TROISIÈME PÉRIODE: 1992-1995


1992-1995 - les déboires de l'immobilier : vers la gestion déléguée de services publics et urbains
Les changements dans l'environnement institutionnel
Le projet de réforme du code des marchés publics
Le système d'assurance et de responsabilité


A partir de 1991, on assiste à un retournement de situation, tant au niveau économique qu'au niveau de l'environnement institutionnel. Nous proposons, dans cette troisième partie, d'examiner d'abord et très rapidement les évolutions dans les stratégies d'entreprises ; puis les changements dans l'environnement institutionnel qui s'ordonnent essentiellement autour des décrets d'application de la loi MOP parus en 1993;


1992-1995 - les déboires de l'immobilier : vers la gestion déléguée de services publics et urbains

La période qui s'ouvre au début des années 1990 correspond à une conjoncture générale très difficile, aggravée, dans le cas du BTP, par l'ampleur de la crise immobilière. L'activité de promotion immobilière privée dans laquelle se sont lancés tous les majors se soldent par de lourdes pertes pour tous. On note chez les grands groupes une redéfinition de leurs stratégies pour limiter le risque, qui se traduit par :

  • une pause dans la croissance externe, tant en France qu'en Europe. Celle ci représente depuis 1989 une zone importante d'implantation ;
  • la cession d'une partie de leurs activités, à la fois pour des raisons stratégiques (retrait du champ concurrentiel) et pour des raisons de gestion patrimoniale (compenser les pertes de l'immobilier, réduire l'endettement) ;
  • le repli vers des activités sans prise de risque, en particulier l'orientation vers la gestion et la maintenance des bâtiments et des ouvrages, publics et privés, mais aussi l'orientation privilégiée vers la gestion de réseaux et de services publics. Cette orientation constitue aussi une base d'appui pour l'internationalisation des grands groupes ;
  • l'intérêt porté aux formes nouvelles de l'action publique.

Les changements dans l'environnement institutionnel

Dans le même temps, le pouvoir jusqu'ici reconnu aux entreprises se voit sérieusement limité par la conjonction de trois facteurs :

  • la réaction organisée des architectes à la loi MOP et leur relatif succès sur le plan juridique: les décrets d'application de la loi MOP qui n'interviennent qu'en décembre 1993, faute de consensus entre architectes, maîtres d'ouvrage et entreprises, consacrent la victoire des architectes: le concours conception-construction, par exemple, est sérieusement encadré
  • le processus d'harmonisation de la législation nationale avec les directives de la Communauté Economique Européenne, puis de l'Union Européenne, vont dans le même sens, en préconisant un recours systématique à la concurrence et une limitation des marchés négociés sans appel à la concurrence ou avec appel restreint ;
  • l'intervention des différents textes de lutte contre la corruption, qui interviennent dans un contexte marqué par différentes échéances électorales qui mettent au grand jour le lien entre la politique et les "affaires".

Les décrets d'application de 1993 de la loi MOP

Attendus pendant près de huit ans, et une nouvelle mission confiée début 1987 à Jean Millier, les décrets d'application de la loi MOP sont publiés, après maintes péripéties, en décembre 1993. Ces hésitations traduisent l'importance des enjeux attachés à la matière réglementée. D'un côté, la maîtrise d'œuvre, en particulier les architectes, ne veulent pas être limités au projet architectural; un consensus peut être obtenu avec les entreprises de second œuvre qui souhaitent travailler en lots séparés.

De l'autre côté, les grandes entreprises, équipées de bureaux d'études étoffés, souhaitent être associées aux études de conception le plus en amont possible et continuer à pouvoir pratiquer la procédure conception-construction. Depuis une dizaine d'années, en effet, toutes les discussions sur la réglementation des procédures de construction publiques sont hautement conflictuelles, en particulier entre architectes et grandes entreprises.

