissage organisationnel au sein du consortium a-t-il permis de compenser l'importance des risques encourus.

En conclusion, le cas du Storebaelt est riche d'enseignements pour les différents acteurs de la construction, notamment en ce qui concerne le management technologique et l'apprentissage organisationnel. Les retombées de ce transfert technologique pourraient être exploitées pour les futurs développements en joint venture en Scandinavie et sur le reste du continent européen.