LE CONTRAT ET L’INFORMATION : LES TRAVAUX DE LA NOUVELLE MICROÉCONOMIE


Nous constatons que depuis quelques années, une branche de la recherche en économie s’emploie à définir de meilleures clauses pour les contrats passés entre le secteur public et le secteur privé. Ces recherches sont nées dans le cadre de certaines problématiques développées par la nouvelle microéconomie telles que : l'asymétrie des informations, la théorie des jeux non coopératifs, le problème du "principal et de l’agent", la théorie des appels d’offres (Brousseau 1993 ; Fudenberg et Tirole 1991; Hey et Lambert 1987 ; Laffont 1990 ; McAfee et McMillan 1987 ; Tirole 1988 ; Sappington 1991).

Le cadre conceptuel qui se révèle le plus approprié à analyser la relation client/fournisseur est représenté par la dialectique du "principal" et de "l'agent" (principal-agent model). Le rapport économique étudié est le suivant : un agent économique (le principal) décide de confier à un autre agent économique (l'agent) la réalisation d’une tâche qu’il n’entend pas lui-même exécuter, pour diverses raisons (par exemple il ne détient pas les connaissances requises, il estime que passer un marché lui coûtera moins cher).

Le problème le plus important à résoudre consiste à savoir comment le principal réussira à motiver suffisamment l’agent pour que ce dernier accomplisse sa mission, en déployant les mêmes efforts que l'aurait fait le principal, dans le cas où il aurait décidé de réaliser lui-même l'opération pour son propre compte (Sappington 1991, p. 45). Une question est donc soulevée : est-il possible pour le principal de motiver suffisamment l’agent à se comporter exactement comme s'il devait agir pour son propre compte ? La réponse pourrait être affirmative, si l’on accepte certaines conditions qui sont toutefois difficilement présentes dans la réalité.

L'analyse repose sur deux hypothèses de base. La première hypothèse part du principe qu'il existe une totale transparence et une bonne connaissance des informations contenues dans le contrat ; cela signifie que les informations relatives aux coûts prévus (expected costs) et aux autres variables clés sont connues de la même façon entre les deux sujets. Par conséquent on considère que le client et le fournisseur ont connaissance des événements futurs qui pourraient influencer leurs rapports; ils connaissent aussi bien les coûts techniques de la réalisation de l'ouvrage que l’évolution de certaines variables exogènes susceptibles d'influencer les travaux et leurs coûts finaux (comme les taux d'intérêt, les implications liées au climat, les conflits de diverses natures qui peuvent accroître les délais). La deuxième hypothèse considère que l’agent prend en charge tous les risques encourus sans en recevoir pour autant une compensation financière (en d'autres termes, l'agent est risk neutral).

Ces deux hypothèses, qui correspondent à une situation idéale des rapports économiques, nous permettent d'aborder les principaux problèmes liés aux contrats de "procurement" passés entre le secteur public et le secteur privé. D’une part, il se révèle impossible de savoir à l'avance si le principal et l’agent disposent des mêmes informations : nous sommes donc en présence d'une "asymétrie informationnelle". Le problème clé - qui part d’une constatation empirique, mais qui se révèle riche de conséquences sur le plan théorique - est que les acteurs détiennent des informations personnelles qui font partie de leurs stratégies respectives.

Parmi ces informations, on trouve les estimations de coûts, les gains de productivité engendrés par de nouvelles technologies, les données nécessaires pour prévoir de manière fiable les autres variables exogènes qui peuvent déterminer des variations de coût ou de profit. On peut distinguer en particulier deux problèmes liés à l’asymétrie des informations :

  • lorsque le principal doit sélectionner l’agent efficient (c’est-à-dire celui qui présente les coûts les plus bas) le problème qui reste posé est celui du "choix juste" : Le principal ne connaissant pas les coûts prévus des agents pourrait en choisir un qui ne soit pas celui qui présente les coûts les plus bas. C’est le problème de l’antisélection (adverse selection) présenté en fig.1.

