UNE ANALYSE CRITIQUE DES DEUX CAS CONSIDÉRÉS


Le premier élément commun qui émerge de l’analyse des deux études de cas est la volonté d'innover à partir de modalités spécifiques de l’intervention publique. Si toutes les décisions qui concernent la promotion et l’investissement, et plus particulièrement les modalités de sélection des opérateurs privés chargés de la réalisation et de la gestion du projet sont d'initiative publique, il est tout de même intéressant de noter que les acteurs habituellement chargés de ces opérations - le Ministère de la Construction au Danemark ou la FS en Italie - ont renoncé à intervenir directement et ont jugé plus opportun de créer des sociétés d'économie mixte qui prendraient en main le montage et le contrôle des opérations.

Les décideurs publics estiment que le cadre institutionnel des sociétés de droit privé permet non seulement de mieux définir la notion de pouvoir/responsabilité mais également d'améliorer les performances d'initiative publique8. On peut donc affirmer que les procédés adoptés dans les deux projets représentent des exemples d’innovation gérés par l’agent public pour atteindre des résultats supérieurs en termes d’efficacité.

L’interaction entre le concepteur et les contractants lors de la transformation du projet de base en un projet détaillé - un passage intimement lié aux phases de l’appel d’offres et de la mise au point du contrat - représente le deuxième point fort des deux cas d’études.

Dans le cas du Storebælt, le projet présenté aux entreprises concurrentes au moment de l’appel d’offres était susceptible d'accepter des variantes qui auraient pu réduire les coûts et/ou améliorer les performances du projet. Chaque modification apportée au projet faisait partie de l’offre.

D'une façon similaire, TAV négocie avec le contractant à partir d’un projet de base et non sur la base d’un projet détaillé. L'entreprise principale sélectionnée devra alors fournir un projet détaillé ; successivement Italferr-Sis vérifiera toutes les modifications apportées. La négociation entre le client et l'entreprise permet d'élaborer un projet détaillé final à partir duquel seront définies les clauses du contrat et stipulé le prix. Le point fort de la procédure mise en place est représenté par le rapport offre/demande, qui ne se limite donc pas à une simple offre économique sur le projet détaillé, mais oblige les contractants à en optimiser la définition.

Si l’objectif de base recherché dans les deux cas est d'améliorer les performances à partir de l'interaction qui s'exerce entre les contractants, nous notons toutefois que dans chacun des cas, un système de priorités était précisément défini :

  • dans le cas du processus mis au point par TAV, le but de l’interaction est de réduire au minimum l’ambiguïté du projet de base de façon à ce que le contrat, notamment pour la part concernant les coûts, soit respecté ;
  • dans le cas du projet du Storebælt, l’interaction permet la création de nouvelles formules techniques innovantes générales ou partielles et par conséquent la réduction des coûts.

Malgré ces différences, les procédés mis en place pour ces deux projets présentent une grande similitude de fond : l'efficience du processus est rendue possible à travers l'interaction entre l'offre et la demande, qui ne se limite pas à traiter une seule variable économique, mais qui s’étend à un dialogue plus complexe.

C'est à partir de la procédure mise en place pour sélectionner les groupes d'entreprises chargés de la réalisation des travaux que l'on peut opérer une distinction entre les deux cas d’études. Dans le cas du Storebælt, après la phase de présélection, les entreprises admises à concourir ont été sélectionnées sur leurs capacités techniques à innover sur chacun des sous-projets et sur les coûts pratiqués. En d’autres termes, l’adjudication des travaux s'est faite à partir d'un appel d'offres réservé aux entreprises plus compétentes dans ce secteur. TAV, au contraire, a opté pour une sélection directe du contractant plus "crédible", sans recourir à une procédure qui aurait permis d'accroître la concurrence entre les entreprises.

Les deux études de cas offrent une deuxième différence. Afin de favoriser la concurrence entre un plus grand nombre d'entreprises et de sous-traitants, la société d'économie mixte chargée de réaliser le Storebælt a émis une série d’appel d’offres sur chacune des parties du projet. Au contraire, la TAV a sélectionné une seule entreprise à laquelle a été confiée la responsabilité globale de la réalisation de chacune des parties du projet.

