LE MODE D'ATTRIBUTION DES MARCHES PUBLICS


L'Appalto dei Lavori
La Concessione di Costruzione et de Gestione

L'Appalto dei Servizi pour l'architecture et le génie


Comme nous l'avons remarqué dans les pages précédentes, dans les dernières années, la législation qui réglemente l’exécution des travaux publics a été modifiée de façon conséquente. De par l'inadéquation des législations précédentes, un vaste système de corruption s'était développé dans les attributions de travaux publics. Il fut mis à nu au début des années 90 par de nombreuses enquêtes judiciaires. Sous la pression de l'opinion publique, le parlement a donc modifié la législation précédente. Le nouveau cadre juridique qui veille à l'attribution des travaux publics repose principalement sur les lois n.109 de 1994 et n.216 de 1995.

Aujourd'hui, les systèmes d'attribution des marchés publics auxquels une administration publique peut avoir recours sont essentiellement au nombre de deux : l'appalto ou la concessione (figures 2 et 3). Dans le cas de l'appalto, on peut articuler le processus de réalisation des travaux publics en trois phases successives. La première comprend la décision de l'intervention et la recherche des fonds nécessaires ; la deuxième concerne toutes les activités qui précèdent l’exécution des travaux, de la définition de la forme d’appalto à la rédaction du projet, jusqu'au choix de l'entreprise chargée de l’exécution ; la troisième phase est celle de la période relative à l’exécution de l'ouvrage, jusqu'à l’essai et à sa réception, avec la fermeture du contrat (Zorzi 1989).

La concessione di costruzione e gestione présente aussi un processus de réalisation divisé en ces mêmes trois phases, bien que la distribution des fonctions entre acteurs soit différente. A ces phases s'ajoute celle de l'exploitation, qui se réfère à la période de durée du contrat de concessione et comprend toutes les activités destinées à assurer le fonctionnement de l'ouvrage réalisé. Les deux modalités d’exécution des travaux publics, avec leurs principales variantes sont examinées dans les paragraphes qui suivent.

Les récentes prévisions législatives n'ont pas résolu de façon définitive les nombreux problèmes relatifs à la discussion. Parmi les problèmes qui continuent à se poser notons : le système de qualification des entreprises, toujours fondé sur l'inscription au tableau national des constructeurs plutôt que sur leurs véritables capacités technologiques et financières, les qualités des sociétés d'ingénieurs et des entreprises générales, les implications que la reconnaissance de tels acteurs produit sur l'ordonnancement des professions techniques et sur le classement des entreprises de construction, la réglementation du financement du projet dans la concessione di costruzione e gestione, la discipline de ce que l'on appelle les "settori esclusi" (secteurs exclus). Parmi les forces politiques et économiques, les positions sur ces points divergent non seulement quant aux solutions possibles mais aussi quant aux instruments juridiques à utiliser. Certains estiment que le règlement prévu par la loi 216/95 qui devra émaner du Ministero dei Lavori Pubblici est suffisant, d'autres au contraire évoquent la nécessité d'une nouvelle loi. Cette contribution témoigne par conséquent d'une situation encore transitoire, destinée à subir des modifications qui, sur certains points, pourraient être déterminantes.


L'Appalto dei Lavori

Selon le code civil, l'appalto est "il contratto con il quale una parte assume, con organizzazione dei mezzi necessari e con gestione a proprio rischio, il compimento di un'opera o di un servizio verso un corrispettivo in denaro". A l'appalto, participent donc deux acteurs : d'une part l'administration publique qui, dans le rôle de maître d'ouvrage, est le commanditaire ; d'autre part, l'entreprise qui, recevant la charge de l’exécution des travaux, constitue l'acteur mandataire. Le contrat d'appalto présuppose une prestation de travaux à laquelle correspond une compensation financière.

Le contrat d'appalto peut être stipulé a corpo ou a misura (à prix fortaitaire ou sur bordereau quantitatif). Dans le premier cas, le paiement ne peut être modifié en fonction de la quantité de travail effectué, mais il doit être défini en détails pour l'ensemble des tâches à effectuer définies dans le projet et le contrat. Par contre, lorsque des contrats d'appalto de type a misura sont stipulés, le prix est établi en fonction d'une unité de mesure relative à chaque catégorie de travaux nécessaires à la réalisation de l'ouvrage entier.