  • L'agent sélectionné dispose d’une information supérieure sur la mission qu'il doit accomplir à celle possédée par le principal. Cette rente informationnelle pourrait conduire l'agent à ne pas accomplir tous les efforts nécessaires pour réduire au minimum les coûts, ce comportement pourrait en retour provoquer une hausse du prix à la charge du client. C’est le problème du risque moral (moral hazard)1, illustré dans la figure 2.

La deuxième hypothèse, présentée ci-dessus, que nous ne retiendrons pas, part du principe que l'agent prend en charge le risque, sans pour autant recevoir une rémunération supplémentaire. Habituellement, un agent se révèle hostile à assumer le risque, et considère que plus une activité économique comporte de risques, plus il doit être dédommagé en conséquence. Au cas où les agents se révèlent averse to risk (il faut établir de quelle manière) la prise en charge du risque sera répartie entre le principal et l’agent. C’est le problème de la répartition du risque (risk sharing).

Dans le cas où l’agent doit prendre en charge tous les risques encourus pour produire un bien ou fournir un service, il exigera à juste titre d'être financièrement dédommagé sur les risques encourus (prime de risque). Le principal peut adopter différentes stratégies :

  • Il peut décider de prendre en charge une partie ou la totalité du risque, pour éviter de payer une prime de risque. Il peut par exemple adopter un contrat "cost plus", qui permet à l’agent d’être couvert pour toutes sortes de surcoûts. Le problème qui se pose alors est que l’agent n’est plus particulièrement intéressé à maximiser les efforts pour réduire les coûts et il pourrait profiter de ce contrat. Dans ce cas, l’agent public doit prendre en compte le problème du "risque moral". Le principal doit donc opérer un juste arbitrage entre gestion du risque moral et répartition du risque. Si au contraire, le principal refuse de supporter les risques encourus (par exemple, en appliquant un contrat à prix fixe) les coûts financiers (payment) baisseront (diminution du risque moral), mais le principal devra tenir compte des frais occasionnés par le paiement de la prime de risque.

Diverses solutions peuvent être envisagées pour résoudre les problèmes succinctement exposés. Nous notons que, parmi les nombreux modèles mis au point dans ce domaine, les plus appropriés sont ceux qui, à partir d'un mécanisme concurrentiel ex ante, permettent de sélectionner le mandataire à partir de modalités spécifiques d'élaboration du contrat et de définition des rémunérations2. Les modèles de McAfee et McMillan (1986) et de Laffont et Tirole (1987) sont considérés comme les travaux les plus remarquables en matière (Balassone 1991, p. 662 ; Petretto 1992, p. 108).

Ces deux modèles aboutissent à des conclusions - parfois intuitives - qui peuvent être résumées en quelques points clés :

  • Dans le cas où les entreprises sont disposées à prendre complètement en charge le risque entrepreneurial et se présentent à l’appel d’offre en nombre élevé (modèle de la libre concurrence), l'acteur public a intérêt à proposer un contrat fixed price (c’est-à-dire un contrat à prix fixe et non modifiable) ;
  • Dans le cas où les risques de coûts imprévus ne sont pas totalement pris en charge par l’entreprise mandataire, le partage du risque sera plus favorable à celle-ci. Un nombre plus élevé d'entreprises se présenteront à l'appel d’offre, la concurrence qui s'exerce permettra donc l'abaissement de la prime de risque, et il s’ensuivra ainsi une baisse des coûts prévus. Il est évident qu'en appliquant des contrats qui ne sont pas à prix fixe, le principal devra affronter non seulement la part de surcoûts à sa charge mais gérer également le risque moral.
  • Le contrat du type "cost plus", qui garantit à l’entreprise le remboursement de tout surcoût, reste un contrat inefficient. Les entreprises concurrentes n’ont aucun intérêt à déclarer leurs vrais coûts, du moment que l’administration se déclare prête à couvrir toutes les dépenses non prévues par le contrat ; le problème d’antisélection se pose alors de manière évidente.

En conclusion, nous notons que la nouvelle microéconomie met surtout l’accent sur le problème de la répartition inégale de l’information et développe des modèles normatifs qui prétendent ainsi résoudre les problèmes liés au procurement, en acceptant la nature virtuelle - et donc risquée - de l’échange et les limites informationnelles liées au contexte dans lequel celui-ci advient.

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