L'extension du champ concurrentiel et de la chaîne de valeurs des entreprises
Les
ouvertures introduites par la loi MOP
Avec le vote de la loi MOP, en 1985, et en l'absence de ses
décrets d'application qui n'interviendront que huit ans plus tard, cette
période semble beaucoup plus favorable au déploiement des stratégies d'offre
des grandes entreprises, dans une conjoncture économique générale
relativement plus favorable et qui bénéficie particulièrement à l'activité
immobilière.
Dans cette seconde partie, nous proposons d'examiner d'abord
les changements qui surviennent dans les stratégies d'entreprise, et qui se
manifestent par l'extension de leur champ concurrentiel et la modification de
leur "chaîne de valeur"; puis les grandes lignes de la loi MOP, avant
la parution de ses décrets d'application..
L'extension du champ concurrentiel et
de la chaîne de valeurs des entreprises
C'est incontestablement au cours de cette phase
"d'embellie" que s'opèrent les transformations les plus importantes
dans la stratégie des grands groupes. Cette période est marquée par la
montée de la commande privée en bâtiment. La demande porte moins sur le
logement que sur l'immobilier d'entreprise. La compétition pour attirer les
investisseurs se joue au niveau des grandes villes européennes. L'enjeu pour
les grands groupes est de se réserver l'accès aux projets urbains les plus
rentables tout en se préparant à l'ouverture des frontières. Quant à la
commande publique, elle s'est largement déplacée vers les collectivités
locales.
Le développement des grands groupes continue de s'opérer
massivement par croissance externe; toutefois celle ci connaît un double
changement d'orientation par rapport à la période précédente. D'une part,
elle consacre une étape supplémentaire dans la centralisation des capitaux et
dans la concentration industrielle au niveau du secteur. Les mouvements de prise
de contrôle et de fusions-absorptions se multiplient. Le mouvement de
concentration change d'échelle: il s'opère désormais entre les majors
eux-mêmes: c'est le rachat de Screg par Bouygues en 1986 ; de GTM par
Dumez, plus tard de la SAE par Fougerolle. C'est aussi l'arrivée en force dans
le secteur de la construction des deux grandes compagnies de distribution
d'eau : la Compagnie Générale des Eaux hérite de la SGE en 1988, dans le
cadre des accords croisés avec Saint Gobain, et prend le contrôle de
Campenon-Bernard, tout en maintenant sa participation dans Fougerolle. La
Société Lyonnaise des Eaux acquiert le groupe Dumez en 1990, et réalise une
fusion des deux sociétés et de leurs filiales.
D'autre part, ce mouvement de concentration s'accompagne d'un
développement sans précédent de la diversification. Celle-ci s'accomplit dans
deux directions :
- l'intégration verticale de la chaîne de la construction , en particulier
de ses métiers amont : les grands groupes de bâtiment prennent pied
dans l'ingénierie, la promotion immobilière, l'aménagement urbain etc..
mais aussi dans les métiers aval: gestion et exploitation des bâtiments,
en particulier dans le domaine de la santé et des loisirs (résidences pour
personnes âgées, hôtellerie, centre de vacances etc..)
- la diversification horizontale, soit dans des activités directement
périphériques au métier de base (acquisition de sociétés routières, ou
de sociétés d'exploitation de parkings) soit dans des activités plus
éloignées: métiers de la communication (télévision, réseaux câblés,
radio-téléphone etc..), de l'environnement (gestion de l'eau, traitement
des déchets) ou de la gestion urbaine (énergies, chauffage urbain).
Cette période d'embellie donne donc naissance à des groupes
multi-activités et à une diversification mêlant étroitement construction et
services urbains. On peut émettre l'hypothèse d'une certaine cohérence entre
d'une part, le développement d'une stratégie d'offre de services dans le
secteur de la construction, les grands groupes allant désormais jusqu'à la
recherche de terrains, l'étude et la réalisation de montages d'opérations
complexes ; et d'autre part, la diversification vers la gestion déléguée
de services et de réseaux urbains.
Les ouvertures introduites par la
loi MOP
La loi MOP du 12 juillet 1985 consacre un certain nombre
d'évolutions dans les missions de la maîtrise d'œuvre et dans les représentations
de son rôle. Cette évolution intervient dans un contexte de relations
concurrentes entre les professions de la maîtrise d'œuvre, mais aussi entre
ces dernières et les entreprises de construction. De nombreuses critiques sont,
en effet, formulées à l'encontre de la réglementation de 1973.