Les décrets qui voient enfin le jour en 1993 (après un changement de majorité au printemps!) sont au nombre de trois: Le plus important définit le contenu des missions de maîtrise d'œuvre confiées à des prestataires de droit privé (architectes et bureaux d'études techniques) et les bases de leur rémunération. Elle remplace enfin la réglementation de 1973 qui continuait à s'appliquer jusque là. Les objectifs de ce décret restent les mêmes que ceux de la loi du 12 juillet 1985: créer les conditions nécessaires pour une meilleure qualité des bâtiments, en clarifiant les rôles et les missions de chacun et en responsabilisant les différents partenaires.

Article 15 du décret

La mission de base comporte (Cf tableau 4):

  • les études d'esquisse ;
  • les études d'avant-projet ;
  • les études de projet ;
  • l'assistance apportée au maître de l'ouvrage pour la passation des contrats de travaux ;
  • la direction de l'exécution du contrat de travaux ;
  • et l'assistance apportée au maître de l'ouvrage lors des opérations de réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement".

Article 16

"Lorsque le maître de l'ouvrage décide de consulter des entrepreneurs (ou des fournisseurs de produits industriels) dès l'établissement des avant-projets, la mission de base tient compte des éléments de mission spécifiques pour les lots concernés".

Tableau 6 - La mission de base

Dans la pratique, le décret introduit un certain nombre de changements fondamentaux par une articulation nouvelle des missions, par l'adjonction de trois missions nouvelles (l'esquisse, le diagnostic et l'examen de la conformité au projet des études d'exécution lorsque celles-ci ne sont pas confiées au maître d'œuvre) et surtout par la définition de la fameuse "mission de base", obligatoire pour les ouvrages de bâtiment - voir tableau 6. La "mission de base" ne s'applique que pour les ouvrages de bâtiment. La loi MOP avait prévu, dans son article 7, que le contenu de la mission de base devait permettre en particulier "au maître de l'ouvrage de s'assurer de la qualité de l'ouvrage, du respect du programme et de procéder à la consultation des entrepreneurs notamment par lots séparés et à la désignation du titulaire du contrat de travaux". Le décret ne fait pas d'allusion directe aux lots séparés.

Pour les ouvrages d'infrastructure, l'article 18 stipule que les études préliminaires ont notamment pour objet de "présenter une ou plusieurs solutions techniques, architecturales, d'implantation et d'insertion dans le paysage pour les ouvrages concernés".

Le décret n'oublie pas l'intervention possible de l'entreprise en conception, mais il codifie cette intervention et crée à cet effet des éléments de mission spécifiques de maîtrise d'œuvre. La condition posée pour que le maître d'ouvrage puisse consulter de façon anticipée l'entrepreneur est la "technicité particulière". La consultation intervient soit à l'issue des études d'avant-projet sommaire ou d'avant-projet détaillé, soit à l'issue des études préliminaires (mais ici seulement pour les ouvrages neufs d'infrastructures).

Quant à la rémunération du maître d'œuvre, elle supprime les barèmes mais respecte les grands principes de la réglementation de 1973, à savoir :

  • le caractère forfaitaire de la rémunération ;
  • l'engagement du maître d'œuvre sur le respect du coût prévisionnel des travaux. Le contrat de maîtrise d'œuvre précise les modalités selon lesquelles est arrêté le coût prévisionnel assorti d'un seuil de tolérance. En cas de dépassement du seuil de tolérance, lors de la consultation des entreprises, le maître d'ouvrage peut demander au maître d'œuvre d'adapter ses études sans rémunération supplémentaire.
  • au moment de la réception (lorsque la mission du maître d'œuvre va jusque là), si le dépassement excède le seuil de tolérance, et bien sûr à condition que le contrat l'ait prévu, une réduction des honoraires est appliquée. Elle ne peut excéder 15% de la rémunération du maître d'œuvre.

Pour l'application de ce décret, un groupe de travail "rémunérations" a été constitué. La question de la rémunération a donné lieu à des débats très vifs entre les représentants de la maîtrise d'œuvre et les maîtres d'ouvrage. Les travaux de ce groupe ont débouché sur l'établissement d'un "guide de la négociation des rémunérations de la maîtrise d'œuvre" en 1994. Réclamé à cor et à cri par les 120 000 architectes, ingénieurs et économistes de la construction, il apporte une dernière pierre au dossier de la loi MOP.