Dans la pratique courante, l'appalto a misura est stipulé lorsqu'il est plus difficile de prévoir l'importance exacte des travaux. Sont stipulés "sur quantitatif" les contrats qui, par exemple, touchent à la maintenance, à la restauration d'édifices à échéance fixe ou aux fouilles archéologiques. Il est par contre de règle que soient stipulés a corpo les contrats qui délèguent à l'entreprise le projet exécutif et, plus généralement l'exécution de travaux dominés par la technologie et les installations. Une fois établi le type de contrat par lequel on entend voir se dérouler l’exécution des travaux, un choix ultérieur s'impose quant au système de sélection de l'entreprise. C'est le moment de choisir entre des négociations ou une procédure compétitive, instituant formellement un concours public (voir figure 4).

La procédure ordinaire à suivre pour l'appalto de l’exécution de travaux publics est l'appel d'offres d'appalto, qui a pour objet un projet exécutif proposé par l'administration publique et pour lequel un prix d'enchère est déterminé a priori. A travers une procédure compétitive, le vainqueur est celui qui offre le prix le plus bas, déterminé au moyen d'offres à prix unitaires ou celui qui propose le plus grand rabais sur la liste des prix proposés par l'enchère. Ce modèle présuppose que l'administration se dote d'un projet exécutif et le soumette à un concours, afin de choisir l'entreprise qui devra exécuter les travaux selon une procédure et des critères d'adjudication de type automatique. L'entreprise adjudicataire se limite à des tâches simplement exécutives qui doivent se dérouler sous le contrôle constant de l'administration.

La procédure du concours peut être constituée par l'asta pubblica (appel d'offres ouvert) ou par une offre à licitazione privata (appel d'offres restreint), la différence résidant dans le type de participation autorisée. L'asta pubblica est un concours ouvert : peuvent y participer toutes les entreprises, pour peu qu'elles soient inscrites au tableau national des constructeurs et qu'elles soient en mesure de satisfaire aux nécessités techniques, économiques et financières. Dans le cas d'une offre d'licitazione privata, c'est par contre l'administration publique qui invite formellement au concours les entreprises qui en ont exprimé la demande et qui possèdent les qualités requises pour satisfaire aux critères établis par l'annonce du concours. Les mêmes entreprises procèderont ensuite à la formulation de l'offre sur la base de l'appel d'offres. Pour ce qui est du choix de l'entreprise, le critère reste le même que pour l'asta pubblica.

Au moment de publier l'appel d'offres, l'organisme qui en est responsable est tenu d'indiquer les diverses catégories de travaux nécessaires à l'exécution de l'ouvrage. Les entreprises en compétition peuvent sous-traiter ou concéder sous forme de travail à la pièce chaque catégorie de travaux, à condition que les travaux sous-traités ne dépassent pas dans l'ensemble 30 % de la somme totale à adjuger. Les concurrents doivent indiquer lors de la soumission de l'offre quels travaux ils prévoient de sous-traiter ou de concéder à la "pièce", et qui sont les candidats pressentis pour les exécuter. Ceux-ci doivent en effet répondre aux critères de qualification normalement attendus pour la réalisation des travaux publics d'un montant correspondant aux travaux à réaliser en appalto. Les autres procédures possibles de sélection du contractant sont subordonnées à des conditions spécifiques.

L'appalto-concorso (conception/construction) a les mêmes caractéristiques que le licitazione privata. Il s'agit pourtant d'un système de concours où l'administration publique ne fournit qu'un projet préliminaire et une liste de prestations, alors que les entreprises qui y participent élaborent le projet exécutif des travaux et indiquent les conditions de prix qu’elles sont disposées à proposer. Cette base de contrat est utilisée pour des travaux dont le contenu technologique est élevé et dont le projet requiert des compétences particulières, ou pour lesquels on doit opérer un choix entre diverses technologies, ou encore dans le cas d'interventions de maintenance, de restauration ou de fouilles archéologiques. Dans l'appalto-concorso, il incombe aux entreprises invitées de présenter le progetto esecutivo et d'indiquer les conditions dans lesquelles elles assumeront le contrat. Parmi tous les projets présentés sera retenu celui qui est jugé le meilleur, que ce soit d'un point de vue économique ou d'un point de vue technique. Au-delà du prix, on tient donc compte d'une série d'éléments relatifs à la valeur technique et esthétique, au temps d'exécution, au coût d'utilisation et de maintenance. Les caractéristiques économiques et techniques de l'ouvrage doivent donc être évaluées par une commission spéciale, nommée par le maître d'ouvrage et dont les critères d'évaluation doivent être explicités dans l'avis de concours.

