LE SYSTÈME DES ACTEURS

Le mandatement
La commande privée
La structure de l'offre
La fonction technique


Le mandatement

La construction est un secteur de l'économie où l'intervention de l'Etat, de par ses multiples articulations territoriales et sectorielles, est de premère importance. Elle se réalise aussi bien par le biais de la dépense directe que par le biais d'une activité régulatrice, selon des combinaisons qui échappent véritablement à la systématisation tant elles sont changeantes dans le temps et dans l'espace. Le rôle régulateur s'explique par l’existence de normes techniques de l'activité immobilière, mais aussi par la définition des règles à appliquer dans l'attribution des travaux publics. Les normes techniques, qui intéressent aussi bien le secteur immobilier privé que public, assurent que les travaux suivent des niveaux déterminés de prestations en matière de sécurité, de qualité, d'accessibilité, de salubrité… Les normes de procédures d'attribution des travaux publics s'attachent par contre à marquer les critères de transparence et d’efficacité de la dépense publique.

Bien évidemment toutes deux ont une influence sensible sur le fonctionnement global du marché de la construction et sur le système contractuel, entendu comme "ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables" (Crozier et Friedberg 1977 p 286). En effet, la rationalité économique des agents s'accomplit dans le cadre des règles de fonctionnement du système de la construction telles qu'elles sont fixées par l'État.

Toutes les constructions relevant du secteur immobilier résidentiel, ou du secteur immobilier non résidentiel, ou encore du génie civil, réalisées grâce au financement d'organismes publics, sont traditionnellement définies comme travaux publics. La dépense publique dans le secteur des constructions est une dépense de transformation qui, par la production de biens utilisables par des individus ou des entreprises, contribuent à la richesse nationale par le biais d'une valeur ajoutée. L'importance de la dépense directe, comme nous avons déjà constaté, est telle que l'État joue le rôle de client principal dans le système contractuel national. L'adoption du rôle de client principal de la part de l'État, a été déterminée dans le cours de l'histoire par une série de raisons différentes. Au lendemain de l'unité de l'Italie, l'exigence de réaliser une unification économique et culturelle du pays grâce à un réseau national de routes, chemins de fer, travaux maritimes et hydrauliques, a conduit l'État, de 1861 à 1874 à couvrir 50 % des investissements dans le secteur de la construction (Potenza 1978). Depuis 1890, le poids relatif des travaux publics s'est peu à peu réduit pour se fixer autour de 20 % en raison de l'augmentation des investissements dans le secteur immobilier résidentiel et non résidentiel (à noter que ce dernier était précédemment pratiquement absent, à cause du faible niveau d'industrialisation).

Pendant la première guerre mondiale et les années suivantes, la reconstruction du réseau d'infrastructures avait exigé un nouvel engagement financier substantiel de l'État : les travaux publics atteignirent à nouveau de 50 à 60 % du total des investissements. Pendant les années du fascisme, même si les travaux routiers ont conservé une place dominante, l'Etat a entrepris la réalisation d'un grand projet national d’assèchement des marais et d'exploitation des eaux, qui a réclamé de constants travaux d'implantation hydrogéologique et la construction de bassins et de digues. Après la deuxième guerre mondiale, les nouvelles motivations de l'intervention de l'État sont la reconstruction des villes et des infrastructures, l'accroissement du marché du travail et la satisfaction du besoin de logement. Le poids des investissements publics n'a toutefois plus atteint l'importance qu'il avait eu par le passé, et a oscillé entre 20 % et 30 %. De nos jours, ce sont surtout les exigences du renforcement du réseau d'infrastructure, la requalification et la modernisation des villes qui requièrent une intervention directe de l'État.