Le deuxième décret porte sur les concours d'architecture. Il fixe les modalités d'organisation des concours non régis par le Code des Marchés Publics, ainsi que les conditions d'indemnisation des concurrents.

Quant au troisième décret, il réglemente strictement la procédure de conception-réalisation utilisée le plus souvent lorsque le maître d'ouvrage fait appel à de grandes entreprises. L'article 18 de la loi MOP de 1985 stipulait que le maître d'ouvrage peut confier par contrat à un groupement de personnes de droit privé, une mission portant à la fois sur l'établissement des études et l'exécution des travaux, lorsque des motifs d'ordre technique rendent nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage.

Le décret cherche à réduire cette possibilité et s'appuie pour cela sur le nouvel article 100 du CMP:

"Il ne peut être recouru à cette procédure que si des motifs d'ordre technique rendent nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage. Ces motifs doivent être liés à la destination ou à la mise en œuvre technique de l'ouvrage. Sont concernées des opérations dont la finalité majeure est une production dont le processus conditionne la conception, la réalisation et la mise en œuvre, ainsi que des opérations dont les caractéristiques intrinsèques (dimensions exceptionnelles, difficultés techniques particulières) appellent une mise en œuvre des moyens et de la technicité des entreprises".

Un an après la publication des décrets d'application de la loi MOP, voici les positions des différents acteurs (Le Moniteur 7 juillet 1995) :

  • Pour l'Union Syndicale des Architectes (UNSFA), la loi MOP reste encore sous-exploitée en particulier concernant: la signature du contrat au plus tard après l'esquisse, les négociations pour la rémunération, le principe de la mensualité du paiement des honoraires, le recours au marché en corps d'état séparés qui implique une mission d'OPC. Les architectes se plaignent aussi du nombre de pièces à fournir dans les dossiers de candidatures pour les concours.
  • Le Syndicat National des Techniciens de la Construction (SYNTEC) estime que la loi est globalement bien appliquée, mais les missions de maîtrise d'œuvre favorisent encore largement l'architecte. Les rémunérations ont été revalorisées sensiblement (de 15 à 20%) par rapport au référentiel antérieur de 1973. Les éléments de complexité sont néanmoins inférieurs à ce que SYNTEC estimerait normal. Seul le développement de vrais partenariats ingénieurs/architectes donnera du poids face aux équipes étrangères. La Commission Centrale des marchés recommande que l'équipe de maîtrise d'œuvre soit constituée dès le départ sous forme de co-traitance.

La conjoncture ne permet plus aussi facilement que dans la période précédente une intervention des entreprises en conception. Le METP est suspect (rapport du Conseil d'Etat de 1993), le concours conception-construction aussi. La crise aidant, les maîtres d'ouvrage recourent beaucoup plus aux marchés passés en lots séparés ou en groupement d'entreprises.

Comment situer dans ce contexte, la réforme en cours du CMP ? Certaines de ses propositions ne sont-elles pas une " réponse" aux décrets d'application de la loi MOP ?


Le projet de réforme du code des marchés publics

Parallèlement à la loi MOP, la réforme du CMP est venue bouleverser le contracting system, moins en ce qui concerne la passation des marchés de maîtrise d'œuvre qu'en ce qui concerne la passation des marchés de travaux. Quatre facteurs de changement sont concernés.

Les modes de consultation des entreprises et les marchés de travaux

La réglementation des marchés publics a été bousculée au cours de ces dernières années, le point d'orgue étant le décret de simplification du CMP du 15 décembre 1992. La réforme du CMP a mis 5 ans pour voir le jour. Les premières mesures ont été prises en 1988 (décret du 6 mai), puis une longue période de maturation et de concertation interministérielle, bousculée par la préparation très mouvementée de la loi Sapin et par le déferlement des directives communautaires.

La réforme du CMP repose essentiellement sur trois décrets qui sont montrés en tableau 7. La réforme du CMP a essentiellement pour but d'assurer la simplification (70 articles supprimés et 124 modifiés), une meilleure transparence, une meilleure efficacité, une éthique des marchés publics.

