LES SYSTÈMES CONTRACTUELS NATIONAUX


Le système contractuel britannique
Le système contractuel français
Le système contractuel italien
Le système contractuel danois
Le système contractuel allemand

Comme le projet de recherche le soulignait clairement, le contexte institutionnel de l'industrie de la construction est très important pour l'organisation des projets de construction. Les rôles et les responsabilités des différents acteurs dans le projet de coalition se sont développés à travers le temps en interaction les uns avec les autres. L’évolution de ce système de rôles et de responsabilités est aussi le reflet de caractéristiques plus générales du système d’acteurs économiques dans lequel il se situe au niveau national, ainsi que l'a montré Campos-Dubernet (1988) pour les entreprises de la construction. En soulignant l’importance des différents contextes institutionnels nationaux des industries de la construction en Europe, nous rejoignons des préoccupations plus générales dans les sciences sociales et économiques, où des auteurs aussi différents que Whitley (1992) et Porter (1990) ont clairement montré l’importance du système d’organisation économique au niveau national (National Business Organisations) pour l'étude de la performance économique et de l'avantage compétitif international.

La notion de système contractuel a été utilisée au départ par Bowley (1966 p 350) dans sa fameuse étude sur l'industrie de la construction britannique. L'accent mis par Bowley sur des jeux d'intérêts institutionnalisés était très révélatrice. Le système contractuel distribuait des rôles, définissait des responsabilités, et spécifiait des obligations. Il définissait dans la pratique des acteurs pro-actifs, et d'autres réactifs ; il classait les uns dans la catégorie noble des professionnels, et les autres dans la catégorie moins noble des agents commerciaux. Dans ce système, la légitimité provenait des principaux maître d’ouvrages, qui étaient de plus en plus dominés par l'État. Il établissait de façon tout à fait décisive la structure des récompenses et des pénalités dans l'industrie de la construction britannique, à l'intérieur de ce que Crozier et Friedberg (1977 p 286) ont défini comme "un système d'action concret", c’est-à-dire comme "un ensemble humain structuré par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure... par des mécanismes de régulation qui constituent d'autres jeux". Pour Crozier et Friedberg, les acteurs d'un tel système d'action agissent rationnellement, mais avec une rationalité qui ne peut être comprise qu'à l'aide de la logique du système, telle qu'elle est exprimée dans les règles du jeu.

Dans cette perspective, les systèmes contractuels dans la construction et le génie civil fournissent une structure d'incitations pour les acteurs du système, en incitant chacun à se comporter d'une certaine façon et en tendant à sanctionner tout écart par rapport aux règles du jeu. Comme les processus d'institutionnalisation des comportements tendent à agir en retour sur les acteurs par un processus de structuration (Giddens 1984), les règles du jeu finissent par apparaître comme des données normales, et comme la seule façon de réaliser les choses. Carrières et statuts s'affirment dépendants de certaines règles, toute menace à l’égard de ces règles devient attaque personnelle. Le système a une force puissante, et tout changement s'avère difficile parce qu'aucun acteur n'a une connaissance globale du système. Toutefois, ces systèmes savent aussi être dynamiques. Ils évoluent sous l’effet des tensions et des conflits qu’ils contiennent.

Tous les systèmes poursuivent cependant des objectifs. La visée du système contractuel est la réalisation du désir du maître d’ouvrage d'obtenir un produit construit. Afin d'atteindre ces objectifs, le processus de production, consistant en un flux d'informations qui génère et contrôle un flux de matériaux, doit accomplir les 3C (Winch & Campagnac 1995). Le bâtiment doit être conçu, il doit être construit et ces processus doivent être contrôlés dans l’intérêt du maître d’ouvrage, et tout ceci appartient au contexte régulateur établi par le gouvernement. Le maître d’ouvrage capitalise le processus de construction, alors que les acteurs à l'intérieur du système distribuent les diverses ressources dans le processus de construction selon les règles du jeu que le système impose. Les principales variations internes et les différences entre les systèmes contractuels concernent les règles spécifiant à quels acteurs incombent les tâches des 3C.