En parlant de l'État comme client principal, nous nous référons à un ensemble de acteurs publics vaste et hétérogène. En effet, la dépense dans le secteur public de la construction est confiée à divers acteurs avec une capacité d'investissement autonome. En dehors du gouvernement central (c'est-à-dire de ses ministères), les acteurs impliqués sont des entreprises et organismes publics, dont ceux attachés au territoire. Au total, plus de 12 000 organismes, à divers titre et par diverses procédures, sont tenus de produire ou de réaliser des biens et services publics. Les municipalités en constituent les deux tiers.

Participation des divers organismes aux investissements dans le secteur public (période 1990-1996)

ORGANISMES

%

provinces et municipalités

36,60

ENEL

11,00

ANAS

10,00

Etat

9,80

régions

8,20

Ferrovie dello Stato

7,60

autres organismes locaux

5,80

AGENSUD

3,40

unité sanitaire locale

2,40

organismes de prévoyance

1,50

poste et télécommunications

1,20

autres organismes de l'administration centrale

1,10

municipales

0,60

services téléphones

0,40

monopoles

0,20

forêts

0,20

TOTAL

100,00

source: CRESME et sources diverses

Les centres de dépense majeurs sont un certain nombre d'entreprises publiques qui opèrent sur l'ensemble du territoire national. Cependant, la plupart des investissements sont à la charge des régions et organismes locaux (provinces et municipalités), qui réalisent ensemble plus de 50 % des travaux publics. La multiplicité des acteurs de la dépense et les difficultés de rationalisation et de contrôle de la dépense publique qui en dérivent, représentent un des principaux problèmes dans le domaine des contrats publics.

Selon certains, il serait bon de regrouper la demande, créant sur une base territoriale des structures unitaires aptes à adopter la fonction d'attribution à plusieurs organismes maître d'ouvrage. D'autres soutiennent au contraire que le problème de fond ne vient pas tant du grand nombre d'organismes en jeu que de l'absence de spécialisation et de coordination. L'analyse des travaux relevant des divers types d'organismes d'attribution, souligne en effet une évidente et diffuse superposition de compétences : dans la pratique, tous les organismes peuvent réaliser n'importe quel type de travail.

Les organismes qui constituent cette multitude de points d'attribution ont des capacités techniques et administratives très différentes. Certains dispensent les "attributions habituelles" : le Ministero dei Lavori Pubblici, l'Azienda Nazionale Autonoma delle Strade (ANAS), les régions, les provinces, les Istituti Autonomi per le Case Popolari (IACP), les plus grandes municipalités. D'autres par contre, dont les agences municipales des services urbains, les unités sanitaires locales, les organismes de prévoyance, sont des assignants occasionnels : leur aptitude à promouvoir et coordonner la réalisation de travaux publics est tout à fait différente et s'avère souvent complètement inadaptée. Beaucoup déplorent que, surtout dans les années récentes, ces aptitudes de conception et de coordination d'un projet externe aient considérablement diminué dans toute l'administration publique italienne.


La commande privée

Acteurs du secteur public et leurs compétences

type de travaux

municipalités

provinces

agences municipales

sociétés

instituts autonomes banques populaires

inspections du Ministerio Lavori Publicci

offices périphériques d'autres ministères

routiers

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ferroviaires

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maritimes

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hydrauliques

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production et distribution d'énergie