  • décret du 15 décembre 1992 dit de "simplification" ;
  • décret du 17 décembre 1992 recadrant les marchés à "bons de commande" ;
  • décret du 27 mars 1993 dit "décret anti-corruption" avec en filigrane la loi du 29 janvier 1991 dite loi Sapin, laquelle sera supprimée par la loi du 8 août 1994, puis rétablie notamment pour ce qui concerne la prolongation de délégation de service publics.

Tableau 7 - La réforme du code des marchés publics

Le rapport Bouchery (cahier spécial du Moniteur du 17 juillet 1992) a été très sévère dans le domaine des marchés publics et surtout des délégations de services publics. Il fallait mettre un terme à certaines pratiques juridiques et combler un vide juridique. La prolifération des formes de contrat qui s'étaient développées dans la période de boom ont en effet été souvent "épinglées". Les marchés publics et de délégation de services publics se trouvent au cœur de nombre de procédures judiciaires, "le constat étant que certains détournements de procédures sont à l'origine de regrettables pratiques de financement des partis politiques, voire de corruption" (Le Moniteur, 25 novembre 1994).

Par ailleurs, on a assisté au développement de contrats pour entretenir un ouvrage. A côté des formules classiques des marchés de travaux et de la concession (délégation de service public pour l'exploitation et l'entretien d'un ouvrage) ont fleuri d'autres formules: METP ; VEFA (Ventes en l'État Futur d'Achèvement) ; bail emphytéotique ; bail à construction. Le recours aux METP ou à d'autres marchés de longue durée, motivé par des considérations de financement, font supporter de fait des risques importants aux deux parties.

Le bail emphytéotique administratif est très strictement encadré par la loi du 5 juillet 1988. Les risques de détournement de procédures et donc de sanctions sont élevés, tout comme avec la VEFA. Quant au mandat de maîtrise d'ouvrage, à moins d'une évolution de la jurisprudence administrative, il présente l'inconvénient de ne pas faire du mandataire un constructeur soumis à la garantie décennale.

Les mesures anti-corruption occupent une place non négligeable dans cette évolution du Code des Marchés Publics. Cinq réformes ont été proposées concernant la passation des marchés publics et les délégations de services publics. Elles visent à :

  • assurer la répression du délit de favoritisme, en étendant les compétences de la commission interministérielle d'enquête sur les marchés publics ;
  • donner un effet suspensif au déféré du préfet, en matière de marchés publics et de délégation de services publics ;
  • ouvrir dans ce domaine la saisie de la mission interministérielle à la Cour des Comptes et aux chambres régionales des comptes ;
  • faciliter la tâche des juridictions financières en incitant les Parquets à transmettre au Ministère public auprès de la Cour des Comptes et les chambres régionales, toute information dont ils pourraient être saisis, relative à la gestion des collectivités territoriales.

Les grands groupes concessionnaires seraient donc obligés de produire chaque année un compte retraçant leurs opérations relatives aux délégations de services publics.

La procédure d'appel d'offres a été également réformée (Le Moniteur 21 janvier 1994) et marquée par le retour à la double enveloppe (la première contient des justifications à produire par l'entreprise: garanties financières et professionnelles; la seconde concerne les offres. Seules les enveloppes des entreprises admises à dire sont alors ouverte).

En France, traditionnellement, le lancement d'une consultation des entreprises n'est obligatoire, au-dessus d'un certain montant de travaux, que dans le cas d'un marché public ou d'un marché de droit privé réglementé (exemple: marché de logement social locatif). Le statut du maître d'ouvrage et la destination de l'ouvrage déterminent la nature du marché. Les marchés de droit public sont définis et réglementés par des documents administratifs précis: CMP et CCAG. Parmi les documents du marché, il convient de signaler le rôle des cahiers des charges qui déterminent, en France, les conditions dans lesquelles les marchés sont exécutés. Ils comprennent des documents généraux : les cahiers des clauses administratives générales et les cahiers des clauses techniques générales (pour les travaux de bâtiment, l'essentiel des CCAG est représenté par les Documents Techniques Unifiés (DTU) et des documents particuliers: les cahiers des clauses administratives particulières et les cahiers des clauses techniques particulières.