Les possibilités de choisir une entreprise sans passer par un concours formel, en effectuant une négociation selon les procédures privées, étaient monnaie courante dans le passé. Il s'agissait, en particulier dans les secteurs exclus d'une longue tradition. Aujourd'hui, le recours à la négociation privée est limité à trois cas de figure:

  • les travaux dont le montant total est inférieur à 150 000 Écus;
  • les travaux d'un montant supérieur à 150 000 Écus, en cas d'urgence et lorsqu'il s'agit de rénover des ouvrages existants abimés par des calamités naturelles;
  • les travaux d'un montant inférieur à 300 000 Écus, pour la restauration et la maintenance de biens reconnus par l'État d'intérêt historique ou artistique.

Cette procédure prévoit que l'administration contacte les entreprises fiduciaires, en interpellent au moins quinze par un concours informel, et qu'elle négocie successivement avec elles les termes du contrat. Tous les accords relatifs à la formulation du contrat sont définis directement en privé entre le maître d'ouvrage soumettant et l'entreprise choisie.

Selon la forme de contrat choisie et selon la procédure de sélection de l'entreprise adoptée, le niveau de définition du projet élaboré à l'initiative de l'administration publique varie, de même que le rôle de l'architecte ou de l'ingénieur chargé du projet. Notons l'importance à ce niveau de l'articulation du processus de projet opérée par la nouvelle législation. Celle-ci distingue en effet trois niveaux de définition du projet : le progetto preliminare (projet préliminaire); le progetto definitivo (projet définitif); et le progetto esecutivo (projet exécutif).

Dans les contrats d'appalto adjugés par le biais d'une asta pubblica ou d'une licitazione privata, l'administration publique est responsable de tout les projets, y compris de la rédaction du progetto esecutivo en fonction duquel les entreprises entrent en compétition. Dans ce cas, la loi prescrit que la rédaction des projets soient confiée aux techniciens de l’administration ou à d'autres organismes techniques externes, mais appartenant toujours au secteur public. Lorsqu'il s'agit de travaux d'une nature particulière ou lorsque apparaissent des raisons d'urgence, la rédaction des projets peut être confiée à des professionnels externes, qui peuvent assumer aussi la direction des travaux. Malgré cette disposition, introduite par la récente législation, les techniciens de nombreux organismes publics ne sont pas en mesure d'exercer l'activité de rédaction du projet. Par conséquent, celui-ci continue très souvent à être confié à des professionnels externes. Dans les contrats passés par appalto-concorso, par contre, l'administration publique est responsable seulement de la rédaction du projet préliminaire. Comme nous l'avons déjà vu, dans ce cas, c'est l'entreprise qui a la charge du projet exécutif.


La Concessione di Costruzione et de Gestione

Lorsque le contrat a pour objet, non seulement l'exécution matérielle de la construction mais aussi sa gestion ultérieure, l'administration publique peut confier son exécution en concessione, délégant à un concessionnaire une grande partie de ses compétences. Dans ce type de contrat l'administration publique s'occupe indirectement de l'exécution des travaux, dans la mesure où elle transfère à un acteur externe aussi bien les devoirs de financement et d'organisation du processus exécutif que l'exécution des travaux et la gestion ultérieure. Par le passé, l'institution de la concessione était surtout utilisée pour réaliser des travaux publics avec l'aide de sociétés dont l'État était actionnaire. Ceci a pourtant eu des conséquences négatives pour le marché de la construction : ces sociétés, qui grâce au mandat fiduciaire qui leur était conféré ont été amenées à gérer les principales commandes publiques, ont fini par remplir le rôle d'intermédiaires technico-politiques entre l'administration publique et le monde des entreprises.

La concessione n'a pas été seulement utilisée pour la construction et la gestion, mais aussi pour la seule construction, dans le but de dépasser les carences techniques de l'administration publique pour ce qui est des diverses fonctions liées à la promotion de l'ouvrage (expropriations des zones, projet, etc...). Grâce aux concessions, les entreprises du système actionnaire d'État ont pu jouir d'un marché protégé et accroître dans une large mesure leur poids dans le secteur de la construction. Ces emplois déformés de la concession ont participé à la diffusion de la corruption et à l'inefficacité du fonctionnement du marché des travaux publics, ce qui explique la forte défiance à l'égard de la concession et les grandes difficultés rencontrées lorsque l'on tente d'en améliorer la réglementation.

Selon la discipline en vigueur de nos jours, le recours à un contrat de concession se justifie par la possibilité pour l'organisme concédant de transférer à un tiers capable de fournir des preuves de gestion, le financement des travaux publics. La construction de l'ouvrage devient donc l'instrument de la gestion d'un service public futur. Dans ce cas, la contrepartie en faveur du concessionnaire, qui assume totalement les dépenses de réalisation, consiste uniquement dans le droit de gérer et d'exploiter économiquement les ouvrages exécutés.