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réseaux de communications

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construction publique

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ouvrages sanitaires

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assainissements

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transformations foncières

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aéroports

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construction scolaire

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habitations

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source: Censis Servizi 1993

Les investissements privés, représentés par les ménages et par les entreprises, s'adressent essentiellement au secteur immobilier résidentiel et non résidentiel, ce dernier comprenant les édifices de production industrielle et artisanale, de tertiaire avancé, du commerce… Pour ce qui est de la demande exprimée par les familles, celle-ci a, dans les années 60 et 70, privilégié l'acquisition de la résidence principale, vue comme bien d'investissement. Et ce furent surtout les entreprises de construction qui répondirent à cette demande. L'entreprise, en fait, associant le rôle de promoteur à celui de constructeur, rassemblait les demandes exprimées par les familles et convoquait tous les autres acteurs à participer à la réalisation du projet. Ainsi la production des matériaux et des composantes pour l'immobilier était-elle alimentée par une demande concentrée sur peu d’acteurs (les entreprises justement) qui effectuaient des commandes constantes. D'autre part, le produit demandé (l'appartement) était standardisable et les entreprises pouvaient le réaliser selon des typologies immobilières (les copropriétés) qui permettaient de respecter les indispensables économies d'échelle. En effet, pour les familles, la qualité de l'habitation était une exigence secondaire par rapport à la satisfaction du besoin primaire. Plus récemment, le besoin des familles italiennes d'une résidence principale une fois satisfait, une demande de qualité portant sur les améliorations des prestations de l'habitation a vu le jour. Cette nouvelle demande de requalification des habitations, d'un point de vue physique et financier, prend des dimensions extrêmement variables et parfois très limitées. Alors que le marché des nouvelles constructions commence à se stabiliser à un seuil minimal que l'on peut fixer autour de 150-200 millions de lires, celui de la rénovation et de la maintenance comprend aussi des interventions de quelques millions seulement. La demande de requalification, diversifiée pour des raisons de goût et de préférences individuelles, n'est pas standardisable; souvent de petite dimension physique et financière ; elle se montre dispersée dans l’espace et s'adresse surtout au marché des installations et des travaux de finition.

Ces caractéristiques rendent le marché de la construction de plus en plus marqué par un grand nombre d'interventions de petites dimensions promues par des consommateurs qui adoptent la logique de qui acquiert des biens de consommation intermédiaires. Cette modification structurelle de la demande est importante dans la mesure où elle transforme le marché de la construction "dall’essere un mercato tra esperti orientato dal prezzo, in un mercato di inesperti orientato dal rapporto qualità-prezzo" (CRESME 1995).

Les motivations mêmes, dès l'acquisition d'une résidence, se sont modifiées. Les familles cherchent un logement plus grand avec des services de plus grande qualité, situé dans des quartiers munis de services et d'infrastructures. Selon l'opinion générale, il en résulte que la recherche de la qualité du logement ne pourra que s'accentuer à l'avenir. En conséquence, l'activité de promotion du secteur immobilier résidentiel deviendra fortement dépendante du système des goûts et des préférences exprimées par les familles.

Pour ce qui est du secteur immobilier non résidentiel, la demande des entreprises a été et reste conditionnée par un certain nombre de facteurs : la situation économique globale, les politiques publiques en matière d'investissement, les nouvelles formes d'organisation du travail. Une partie de cette demande montre un certain intérêt pour la conversion d'espaces industriels abandonnés, aptes par leur situation et leur dimension, à accueillir plusieurs firmes artisanales et industrielles.


La structure de l'offre

Le chiffre d'affaire des entreprises italiennes est réalisé presque entièrement dans le champ des constructions. Les entreprises italiennes sont effectivement des "constructeurs purs", même si les plus grandes d'entre elles appartiennent à des groupes économico-financiers et se sont diverifiées de manière importante. Leurs secteurs d'activité principaux sont les travaux hydrauliques, les infrastructures de transport, les travaux maritimes, les aéroports, et le secteur immobilier résidentiel. En 1991 les entreprises étaient au nombre de près de 333 000, avec une augmentation de 43 000 unités par rapport à 1981. Cependant, depuis le début des années 90 une tendance inverse s'est manifestée et continue de s'affirmer en 1995. Le nombre de salariés par entreprise, quant à lui, baisse progressivement depuis vingt ans : de 7,6 employés en 1971 on est passé à 4 en 1991. En 1994 les cent premières entreprises italiennes ont atteint un chiffre d'affaires global d'environ 15 000 milliards de lires, sensiblement inférieur à celui de l'année précédente (-14 % en termes courants).