Ces critiques inspirent la loi MOP. Elles peuvent se lire à
la lumière des changements de marchés et du souci d'aboutir à une
organisation de la maîtrise d'œuvre moins linéaire et moins séquentielle.
Toutefois, tant que les décrets d'application de la loi ne seront pas pris,
c'est à dire, jusqu'en 1993, la nouvelle loi demeure sans effet, et c'est la
réglementation de 1973 qui s'applique alors toujours. Or, ce retard des
décrets d'application témoigne des résistances des différents corps de
professionnels et des difficultés rencontrées pour réguler les relations
entre les acteurs : entre maîtres d'ouvrage et concepteurs, entre
architectes, ingénieurs et autres professionnels de la maîtrise d'œuvre, mais
aussi et peut-être surtout entre maîtres d'œuvre et entreprises.
De la réglementation de 1973 à la loi MOP : le chemin
parcouru
Parmi les critiques qui militent pour une révision de la
réglementation de 1973, figurent les réflexions de la Mission
Interministérielle sur la Qualité des Constructions publiques (MIQCP), qui
seront, d'ailleurs, en grande partie reprises par le rapport Millier de 1982.
Ces critiques portent notamment sur l'inadéquation de la réglementation de
1973 par rapport :
- aux contraintes nouvelles en matière de qualité et de coûts :
l'une et l'autre supposent une maîtrise d'ouvrage renforcée, responsable
à titre exclusif de certaines tâches qu'elle ne peut déléguer ;
- à la montée des préoccupations d'entretien et de gestion des bâtiments
qui suppose de raisonner désormais en coût global : au coût
d'objectif, regroupant coût des travaux d'exécution + honoraires, doit
succéder une notion de coût global intégrant: coût de réalisation +
honoraires + coûts de fonctionnement. La crise pétrolière de 1973, mais
aussi la réforme de financement du logement de 1977 ne sont pas
étrangères à la montée de ces préoccupations gestionnaires ;
- à la loi n° 82-213 du 2 mars 1982
relative aux droits et libertés des collectivités territoriales ; en
abrogeant l'article du Code des Communes qui constituait la base légale de
l'application de la réglementation de 1973 aux collectivités locales, elle
crée désormais un vide juridique qu'il convient de combler. C'est bien
cette loi qui jouera le rôle de "détonateur" pour une refonte de
la réglementation régissant les missions d'architecture et d'ingénierie.
En résumé, les critiques faites à la réglementation de
1973 sont les suivantes:
- Elle définit mal les conditions du contrat. La notion de programme reste
floue et n'est pas très explicite sur la nature des informations qui
doivent y figurer ;
- Elle définit mal le contenu des missions, et peut donner lieu à des
contestations surtout entre maître d'œuvre et entrepreneur ;
- Le barème de rémunération n'est pas adapté. Il est par exemple
impossible aujourd'hui pour un maître d'ouvrage public de confier des
missions de projet management dans le cadre de la réglementation sur
l'ingénierie.
Ayant à définir les relations de la maîtrise d'ouvrage
publique avec la maîtrise d'œuvre privée, la loi MOP du 12 juillet 1985
énonce aussi une reformulation du contenu et des éléments de mission. Sur le
premier point (nouvelles contraintes de qualité et de coût), on peut citer ces
passages de la circulaire du 9 mars 1982 relative à la dévolution des marchés
de travaux de bâtiments :
"L'évolution du marché dans le secteur du
bâtiment nous conduit à formuler... des recommandations (concernant) deux
aspects particulièrement importants relatifs, l'un à la nécessité de
créer les conditions d'une concurrence optimale pour contrôler la
croissance des coûts, l'autre au souci de promouvoir des constructions de
qualité... La hausse des coûts de la construction est en effet
préoccupante et tout doit être mis en œuvre pour la réduire. De même,
l'accroissement du nombre des sinistres dans la construction, qui pèse
lourdement sur les primes d'assurance, traduit des insuffisances au niveau
de la conception comme de l'exécution, qui doivent être énergiquement
combattues par une politique de qualité. La façon dont les marchés
d'études et de travaux sont dévolus est un élément essentiel de cette
politique. Il s'agit pour le maître d'ouvrage d'avoir conscience que le
choix de la mission à confier au maître d'œuvre, le mode de dévolution
des marchés et la nature du prix des travaux sont interdépendants et qu'il
doit retenir la combinaison optimale".
