Les principales critiques adressées à l'architecture
financière et institutionnelle du projet sont celles qui ont été
synthétisées dans un discours de la Ragioneria Generale dello Stato, prononcé
en 1994. Trois limites étaient soulignées dans le "modèle TAV":
- les importantes garanties de l'état;
- des mécanismes de concours pas entièrement satisfaisants;
- des améliorations possibles dans les mécanismes contractuels entre les
divers acteurs du projet.
Les garanties de
l'État
Le système de garanties revêt différentes formes, depuis
la couverture des emprunts jusqu'aux obligations et aux compensations de la
politique des tarifs. Par là, le risque se déplace presque intégralement de
TAV (et de ses associés privés) à l'État; sans compter les réactions
manifestées par l'État à la couverture des intérêts intercalaires. La règle
était conçue de façon à garantir le concessionnaire contre des retards dus
à des facteurs environnementaux et politiques. Mais elle peut donner lieu à
des effets pervers dans la mesure où de nombreuses banques actionnaires de TAV
accordent aussi des prêts sur le marché, encaissant donc une partie des
intérêts qu'elles doivent payer, en tant qu'acteur - entrepreneur. Un tel
effet, dû au double rôle d'associé du projet et de financier, avec un capital
de prêt est une autre anomalie du projet TAV par rapport à des formes plus
habituelles de financement de projet, dans lesquelles l'accès des banques au
capital de risque est en principe évité. Dans un tel double rôle, les banques
peuvent être conduites à agir de façon à déplacer leurs revenus sur le
dividende ou sur les intérêts, selon leur bon vouloir, au dépens des autres
acteurs financiers, associés ou non au projet, en particulier les acteurs
publics. Les pertes à gagner qui s'en suivent, pour le projet et pour l'acteur
public, dans le second type de comportement sont évidents surtout si l'on
considère le bas niveau du capital de risque. Comme il a été dit plus haut,
le capital social de TAV - de 100 milliards à la constitution - devait
atteindre une valeur finale de 3000 milliards et avait été délibérément
augmenté une première fois à 1000 milliards en 1994, alors qu'à la fin de
1995 le capital déposé n'atteint que 400 milliards. L'objectif de 2000
milliards est désormais retenu: il s'agit toutefois d'un objectif plutôt bas
par rapport à l'augmentation globale de l'investissement (<10%), et loin des
niveaux les plus habituels dans la pratique internationale (généralement
autour de 30%).
L'exploitation et les recettes futures, face à la couverture
habituelle liée aux politiques de tarifs, repose aussi sur une garantie de
fréquentation minimale. Il s'agit de toute évidence, une fois de plus, de
mesures qui désengagent en grande partie le financier privé des risques du
projet: il est probable que dans le cas où le financier est membre de la
société de projet, cela induit des comportements inefficaces et débouche sur
une certaine déresponsabilisation. L'autorité garante de la concurrence et du
marché a ainsi exprimé une certaine perplexité bien qu'elle ait absous le TAV
pour le mode de désignation des general contractors .
La désignation des
General
Contractors
En octobre 1993, le Consiglio del Stato a reconnu la
légitimité des contrats passés par TAV avec les general contractors,
qui avaient été désignés sans passer par les
concours internationaux prévus
par la directive CEE n.531 de 1990 en vigueur depuis le 1er janvier 1993. Sur
une telle forme de contrat, l'autorité chargée du respect de la concurrence et
du marché a émis un avis favorable, contre lequel cependant une association
d'entreprises exclues a de nouveau fait appel récemment.
Il va sans dire, toutefois que la désignation officielle des
general contractors doit être rattachée au contrat de concession entre
FS et TAV - passé en 1991. On peut y lire notamment: les general contractors
"dovranno essere - o dovranno essere interamente garantiti da - uno dei
principali gruppi industriali italiani. Il Concessionario e il Concedente, hanno
riconosciuto che FIAT spa, IRI, ed’ENI sono soggetti in grado di garantire -
su basi chiavi in mano ed a prezzo forfettario - che le opere e prestazioni da
realizzarsi abbiano adeguati standard qualitativi e funzionali, e siano
completate entro i tempi precisati..." Si l'on passe outre l'exclusion
- de toute évidence préjudiciable - d'éventuelles collaborations étrangères
et l'absence de formalisation des critères de sélection, il est possible
d'assimiler une telle désignation préalable à une sorte de
pré-qualification, identique à celle que l'on rencontre pour les marchés de
travaux avec concours de type sélectifs.