Le groupe le plus important est Impreglio, fruit de la fusion entre Cogefar-Impresit et Lodigiani e Girola, avec un chiffre d'affaires de près de 1 900 milliards de lires par an. La deuxième entreprise, Pizzarotti, n'atteint pas les 570 milliards. Les autres grandes entreprises sont les suivantes : Condotte (420 milliards), Astaldi (400), Lodigiani (360) et CMC (340). Par rapport à l'année précédente, seul Impreglio a augmenté le volume de ses affaires (+12 %), alors que les autres entreprises ont enregistré une baisse qui a atteint des pointes voisines de 60 % (par exemple dans le cas de Condotte).

Du point de vue du propriétaire, la structure du monde de l'entreprise italien est répartie en entreprises privées, coopératives de production et de travail, et entreprises avec participation de l'Etat. En 1994, le poids relatif des cent premières, en terme de chiffre d'affaires, est resté inchangé par rapport à l'année précédente : les 77 entreprises privées ont réalisé 72 %, les 17 coopératives 19 % et les 6 entreprises publiques 9 %. L'organisation du propriétariat s'est cependant montré statique, sans que l'on n'enregistre aucune avance significative au niveau des acquisitions et des fusions.

Par rapport aux autres pays européens, l’Italie se signale de longue date par la forte présence de l'Etat, par le biais des compagnies avec participation de l'Etat. Celles-ci ont en effet constitué, des années 70 jusqu'à leur crise récente, un pôle entrepreneurial de dimension majeure dans le secteur de la construction, jouant un rôle influent dans les opérations de transformation urbaine et de réalisation des grandes infrastructures (D'Amato 1992). Italstat, jusqu'en 1991, et Iretecnica, avec plus de cent sociétés sous leur contrôle dont Condotte et Italstrade, ont formé un groupe polyfonctionnnel de grande dimension en termes de produits immobiliers, d'implantations et d'infrastructures ainsi que de fonctions internes au processus de réalisation. Si ce n'était pour les inefficacités qui lui sont attribuées, suffisamment conséquentes pour rendre irréversible la crise actuelle, on pourrait affirmer que le système des participations de l'Etat dans le secteur de la construction a été pratiquement l'unique exemple national de groupe polysectoriel de grande dimension comparable aux grandes groupes des autres pays européens.

Le niveau de concentration du monde des entreprises italien est très faible. L’entreprise moyenne italienne, généralement familiale, possède un nombre de salariés ne dépassant pas 25-30 unités et un chiffre d'affaires d'environs 5-6 milliards de lires par an. La structure particulière du monde de l'entreprise italien a, d'autre part, été influencé par la politique publique elle-même : au fond, le secteur des petits marchés publics a été déterminant pour le maintien de l'entreprise de petite dimension. D'autre part, le bas niveau de concentration de l'offre a eu pour contrepartie l'accentuation de la spécialisation des unités productives. Ces données apparaissent de plus en plus importantes à l'heure de la demande de flexibilité productive par le marché.

Sous la pression de divers facteurs, dont l'innovation technologique, la question écologique, la demande de qualité du logement et la requalification urbaine, même les entreprises italiennes ont adopté des stratégies compétitives basées sur la diversification et l'intégration, de façon à étendre leur participation aux activités en amont et en aval de la pure construction, de la conception jusqu'à la gestion de l'ouvrage réalisé. Mais plutôt que de suivre des politiques d'acquisition et de fusion, elles préfèrent avoir recours a des formes coopératives, aussi bien de type provisoire que de type permanent. En fait les entreprises italiennes sont liées par un mince réseau d'ententes et accords de collaboration. Au point que dans certains segments du marché, et surtout pour ce qui est du marché des travaux publics, ce réseau de collaborations consolidées tend à créer une organisation de l'offre de type oligopolistique, et même à générer de véritables comportements collusoires afin de réaliser la répartition des contrats.