Pour les marchés de droit privé, la formation du contrat repose sur d'autres bases (exemple : Norme AFNOR PO3 001 du 5 mars 1989). En distingue deux régimes de droit privé :

  • le régime de liberté où le client n'est pas tenu de faire jouer la concurrence. Il peut désigner arbitrairement l'entreprise de son choix ;
  • et le régime réglementé; à quelques détails près, la réglementation est identique à celle des marchés publics.

Les modes de passation des marchés de travaux.

Parmi les contrats passés par une collectivité publique, ceux qui ont pour objet la réalisation de travaux, fournitures et services ont la qualification de marchés publics, et sont à ce titre soumis à des règles particulières réunies dans le CMP. Pour être admis à soumissionner, l'entrepreneur doit remplir un certain nombre de conditions, en particulier avoir les références et la technicité adéquates, être couvert en matière d'assurances, être en règle à l'égard du fisc et de la sécurité sociale, ne pas faire l'objet d'une exclusion temporaire ou définitive des adjudications, en raison de la mauvaise exécution des travaux précédents.

L'Organisation pour la Qualification et la Certification dans le BTP (OQCBTP dont l'appellation a changé dernièrement) centralise tous les renseignements concernant les entreprises de bâtiment, leur potentiel et les travaux qu'elles sont en mesure de réaliser. Un certificat mentionne leur classification correspondant au nombre de salariés, leurs qualifications et leur chiffre d'affaires. A l'initiative de la Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment (CAPEB), le Certificat d'Identité Professionnelle (CIP) a été créé en 1984 pour ces catégories d'entreprises.

Les trois modes de passation des marchés prévus au CMP sont les suivants: l'adjudication; l'appel d'offres; et les marché négociés.

  • L'adjudication . Il s'agit d'un procédé très ancien, généralisé par Sully pour les travaux payés avec l'argent du roi (1608) et par Colbert pour ceux des municipalités (1689). Longtemps, l'adjudication a été considérée comme la règle et le marché de gré à gré l'exception. Aujourd'hui, la procédure de l'adjudication n'a plus la même importance. L'adjudication repose sur le principe que l'attribution se fait au soumissionnaire le moins-disant. L'adjudication peut être "ouverte" (quand tout candidat peut déposer une soumission) ou "restreinte" (quand sont seuls admis à soumissionner les candidats agréés par la personne responsable du marché au vu de références particulières).
  • L'appel d'offres (articles 93 à 97 du CMP) peut être ouvert ou restreint. L'administration choisit librement l'offre qu'elle juge la plus intéressante, en tenant compte du prix des prestataires, de leur coût d'utilisation, de leur valeur technique, des garanties professionnelles et financières présentées par chacun des candidats et du délai d'exécution (art. 97 bis et 297 du CMP actuel) La personne responsable du marché peut décider que d'autres considérations entrent en ligne de compte ; dans ce cas, elles doivent avoir été spécifiées dans l'avis d'appel d'offres. Une offre comportant une variante par rapport à l'objet du marché tel qu'il a été défini par l'Administration peut être prise en considération, si une telle possibilité est expressément prévue dans l'appel d'offres.
  • Les marchés sont dits "négociés" (article 103 du CMP) lorsque la personne responsable du marché engage, sans formalité, les discussions qui lui paraissent utiles et attribue ensuite librement le marché au candidat qu'elle a retenu. La mise en compétition est de rigueur, sous réserve des exceptions prévues à l'article 104. A noter que l'article 83 du CMP indique que pour l'Etat, "les marchés peuvent être passés soit par adjudication, soit sur appel d'offres, soit sous forme de marchés négociés". Pour les collectivités locales et leurs établissements, il est prévu que leurs marchés donnent lieu à adjudication ou à appel d'offres ouvert, "sauf exceptions".