Coûts et délais
La détermination et le contrôle des délais et des coûts
d'un projet sont cruciaux pour les opérations de financement de projet. Les
hypothèses relatives à la fin des travaux et à la mise en service ont déjà
dues être revues, dès l'ouverture des premiers chantiers de Rome-Naples
(printemps 1994). Il est toutefois probable que c'est la partie de mise en
service (approbations, modifications et concertations locales) qui sera la plus
sujette au non respect des délais prévus, tandis que les phases de
construction devraient, quant à elles, être plus ponctuelles, grâce au
système clef en main et aux pénalités prévues. Dans tous les cas, les
difficultés rencontrées lors de la Conferenza dei Servizi et - en
retour - les requêtes fréquentes de TAV pour solliciter la conclusion du
contrat, confirment l'aspect critique de cette phase et les inquiétudes qu'elle
suscite. Les incertitudes sur les délais pourraient donc justifier au moins
partiellement, l'importance - toutefois excessive, selon de nombreux avis - des
couvertures fournies par l'État au projet.
L'approbation de la Conferenza dei Servizi et
l'évaluation de l'impact environnemental ont été rendues difficiles et
problématiques du fait de l'absence de projets vraiment détaillés. Qui plus
est, l'évaluation de l'impact environnemental, même dans ce contexte, n'a pas
été comprise dans le sens d'une confrontation de solutions alternatives, mais
s'est plutôt réduit à une étude d'impact. Des alternatives partielles ont
toutefois été identifiées, sous formes de variantes (technologiques, de
tracé, de processus) et sous formes d'intégration au projet TAV de
prescriptions déterminées.
D'un point de vue extrêmement critique et hostile, le projet
AV est décrit comme une opération que FS (et/ou d'autres) ont voulu réaliser
de façon pressante, peut-être en raison d'une auto-conviction sur l'importance
du projet et sur son utilité sociale; alors qu'il s'agissait d'une opération
que l'Etat n'était pas en mesure de financer intégralement dans l'immédiat.
Le mécanisme financier mis en place ne correspondrait donc à rien d'autre
qu'à l'exigence de retarder les paiements publics dans le temps (TAV comme
forme de la dette publique). La précipitation dans la définition du projet et
dans la désignation des acteurs serait due à cette position. TAV, de son
côté, ne nie pas que FS manifeste une certaine hâte mais en situe la raison
dans la crainte de pertes à venir de parts de marché (qui pour la circulation
des passagers, en absence de changements dans le scénario de l'offre et de la
demande étaient estimées à court terme de l'ordre de 7 à 12%).
Quant aux coûts, les caractéristiques du projet ne
facilitent pas la comparaison avec d'autres travaux ferroviaires: lors des
contrôles de justesse des frais - notamment les contrôles effectués par des
experts étrangers (Arthur D Little, USA; DE Consult, Allemagne) - on a eu
recours à des corrections de paramètres afin de prendre en compte les diverses
caractéristiques du projet et la spécificité des contextes. Si d'un certain
côté, une telle approche semble inévitable, l'utilisation de nombreux
coefficients peut rendre les marges opaques et peut bien se prêter à des
opérations de "convergence", même innocentes - et diminuer la
validité des estimations, en l'absence d'autres expériences comparables.