Le degré de qualification des entreprises est un élément susceptible d’influencer sensiblement l'évolution de la structure de l'offre. Jusqu’à ce jour celle-ci s'est basée sur l'inscription au Albo Nazionale dei Costruttori (ANC-Tableau National des Constructeurs). Pourtant, la loi de réforme des contrats en a décidé la suppression, même de façon partielle et graduelle, et son remplacement par un système obligatoire de certificats de qualité dans la ligne des normes européennes. Dans l'avenir, la vérification fondée sur une série de normes (gestionnaires, organisatrices, techniques, opérationnelles, de contrôle) devra fournir au maître d'ouvrage les garanties nécessaires quant à la qualité de l’entreprise. Toutefois, un système de certification de la qualité ne saurait être improvisé et demande une mise en application graduelle. De fait, seront créées des structures de certification de nature privée supervisées et contrôlées par des organismes publics veillant à en légitimer l'activité. Les entreprises de construction seront, qui plus est, tenues de souscrire à des polices d'assurance décennales, qui prévoiront la responsabilité de l'entrepreneur, du maître d'ouvrage et de ses ressortissants pendant dix années à partir de la date d'achèvement des travaux.

Ces changements importants devront intervenir précisément au moment où la plupart des entreprises se trouvent dans de graves difficultés : en 1994, la perte globale des cent premières entreprises était d'un montant de 340 milliards de lires. Ces difficultés, qui accentuent les résistances au changement, exaspèrent la concurrence et déforment le fonctionnement du marché par le recours à des rabais anormaux dans les soumissions publiques.


La fonction technique

La fonction technique se déroule sous la vigilance de diverses figures, dont l'architetto (architecte) et l'ingegnere (ingénieur) sont les plus hautement qualifiées. La reconnaissance juridique de ces deux professions remonte à 1923. La loi institutionnelle conditionne l'utilisation du titre professionnel et oblige les administrations publiques à confier les tâches aux membres du Albo Professionale (AP - tableau professionnel). La formation et la conservation du tableau est confiée aux Ordini (ordres) provinciaux dont le Consiglio (conseil) est élu par les inscrits. La profession d'architecte et ingénieur, comme les autres, est donc protégée : elle s’inscrit dans le droit à la qualité de l'espace de vie, considéré par l'Etat italien comme un droit du citoyen.

L'AP, unique au départ, fut séparé en 1938. Le tarif professionnel est pourtant resté unique. Fixé par la loi, il établit le tarif minimal revenant au professionnel en fonction des prestations à effectuer pour le projet et pour l’exécution des travaux d'architecture et de génie. Pendant longtemps, ces prestations ont été distinguées en progetto di massima (projet de masse) et preventivo sommario (devis sommaire), progetto esecutivo (projet exécutif), particolari costruttivi e decorativi (détails de construction et de décoration), capitolati e contratti (cahiers des charges et contrats), direzione dei lavori (direction des travaux), et collaudo (essais). La révision d'une telle articulation apparaît toutefois imminente puisque la nouvelle législation en matière de travaux publics définit différemment les phases du projet, les ajustant au processus productif réel.

Au lieu de progetto di massima et progetto esecutivo, la nouvelle législation prévoit trois phases: le progetto preliminare (projet préliminaire) qui peut être précédé d'une studio di fattibilità (étude de faisabilité) ou l'inclure; le progetto definitivo (projet définitif); et le progetto esecutivo (projet exécutif). Cette nouvelle scansion du projet voit dans le progetto preliminare le premier acte d'identification et de définition de l'ouvrage, une fois qu’il a été inscrit dans la programmation d'un organisme public. Le progetto definitivo, quant à lui, exprime le niveau de définition nécessaire pour que l'ouvrage obtienne des financements, alors que le progetto esecutivo requis pour la confirmation du financement constitue le niveau d'affinement du projet nécessaire à l'accomplissement d'un concours de soumission. Dans le cas d'une soumission des travaux sous forme de concessione di costruzione e gestione (concession de construction-exploitation), l'opinion dominante est que le niveau de définition le plus adapté est celui de la phase du progetto definitivo.