Un ouvrage public constitue pourtant en principe un cas de faillite du marché. Ainsi, quand bien même on en arrive à une situation où les bénéfices de la gestion de l'ouvrage ne seraient pas suffisants à couvrir totalement les investissements effectués par le concessionnaire (dans le cas, par exemple, où des tarifs administrés ou contrôlés seraient appliqués), l'administration publique peut garantir l'équilibre économico-financier grâce à un prix qui toutefois ne peut excéder 50 % du montant total de l'ouvrage.

Dans le cas du contrat de concession, comme d'ailleurs dans le cas du processus d'appalto-concorso, l'administration publique n'est responsable que d'un progetto preliminare ou d'un progetto definitivo. Toutes les phases successives du projet exécutif sont attribuées au concessionnaire, qui assume la responsabilité du processus intégral de la réalisation de l'ouvrage et de sa gestion future. La remise des contrats de concession doit se faire selon les mêmes procédures que l'offre de licitazione privata. Il est cependant nécessaire, lors du choix du concessionnaire, de tenir compte d'une multitude d'éléments ayant trait aussi bien à l'aspect technique qu'à l'aspect économique du projet, plutôt que de l'offre la plus basse. Notons en particulier la valeur technique et esthétique du projet, les temps d'exécution des travaux, le rendement, la durée de la concession, les modalités de gestion et les tarifs qui seront appliqués.


L'Appalto dei Servizi pour l'architecture et le génie

Le déroulement du projet sous la responsabilité des techniciens de l'administration coexiste dans la pratique avec l'emploi de personnel professionnel externe. Dans ce cas, la tradition veut que le choix de ces professionnels soit fait sur une base discrète et directe. La législation a toutefois été rendue conforme en 1995 à la directive européenne qui régit les services relatifs à l'architecture et au génie civil, de manière analogue aux appels d'offres publics. Les appalto dei servizi (contrats des prestations professionelles), selon la nouvelle règle, peuvent être attribués par l'administration publique selon les modalités de concours suivantes : procedura aperta (procédure ouverte) procedura ristretta (procédure restreinte), procedura negoziata (procédure négociée), concorsi di progettazione (concours de projet).

Dans les procedura aperta tous les intéressés peuvent présenter leur offre, alors que dans les procedura ristretta ne peuvent le faire que les acteurs invités par l'administration. Dans la procedura negoziata, les administrations consultent les intéressés et négocient les termes du contrat. Les concorsi di progettazione publiés avec ou sans l'attribution des prix, permettent à l'administration de disposer de plusieurs plans ou projets, qu'une commission spéciale sélectionne et adjuge.

Les critères d'adjudication du contrat indiqués par la directive communautaire sont les suivants:

  • l'offre la plus avantageuse d'un point de vue économique, évalué par des critères tels que la qualité, la valeur technique, les caractéristiques esthétiques et fonctionnelles, l'assistance technique et le service d'après vente, les termes de consigne et le prix ;
  • le prix seul.

Toutefois l'Italie, dans son adoption de la directive, a renversé l'ordre des critères et donné la priorité au prix le plus bas pour les services de valeur égale ou supérieure à 200 000 Écus. Ce choix a été indubitablement influencé par les enquêtes judiciaires sur les marchés publics et a marqué une préférence pour un critère unique pouvant être traduit en indicateur difficilement contestable. La charge du projet est par ailleurs incompatible avec l'adjudication au même acteur des contrats relatifs au travaux et services en projet.

La nouvelle modalité de délégation des tâches relatives au projet se substitue progressivement au rapport traditionnel de confiance entre administrateurs publics et professionnels. Toutefois sa diffusion rencontre de fortes résistances : elle entre en conflit avec des comportements et des procédures qui ont de profondes racines, que ce soit à l'intérieur de l'administration publique ou dans le monde des professions techniques. D'une part les administrateurs publics sont rétifs à se priver de leur pouvoir de dévolution, souvent utilisé à des fins de clientélisme, d'autre part les organisations professionnelles des architectes et des ingénieurs contestent la priorité conférée au critère de rabais maximal par rapport à l'offre la plus avantageuse d'un point de vue économique, et défendent les tarifs professionnels qui jusqu'à ce jour, selon la loi, ont reconnu la force du minimum inéluctable. Les normes par ailleurs apparaissent d'une application incertaine et appellent des précisions au niveau du règlement exécutif, dont la formulation est attendue sous peu.