Il est peut-être préférable de se livrer à une seule
comparaison à titre indicatif - sur les ordres de grandeur - avec une
expérience italienne récente quoique non relative à la grande vitesse: pour
les travaux encore en cours du doublage de la ligne Bari-Taranto, une dépense
de 10 milliards de lires par kilomètre a été prévue. Les coûts prévus pour
les trajets AV, d'après les prévisions les plus à jour, sont supérieures au
double du coût de tels travaux. Pour le trajet Rome-Naples - le seul sur lequel
les travaux aient déjà commencé - le coût unitaire est d'environ 25
milliards de lires. Il faut toutefois tenir compte des coûts importants de la
planification exécutive, de la grande complexité de la ligne (vitesse
supérieure, double électrification, lignes téléphoniques), et des exigences
d'un trajet à grande vitesse (par exemple: les tunnels). Les tableaux suivants
montrent comment le paramètre "tunnel" dans son rapport à la
longueur globale du trajet, se comporte dans les exemples italiens. On voit
qu'il n'y a pas de corrélation avec les coûts relatifs des lignes à grande
vitesse à l'extérieur.
Un autre problème, ou ambiguïté de fond, sur lequel
peuvent se fonder des critiques du bilan global (des coûts effectifs) du projet
AV, est la difficulté d'opérer une distinction claire entre le système AV et
le complexe ferroviaire traditionnel (structure et infrastructure): une
distinction précise contredirait toutefois l'hypothèse d'une totale
intégration des deux réseaux. Les bénéfices indiqués, par exemple, par les
effets de décongestion que produirait le système AV, devraient être calculés
symétriquement en termes de réduction de l'utilisation (au moins à court
terme) des trajets non rapides aujourd'hui saturés.
Comparaison des coûts
trajet |
coût forfaitaire (mds lires 1993) |
longueur totale (km) |
coût kilométrique |
tunnels (%de la longueur) |
Milan-Bologne |
4.480 |
199 |
22,51 |
2 |
Bologne-Florence |
3.230 |
77 |
42,11 |
87 |
Rome-Naples |
5.508 |
220 |
25,04 |
17 |
Turin-Milan |
3.120 |
147 |
21,22 |
3 |
Tableau 8 - Ligne Turin-Milan-Naples |
Les tableaux 8 et 9 donnent une comparaison des coûts
d'infrastructure pour l'Alta Velocità - ligne Turin-Milan-Naples - et quelques
autres lignes à grande vitesse européennes.
ligne |
coût (milliards de lires 1993) |
longueur totale (km) |
coût kilométrique |
tunnels (%de la longueur) |
TGV Sud-est |
6.091 |
417 |
14,61 |
0 |
ICE Hannover-Würzburg |
11.470 |
328 |
34,97 |
37 |
ICE Mannheim- Stuttgart |
4.147 |
99 |
41,89 |
6 |
Tableau 9 - Autres lignes à Grande Vitesse Européennes |
Les conflits entre acteurs publics
Lors des sessions de la Conferenza dei Servizi, TAV, FS et le
Gouvernement se sont souvent trouvés devant de fortes résistances et
prétentions de la part des administrations locales: la soi-disant utilité du
projet AV ne convainc pas au niveau local où elle n'est pas valorisée.
L'acceptation du projet semble devoir être souvent négociée. Une
récapitulation des dépenses pour les interventions "en marge" du TAV
- obtenues par des acteurs locaux lors de la Conferenza - serait peut-être
opportune afin de vérifier leur incidence sur l'investissement global, mais
aussi afin de comparer, par exemple, la relation entre coûts d'abaissement des
impacts et coûts d'investissement des intérêts locaux. Le rôle réel de la
Conferenza dei Servizi en serait clarifié, alors même qu'il oscille entre
un lieu de garantie et de participation des acteurs locaux et un lieu
administratif - au sens péjoratif - de financement et de transferts extra.
Des motions de censure ont été appliquées au comportement
de certaines administrations locales (surtout des grandes municipalités) qui,
à coup d'oppositions et de contre-requêtes, ont eu tendance à arracher à TAV
des financements pour des travaux exclusifs (et de soi-disant) intérêt local.
Quelques exemples: à Florence la demande d'un passage souterrain de 1200
milliards; à Bologne des travaux pour 700 milliards supplémentaires; quelques
demandes pour des centaines de milliards de lire avancées par la Lombardie,
sans aucune véritable évaluation ou analyse de la demande.
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