Les professions d'architecte et ingénieur sont considérées comme équivalentes devant la loi et la jurisprudence, de sorte que les compétences relatives au champ de l'immobilier civil puissent se dérouler indépendamment l'une de l'autre. La seule exception concerne les travaux dont la nature artistique est prédominante et la restauration controlée par l'Etat des édifices historiques, travaux pour lesquels est prévue une réserve en faveur des architectes. Dans la pratique toutefois, la conception et le projet d'ouvrages importants sont habituellement confiés à l'architecte, alors que le projet des installations technologiques et le calcul structurel sont exécutés par l’ingénieur.

L’anomalie du cas italien est que le titre professionnel d’ingénieur recouvre des compétences résultant de parcours de formation profondément différents. Ainsi, la loi reconnaît-elle aux ingénieurs des diverses spécialisations (chimique, électronique, nucléaire etc..), les mêmes possibilités d'exercice professionnel qu'aux ingénieurs du bâtiment. Se pose donc le problème de distinguer le titre d’ingénieur du bâtiment et de l'associer à celui d'architecte, puisque les deux parcours de formation en faculté d'architecture et en école ingénieur sont devenus similaires. Il est devenu urgent de résoudre ce problème depuis la directive de la CEE sur l'architecture.

L'architecte ou ingénieur, professionnel libre, participe traditionnellement au processus de réalisation d'un ouvrage public comme réalisateur d'un projet dont il a été chargé et pour lequel il sera rétribué par le maître d'ouvrage sur la base d'un accord spécifique. En tant que tel, il est tenu d'exécuter toutes les activités relatives au projet afin de permettre, par le biais d'un concours ou par des négociations privées, la soumission des travaux d'exécution.

Le réalisateur du projet est en principe aussi responsable de la direction des travaux, même si celle-ci peut être confiée à un autre professionnel. Dans le cas de travaux attribués en lots, le direttore dei lavore (maître d'œuvre) est normalement chargé de suivre la construction de l'ouvrage pour le compte du maître d'ouvrage, coordonnant les diverses activités, ordonnant les éventuelles interruptions des travaux, effectuant d'éventuels changements du projet et disposant des paiements en faveur de l'entreprise. Lors de la conclusion des travaux, un architecte ou ingénieur étranger au projet et à la construction - le collaudatore (contrôleur) - est chargé par le maître d'ouvrage d'effectuer l’essai, vérifiant que l'ouvrage a été exécutée selon les règles de l'art et conformément au contrat et à ses variantes. L'essai peut aussi être effectué en cours de travaux. Cette forme de contrôle durant l’exécution des travaux est obligatoire lorsque le montant des travaux dépasse un million d'ecus, et la direction des travaux est confiée à un professionnel externe à l'administration ; ou lorsque l'ouvrage est particulièrement complexe.

En revanche, lorsque l’exécution des travaux est confiée en concession à une entreprise ou à un consortium d'entreprises, et que la concession concerne aussi le progetto definitivo ou progetto esecutivo, le réalisateur du projet et le direttore dei lavore travaillent pour le compte de l'entreprise concessionnaire et sont rétribués par celle-ci. Dans ce cas, la direction des travaux est une attribution propre au concessionnaire, et même si celui-ci est l'entrepreneur de la construction, il tend à coïncider avec la direction du chantier. Le maître d'ouvrage, à son tour, charge d'autres acteurs techniques de contrôler le processus de construction de l'ouvrage.

Dans le cas où les travaux publics sont confiés en concessione di costruzione e gestione, l’essai en cours de travaux devient obligatoire. A l'intérieur de l'administration publique, la nouvelle législation en matière de travaux publics institue la figure du responsabile del procedimento (responsable du processus), représenté par un fonctionnaire avec les compétences techniques requises, qui dirige le parcours procédurier des travaux, du financement à l’essai.