Toutefois, si les marchés "négociés" ne sont pas mis ici sur le même plan que les marchés sur adjudication et les marchés sur appel d'offres (ils figurent comme l'une des exceptions de l'article 279), ils sont quand même prévus par les articles 308 et suivants, et sont en fait couramment utilisés. Bien que les marchés négociés constituent normalement l'exception, on note qu'en 1990, ce mode de passation représentait 50% des marchés publics passés: 46% pour l'Etat, 40% pour les collectivités locales, 78% pour les entreprises publiques (Direction des Relations Économiques Extérieures 1991 p. 144).

Les modes d'attribution des marchés de travaux et les débats actuels sur "la mieux disance".

Les marchés sont en général attribués selon l'une ou l'autre des formules suivantes :

  • "au rabais" : les entreprises proposent un rabais (ou une majoration) sous forme d'un pourcentage par rapport au prix annoncé par le maître d'ouvrage ;
  • "à prix forfaitaire" : l'offre porte et est jugée sur le prix total, les divers prix unitaires servant à évaluer les modifications éventuelles. C'est le montant total qui est contractuel ;
  • "sur offres de prix" : le dossier de consultation contient un cadre de bordereau de prix et un estimatif comportant des quantités. Les entreprises le complètent avec leurs prix. Dans cette formule, ce sont les prix unitaires qui sont contractuels et non le montant total.

Les critères d'attribution des marchés font l'objet actuellement de nombreux débats autour de la notion de " mieux disance", les fédérations professionnelles (FNB, FNTP, SNBATI) menant une offensive centrée sur "l'élimination des offres anormalement basses" et l'attribution du marché au candidat les mieux placés par rapport à un certain nombre de critères hiérarchisés, complémentaires à ceux prévus au Code Civil.

Mieux disance et consultation négociée : le rapport Trassy-Paillogues.

Le recours à la mieux disance pourrait-être d'une certaine façon une réponse apportée à la situation créée par les décrets d'application de la loi MOP. Dans son rapport visant à proposer une réforme générale de la commande publique, M. Trassy Paillogues propose de réduire le nombre des seuils de référence pour les différentes procédures de passation des marchés.

L'innovation la plus lourde de conséquences serait le relèvement de 700.000 F à 1,3 million de F hors taxe du plafond des marchés négociés pour les collectivités locales (et à 900.000 F pour les marchés de l'Etat. Ce relèvement permettrait de faire passer d'environ 50 % à près de 90 % le nombre des marchés publics conclus en procédure négociée. La procédure négociée deviendrait donc ainsi, de facto, la règle de droit commun en matière de marchés publics en lieu et place de l'actuel appel d'offres. Elle ferait l'objet d'un encadrement renforcé au travers de l'institution d'une commission consultative auprès de la personne responsable du marché. Plutôt que de se situer a posteriori, après la sélection de l'offre la plus intéressante, elle propose une intervention plus en amont, au stade du projet de marché. Tandis que l'appel d'offres continuerait à se caractériser par le principe de l'intangibilité des offres, une fois celles ci déposées, les consultations négociées laisseront toute latitude aux donneurs d'ordres de négocier tous les aspects des offres (à condition de rester dans la limite des critères définis en amont par le règlement des offres. Le rapport propose par ailleurs que le nouveau code des marchés publics ne comporte plus d'énumération de critères utilisables (art. 97bis et 297 du CMP) et que les critères de "mieux disance" soit laissée à la responsabilité des donneurs d'ordre. Ils ne seront pas définis par la loi.


Le système d'assurance et de responsabilité

La France est l'un des pays en Europe où le maître d'ouvrage est le plus protégé, par le système juridico-institutionnel, du risque de défaillance des entrepreneurs et des effets des défaillances de l'ouvrage. Cette situation est obtenue par la combinaison des textes relatifs à la responsabilité des constructeurs, et de ceux relatifs aux systèmes de garantie et d'assurances.

Les constructeurs sont soumis en France à quelques types de responsabilités:

La responsabilité contractuelle. Il s'agit de la responsabilité qu'encourent les constructeurs au titre du non respect des droits et des obligations attachées à la relation contractuelle qui les lie aux maîtres d'ouvrage. La responsabilité contractuelle des constructeurs est l'une des questions dont a eu à traiter très tôt le droit appliqué aux opérations de construction. Au moment de l'élaboration du code civil (1804), le droit commun de la construction, qui se résume à la responsabilité contractuelle des constructeurs, tient en peu de textes (articles 1779 à 1792.6 du Code Civil).