Les principales dispositions de la loi MOP et de ses
décrets d'application
La loi MOP s'organise autour de deux grands titres, l'un
consacré à la maîtrise d'ouvrage, l'autre à la maîtrise d'œuvre (le troisième
étant consacré aux dispositions diverses et transitoires). Les principales
innovations concernant la maîtrise d'ouvrage tiennent à la précision et à
l'énumération des fonctions qui lui reviennent et qui portent sur :
- l'assurance de la faisabilité et de l'opportunité de l'opération ;
- la détermination de sa localisation ;
- la définition du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle
;
- l'assurance du financement ;
- le choix du processus selon lequel l'ouvrage sera réalisé ;
- la conclusion, avec les maîtres d'œuvre et entrepreneurs
retenus, des contrats d'études et des contrats d'exécution des travaux.
A l'origine, Jean Millier avait préconisé de proscrire les
pratiques de délégation de maîtrise d'ouvrage. Mais le gouvernement et le
Parlement, tout en approuvant l'idée, sont allés moins loin. A partir de 1985,
une expression est bannie : celle du maître d'ouvrage délégué. Mais sur
les modalités d'organisation de la maîtrise d'ouvrage, la loi propose trois
solutions : l'exercice total de ses missions et de ses responsabilités par le
maître d'ouvrage lui-même ; le recours à un conducteur d'opération chargé
d'une mission d'assistance générale à caractère administratif, technique et
financier ; le recours à un mandataire à qui le maître d'ouvrage peut
déléguer certaines de ses missions et de ses responsabilités dans les limites
fixées par la loi.
Le maître d'ouvrage public ne peut donc tout déléguer. La
notion de "délégation" a été abandonnée, au profit de celle de
"mandat".
Le programme et la détermination de l'enveloppe financière
prévisionnelle sont de la responsabilité exclusive du maître d'ouvrage. Le
programme précise les objectifs de l'opération et les besoins qu'elle doit
satisfaire. Il définit aussi les contraintes et les exigences de qualité
sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique.
Dans la limite du programme et de l'enveloppe financière
prévisionnelle qu'il a arrêtée, le maître d'ouvrage peut confier à un
mandataire, par une convention de mandat, l'exercice en son nom et pour son
compte de certaines de ses attributions. Le maître d'ouvrage peut confier à un
mandataire, notamment :
- la définition des conditions administratives et techniques de l'ouvrage
à exécuter ;
- la préparation du choix (mais non le choix) du maître d'œuvre ;
- la signature et la gestion du contrat de maîtrise d'œuvre;
- l'approbation des avant-projets, sous réserve de l'accord préalable du
maître d'ouvrage ;
- la préparation du choix (mais non le choix) des entreprises ;
- la signature et la gestion du marché de travaux ;
- la préparation de la réception.
Le conducteur d'opération apporte une assistance technique,
administrative et financière au maître d'ouvrage. Il a pour mission de
traduire les orientations formulées par ce dernier pour l'élaboration du
programme à réaliser, d'organiser la mise en compétition des concepteurs,
d'apporter son aide dans le choix du processus de réalisation des marchés de
travaux. La conduite d'opération peut être assurée soit par une personne
publique, soit par une personne privée ayant fait l'objet d'une autorisation
dans les conditions fixées par la loi MOP et ses décrets d'application.
Les éléments de mission de la loi MOP
- les études d'esquisse ;
- les études d'avant-projets ;
- les études de projet ;
- l'assistance apportée au maître d'ouvrage pour la passation du contrat
de travaux ;
- les études d'exécution ;
- la direction de l'exécution du contrat de travaux ;
- l'ordonnancement, le pilotage et la coordination du chantier ;
- l'assistance apportée au maître d'ouvrage lors des opérations de
réception et pendant la période de garantie de parfait achèvement.
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Les principales innovations concernant la maîtrise d'œuvre
portent sur la définition des éléments de mission (conception et assistance).
La loi du 12 juillet 1985 remplace les treize éléments de mission de la
réglementation de 1973 par huit nouveaux éléments, montrés en tableau 4.