Le rôle de l'architecte consiste traditionnellement à interpréter les exigences du maître d'ouvrage et à concevoir un projet répondant à ses attentes en termes fonctionnels et esthétiques mais aussi "faisable" en termes techniques et économiques. De nos jours toutefois, le progrès scientifique et technologique des constructions, l'attention aux aspects environnementaux du projet ainsi que la conscience plus répandue de l'importance de la qualité, rendent la profession d'architecte de plus en plus complexe, dilatant et articulant les conditions de travail en de multiples champs de spécialisation. L'architecte doit être en mesure de contrôler de nombreux savoirs spécialisés, pour finalement intégrer dans le travail du projet général les diverses figures professionnelles qui détiennent ces savoirs. En deuxième lieu, il doit être en mesure d'élever le niveau qualitatif de la fonction remplie. Enfin, il doit aussi pouvoir assumer les responsabilités croissantes qui lui incombent.

Pour ce qui est du premier point, le système italien, requiert, par la loi et depuis longtemps, la "personalità della prestazione" (personnalité de la prestation), interdisant la formation de sociétés professionnelles sous forme de société de capital, cequi a empêché la constitution de sociétés professionnelles et permis seulement celle d'associations de professionnels, alors que depuis longtemps des sociétés d’ingénieurs existaient, constituées par de grands groupes financiers et industriels de propriété privée ou publique, dont les plus connues sont Fiat Engineering (groupe Fiat) et Bonifica (groupe IRI). La législation la plus récente en matière de travaux et soumissions publics a pourtant légalisé les sociétés d'ingénieurs et admit leur participation aux concours de soumission de projet et de direction des travaux, et même aux concours de projets.

La législation sur les société d’ingénieurs est source de grandes controverses. Un règlement de mise en acte de la loi devra en effet définir les qualités à posséder et les conditions auxquelles elles devront se soumettre. Le débat sur les sociétés d'ingénieurs est très vif : les catégories professionnelles des ingénieurs et des architectes soutiennent que ces sociétés devront êtres distinguées par la prééminence des figures professionnelles et par l'autonomie décisionnelle des éventuelles sociétés d'appartenance.

La question de la législation des société d'ingénieurs est liée à celle de la vérification de la qualité des acteurs responsables de la fonction technique. La perspective est que les études professionnelles, à l'unisson des directives européennes, devront être soumises à l'évaluation d'organismes indépendants visant à la remise de certificats de qualité. Si la certification était limitée à la dimension organisationnelle, la libre profession d'architecte et d’ingénieur, en principe pratiquée de façon autonome ou par le biais de formes faibles d'associations, serait pénalisée par rapport aux sociétés d’ingénieurs. En conséquence, les catégories professionnelles soutiennent que la vérification de la qualité doit se référer à la capacité technique du réalisateur du projet et mettent l'accent sur la certification des parcours professionnels et des projets plutôt que sur une structure organisée de l'étude professionnelle.

Qui plus est, l'exigence d'apporter des garanties au maître d'ouvrage public mène à l'introduction de l'obligation pour les réalisateurs de projets, de souscrire à une police d'assurance afin de couvrir les nouvelles dépenses relatives au projet et les coûts importants de l’exécution des travaux, qui deviendraient nécessaires en cas d'erreurs ou d'omissions lors de la rédaction du projet exécutif. Le réalisateur du projet devra produire une déclaration d'assurance en même temps que son contrat professionnel, la couverture d'assurance maximale étant proportionnelle à l'importance du marché de travaux. L'évolution du cadre normatif a donc, d'une part, stimulé la déresponsabilisation et la déqualification professionnelles très répandues jusqu'à ce jour, et d'autre part elle a esquissé un scénario dense d'incertitudes quant à l'avenir de l'exercice libre des professions d'architecte et d’ingénieur.