Les notions clés, en la matière, sont celles de contrat de louage de l'ouvrage, encore appelé contrat d'entreprise et qui s'applique aux contrats liant l'entrepreneur de construction et le maître d'ouvrage. Il faut toutefois distinguer entre les contrats d'entreprises régissant les entrepreneurs, les architectes et les techniciens. Si on s'en tient à l'exemple des contrats de louage d'ouvrage régissant les entrepreneurs, les obligations respectives de l'entrepreneur et du maître d'ouvrage sont les suivantes:

L'entrepreneur connaît à la fois des obligations de moyens et des obligations de résultat. des exemples d'obligations de moyens peuvent être donnés à travers le choix des matériaux ou de la réalisation conformément aux règles de l'art et aux directives reçues. Il faut toutefois noter que le statut social de la norme technique, plus développé que dans de nombreux pays, est cependant moins absolu que dans d'autres, comme l'Allemagne :l'avis technique, par exemple, autorise le développement de l'innovation technique en dehors des normes. De fait la norme technique est aujourd'hui souvent utilisée davantage comme un outil de dialogue entre les acteurs qui conçoivent, construisent ou gèrent le bâtiment. Ce rôle prépondérant de la norme comme vecteur d'information distingue la norme de construction d'autres normes industrielles.

L'exemple des obligations de résultat peut être illustré par l'obligation de respecter les délais.

Le maître d'ouvrage a pour obligation le paiement du prix, mais il peut opérer des retenues de garanties. Celles ci sont fréquentes dans les marchés privés. Dans le cas du contrat de louage de l'ouvrage passé avec un architecte, ce dernier a pour obligations celles qui sont contenues dans ses missions. Il doit aussi respecter la réglementation, les règles de l'art etc. Dans le cas d'un contrat passé avec les techniciens d'études, le rôle normal de ces derniers est d'étudier un élément précis du projet. Mais ils peuvent dépasser cette limite et envisager une mission plus large voire complète de maîtrise d'œuvre. Dans ce cas, ils encourent la même responsabilité que les constructeurs.

La responsabilité décennale est, avec le principe de présomption de responsabilité qui pèse sur le constructeur, l'élément sans doute le plus notoire du système juridique français, depuis la loi Spinetta du 4 janvier 1978. La responsabilité décennale est visée par les art. 1792, 1792-2 et l'art. 2270 du Code Civil. En décrétant la responsabilité décennale des constructeurs pour vice de construction ou vice du sol l'art. 1792 du code civil, dans sa version de 1804, reprenait un principe consacré depuis longtemps dans la coutume et formulé ainsi par le Parlement de Paris :

"Les entrepreneurs maçons et charpentiers sont garants des édifices qu'ils ont construit chacun à leur égard, pendant le temps de dix ans après leur construction".

La version de 1804 de l'art. 1792 était la suivante :

"Si l'édifice construit à prix faits périt en tout ou en partie par le vice de la construction, même par le vice du sol, les architectes et entrepreneurs en sont responsables pendant dix ans."

Pendant 163 ans, les textes originels du Code Civil (art. 1792 prévoyant la responsabilité décennale, pour vice de construction ou vice du sol, et l'art.2270 prévoyant qu'après 10 ans, les architectes et entrepreneurs étaient déchargés des gros ouvrages qu'ils avaient faits) se sont appliqués. Ces articles originels étaient très sévères pour le maître d'ouvrage car ils l'obligeaient à prouver la faute du constructeur si l'édifice n'avait pas "péri en tout ou en partie".

Après une première modification par la loi du 3 janvier 1967, la loi Spinetta du 4 janvier 1978, bouleverse les principes des textes originels et donne à la responsabilité contractuelle des constructeurs sa configuration actuelle, à savoir qu'elle peut être mise en jeu à trois titres différents :

  • la responsabilité décennale ;
  • la responsabilité biennale ;
  • la responsabilité annale de parfait achèvement.