Ces deux stratégies s'appuient sur deux hypothèses différentes :

  • la Storebælt retient que la mise en concurrence des entreprises, permet d'apporter de meilleurs résultats techniques et économiques, au moins supérieurs aux coûts de coordination des agents qu’il faut prendre en charge ;
  • TAV se base sur l’hypothèse contraire : les coûts et les risques liés à la coordination des agents ne peuvent pas être compensés par une compétition accrue entre les grandes entreprises concurrentes. Opter pour un seul groupe d’entreprises apparaissait par conséquent plus rationnel.

Il s'avère à présent intéressant, à partir des approches déjà analysées, de juger les dispositifs mis en place dans ces deux projets. Ces deux études de cas représentent, dans le cadre de notre recherche, des expériences intéressantes. Le projet du Storebælt s'inspire largement des grands principes contenus dans le modèle de procurement proposés pour la réalisation d’infrastructures complexes. La procédure suivie pour définir le projet détaillé et pour sélectionner les entreprises chargées de la réalisation des travaux intègre tous les principes d'une véritable search routine, multiplication des occasions d'apprentissage fournies par la décomposition du projet principal en plusieurs parties ; on voit la prise en considération d’un système d’offres qui ne se limite pas exclusivement au projet de base mais qui tient compte des éventuelles innovations proposées par les entreprises concurrentes.

Le choix du modèle d'early involvement et la concurrence qui s'exerce entre les contractors potentiels est correcte dès lors que les coûts sont tels que les entreprises participent à l'appel d'offres même si elles n’ont pas la garantie d’être sélectionnées. En outre, il nous faut souligner que A/S a retenu que les coûts liés à la coordination des entreprises devraient être nettement inférieurs aux avantages produits par l’activité de codesign associée à la mise en concurrence des entreprises ; un tel choix n'était possible que si des compétences correspondantes existaient dans ce secteur d’activité. Les différentes variantes apportées successivement au projet lors de la redéfinition complète de l'analyse détaillée (rendue possible en raison d’un think tank interne considérable), et la forme de contrat effectué à prix fixe contenant des clauses de renégociation prédéfinies, permettent de contrôler le risque moral.

Si ces deux projets s'inspirent d'une même philosophie, les procédures mises en place pour le projet du Train à Grande Vitesse en Italie ne nous semblent pas pour autant suffisamment pertinentes pour atteindre des résultats optimaux. La première limite que rencontre le projet italien est l’absence d’un mécanisme concurrentiel pour sélectionner les contractants. Le choix d'une procédure officieuse n’est justifiable que d'un point de vue extra-économique. De toutes façons, la décision de décomposer le projet en unités distinctes de grande taille aurait rendu impossible l'organisation d'un appel d'offres, en raison des sunk costs liés au codesign. Si le potentiel d’innovation - et donc d’efficience - présent dans le système de l’offre, avait été exploité différemment, de meilleurs résultats auraient pu être obtenus.

Le contrôle du risque moral s'effectue de deux façons :

  • le contrôle du projet est effectué par Italferr-Sis (le projet détaillé du contractant n’est donc pas "a black box") ;
  • le contrat est conclu à prix fixe. Le doute qui nous vient est que l'impossibilité absolue d'apporter une quelconque modification du prix peut constituer une sorte d'exorcisme de l’incertitude fondamentale de ce genre de projet.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les procédures mises en place dans le cas du Store Baelt permettent une "routine de search" plus performante qui permet d’activer un processus d’apprentissage qui s'étend à un grand nombre d'acteurs. La concurrence qui s'exerce entre les différents agents est donc particulièrement serrée. En revanche, ce type de parcours est seulement amorcé pour le cas italien ; les éléments d’innovation apparaissent "inhibés" par des choix qui suivent une logique essentiellement politique, qui bloque par conséquent les bénéfices que pourrait apporter ce type d’approche.