L'article 7 de la loi MOP poursuit: "Toutefois, pour les ouvrages de
bâtiment, une mission de base fait l'objet d'un contrat unique". Dans la
version initiale de la loi, il était prévu que la définition de la mission de
base ainsi que la détermination et la rémunération des missions des maîtres
d'œuvre privés seraient arrêtées par des accords nationaux. L'absence de
tels accords a conduit à la loi n° 88-1090
du 1er décembre 1988, prévoyant des décrets en Conseil d'État pour
fixer le contenu détaillé des éléments de mission de maîtrise d'œuvre spécifiques,
de même que le contenu de la mission de base pour les ouvrages de bâtiment.
Les premiers décrets d'application de la loi MOP sont montrés en tableau 5.
La loi MOP et les obstacles auxquels elle se heurte
illustrent bien le malaise dans les relations maître d'ouvrage-concepteurs-entrepreneurs.
En particulier, la répartition des tâches et des rôles entre maîtres d'œuvre
et entrepreneurs n'apparaît pas aussi claire que la réglementation de 1973 le
souhaitait et le laissait entendre. Elle souligne aussi la difficulté à
traiter de cette question dans un cadre unique et général, alors que les
acteurs développent une pluralité de pratiques et que les entrepreneurs sont
de plus en plus intéressés à prendre une part directe à la conception, dans
le contexte des marchés d'aujourd'hui.
Les décrets d’application de la loi MOP
- décret n
°
86-520 du 14 mars 1986 (travaux non soumis à la loi MOP) ;
- décret n
°
86-664 du 14 mars 1986 (conditions dans lesquelles des personnes morales
peuvent assumer la conduite d'opérations de maîtrise d'ouvrage publique) ;
- décret n
°
86-665 du 14 mars 1986 (conditions dans lesquelles des personnes morales
peuvent continuer d'assumer la conduite d'opération).
- A compléter par les décrets récents (Cf. ci-dessous).
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Le concours conception-construction
La loi MOP du 12 juillet 1985, dans son article 18, prévoit
l'emploi de la procédure de conception-construction pour des motifs d'ordre
technique. Mais faute de définition claire de ce terme, les maîtres d'ouvrage
recourent le plus souvent à ces concours pour des raisons de délais. S'il
s'agit du domaine du bâtiment, le contrat doit être conclu en groupement. Cela
signifie que le groupement doit comporter un entrepreneur et un architecte qui
souscrivent un acte d'engagement unique. Ce groupement momentané d'entreprises
sous ses deux formes "groupement conjoint" et "groupement
solidaire" sont définis en termes comparables dans le CCAG (Cahier des
Clauses Administratives Générales) des marchés publics de travaux et dans
celui des prestations intellectuelles. Dans ce groupement, le mandataire est le
plus souvent l'entrepreneur.
Le concours conception-construction se substitue à la
procédure "ensemblier" de la réglementation de 1973. L'un et l'autre
associent l'entreprise aux études d'avant-projet et de projet. Ils introduisent
des exceptions de taille dans le système traditionnel de répartition des
tâches entre concepteurs et entrepreneurs. Ainsi, la loi MOP, dans sa version
initiale, semble conforter les possibilités plus grandes reconnues aux
entreprises d'être associées à la conception.
Le marché d'entreprise de travaux publics
Par ailleurs, la période de boom dans la construction
s'accompagne de la production de tout un ensemble de formules nouvelles
hésitent entre modes de passation des marchés de travaux et délégations de
services publics. Ainsi, en est-il du Marché d'Entreprises Travaux Publics (METP),
qui est une formule ancienne, mais remise au goût du jour. Par le biais du METP,
la collectivité confie à une entreprise, le soin de construire un équipement
et parfois de gérer le service qui lui est rattaché, moyennant le paiement de
sommes périodiques sur une certaine durée, au terme de laquelle l'équipement
reviendra à la collectivité. A l'origine utilisée surtout pour les ouvrages
de voirie, cette formule, renouvelée, a été appliquée plus récemment pour
la réhabilitation des lycées: l'entreprise apporte le financement et se voit
attribuer un marché de travaux et de maintenance sur dix ans.
Ainsi, les grands groupes ont pu bénéficier, au cours de
cette période, des changements institutionnels. Ces dernières ont encouragé
leurs stratégies ensemblières. En jouant également des exceptions (marchés
négociés) voire des " failles du droit", ils ont pu échapper aux
règles de droit commun en matière d'accès aux marchés publics. Certaines
formes nouvelles de contrat, tels que les concours de conception-construction,
en élevant les barrières à l'entrée, leur ont bénéficié presque
exclusivement.
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