La rédaction actuelle des principaux articles établissant la responsabilité décennale des constructeurs: Art. 1792:

"Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages mêmes résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que ces dommages proviennent d'une cause étrangère".

Art.2270 :

"Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux, ou en application de l'art.1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article"

L'art. 1792-1 définit ainsi ce que recouvre le terme "constructeur":

"Est réputé constructeur de l'ouvrage:

    • tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître d'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage;
    • toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire;
    • toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un louer d'ouvrage".

La responsabilité biennale ou garantie de bon fonctionnement est visée par l'art. 1792.3 du Code Civil: les équipements qui ne font pas indissociablement corps avec le Bâtiment font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de la réception de l'ouvrage.

La responsabilité annale dite de parfait achèvement par l'article 1792.6 du Code Civil. L'entrepreneur est tenu à la responsabilité de parfait achèvement pendant le délai d'un an à compter de la réception de l'ouvrage. Tous les désordres signalés par le maître d'ouvrage sont susceptibles d'être réparés au titre de cette responsabilité, à la condition d'être mentionnés dans le procès verbal de réception ou d'être notifiés par écrit pour ceux révélés postérieurement.

L'art. 1792-4 du code civil stipule la responsabilité solidaire du fabricant : certaines fabrications réalisées hors du chantier sont susceptibles de donner lieu à présomption de responsabilité et garantie décennale.

La seconde grande innovation de la loi Spinetta est d'instaurer une double assurance obligatoire pour les travaux de bâtiment: l'assurance Dommages-Ouvrages (DO) pour les maîtres d'ouvrages et l'assurance de responsabilité décennale pour les constructeurs. L'assurance DO est contractée par la personne physique ou morale qui fait réaliser les travaux. La DO préfinance les travaux de réparation des dommages dont les constructeurs sont responsables. Elle permet ainsi de poursuivre les travaux de construction tout en opérant la recherche des responsabilités.

En ce qui concerne l'assurance de responsabilité décennale, les divers "constructeurs" et intervenants dont les responsabilités sont susceptibles d'être engagées ont l'obligation désormais d'être assurés afin que celui ou ceux qui seront reconnus responsables puissent assurer le remboursement des travaux de réparation couverts par l'assurance DO.

La police Tous Risques Chantiers est une assurance qui est valable uniquement pour la durée du chantier. Elle couvre tous les dommages, y compris l'incendie. Tous les intervenants en bénéficient. La Police Unique de Chantier est une police générale qui remplace l'assurance DO, l'assurance Tous Risques Chantiers et l'assurance de responsabilité décennale.

La loi Spinetta s'est révélée d'une très grande efficacité. A l'heure actuelle, elle suscite des débats à propos de la viabilité financière du système pour les assurances. Celle ci est fragilisée en raison notamment de:

  • la vive concurrence que les maîtres d'ouvrage font peser entre les assureurs et qui aboutit, à certains moments à la baisse des primes d'assurances (ainsi en 1985).
  • l'augmentation de la "sinistralité" du fait de la dégradation des conditions de marché qui se traduisent par la diminution de la qualité que l'on peut expliquer par de multiples causes (effet du raccourcissement des délais, des effets pervers de la moins disance, pratique des sous-traitances en cascade, diminution des moyens d'encadrement du chantier etc.. )
  • la multiplication des professions de la maîtrise d'œuvre ou du contrôle et l'accroissement de la concurrence que se mènent les structures.

Le niveau des primes ne parvient plus depuis quelques années à couvrir l'indemnisation des risques. Les grandes compagnies d'assurances - pour lesquelles l'assurance construction n'est qu'une petite partie de leur activité - sont moins touchées que les petites compagnies d'assurances. Aussi, le 12 juin 1995, la Fédération Française des Sociétés d'Assurances et la FNB signé un protocole d'accord pour tenter de rénover le système d'assurance construction, qui comprend des propositions en matière de modifications législatives : simplification du système de responsabilités, meilleure articulation des garanties ; de passage à un système de capitalisation ; de recherche de dispositifs de régulation pour les risques de longue durée.