Une vaste littérature descriptive existe déjà sur les principaux systèmes contractuels au sein de l'Union Européenne, en grande partie stimulée par l'approche d'un marché unique en 1992. Par exemple, en Grande-Bretagne à la fois la Construction Industry Research and Information Association et le Royal Institute of British Architects ont publié des séries de rapports sur certains aspects des systèmes de nombreux pays de l'UE, axés sur ce que des firmes de construction britannique risquent de rencontrer. En France, une série semblable a été préparée par l'Institut Français d'Études de Marché. Les rapports qui virent le jour à l'initiative du programme Eurorex Plan Construction et Architecture sont à la fois plus détaillés et plus explicitement comparatifs, particulièrement Construire le logement / Edilizia residenziale (Avignon 1992) et Constructions en pratiques / Bauen in der Praxis (Strasbourg 1993). Il en va de même pour des travaux de recherche subventionnés par le PCA comparant la France à l'Espagne (Chimits et Tapie 1994) et la France à la Grande-Bretagne (Winch et Campagnac 1995). Toutefois, tous ces travaux furent analysés par le Groupe comme souffrant de deux limites. Tout d'abord, ils présentaient les systèmes comme des entités statiques, plutôt que comme des systèmes enracinés dans l'histoire ayant évolué au fil du temps. Ensuite, ils tendaient à décrire, plutôt qu’analyser, les dynamiques du changement et les perspectives futures des différents systèmes nationaux. L’article de Campinos-Dubernet et Gordon (1986) fournit en revanche une analyse tout à fait intéressante du "contracting system" britannique et de ses évolutions contemporaines, en les rapportant aux caractéristiques du professionnalisme dans les formes qu’il a prises dans l’industrie de la construction en Grande-Bretagne. Les auteurs montrent comment le "contracting system" est, à l’origine, le résultat d’un rapport de forces triangulé entre les acteurs et comment ce rapport de forces tend à évoluer aujourd’hui. Mais ce type de démarche a été peu utilisé.

Il fut par conséquent décidé, au sein du groupe, de développer des travaux historiques et analytiques sur les systèmes contractuels nationaux de chacun des cinq pays participant au travail de recherche.

Du fait de l'importance de la logique interne de chaque système national, la décision fut prise de ne pas traduire les rôles clefs et les institutions. Bien que architecte, architect, arkitekt, architetto et Architekt semblent avoir la même signification, elle n'est commune que dans un sens restreint. Tous sont des concepteurs de bâtiments, et trouvent leur origine dans le mot grec architektòn, mais l'évolution historique des systèmes contractuels implique que leur signification sociale est tout à fait différente, et que leur signification fonctionnelle n'est pas continue. L'architecte français a un rôle beaucoup plus contenu et limité dans le processus de construction que l'architect britannique, l'Architekt allemand a un rôle relevant de l'État pour l'obtention de permis de construire, ce que n'a pas son collègue britannique, et ainsi de suite (cf Ponthier 1993). Dans le cas de certains acteurs, tels que le quantity surveyor britannique et le bureau de contrôle français, il n'y a tout simplement aucun élément de comparaison dans d'autres systèmes. On pourrait objecter, dans le même état d'esprit, que le terme de "système contractuel" souligne trop lourdement les contrats entre les parties, au profit de la loi qui sous-tend ces contrats. Alors qu'il est vrai que les systèmes légaux varient de façon relative au poids accordé aux contrats et à la loi, tous les systèmes dans les pays couverts par cette recherche opèrent en fait à partir de la notion de contrat entre maître d’ouvrage et agent de construction et il peut donc être soutenu que ce contrat est ce qui cristallise les relations entre ces parties.


Le système contractuel britannique

L'évolution historique du système contractuel britannique est présentée par Graham Winch, qui opte délibérément pour une vaste perspective, montrant comment les divers éléments du système se sont développés dans le temps à partir des premières ébauches d'un marché du travail dans la construction au moyen-âge. On identifie en premier lieu un système de craft (artisanat) qui consiste en maîtres artisans employés comme main d'œuvre gratuite pour la construction des cathédrales et des châteaux, et organisés en corps de métiers définis par les matériaux utilisés. Dans ce système, conception et construction étaient étroitement liées avec la responsabilité du maître artisan. La montée d'une économie capitaliste en Italie et les riches marchands qui y sont associés menèrent à la Renaissance à l'apparition d'un nouvel acteur dans l'industrie de la construction : l'architecte. Pour la première fois, la conception et la construction apparaissaient comme des entités séparées dans le processus et le trade system apparut. Au lendemain de la guerre civile, ce système était solidement implanté en Grande-Bretagne, et il dura jusqu'à la révolution industrielle. Parallèlement à ce système, un système spéculatif fit aussi son apparition : l'évaluation de la valeur de la terre et non des profits du processus de construction en étaient les moteurs principaux.

C'est le système professionnel né de la révolution industrielle qui caractérise le plus fortement le système contractuel britannique. Il est fortement lié au rôle croissant de l'entreprise générale comme nouveau type d'acteur responsable du processus de construction, ainsi qu'à l'apparition complémentaire d'acteurs de contrôle organisés professionnellement - surtout le quantity surveyor. Ainsi la forme singulière du système professionnel analysé par Bowley (1966) vit le jour : la conception est complètement sous le contrôle des architectes et des ingénieurs organisés en cabinets indépendants, et régulés automatiquement par leurs institutions professionnelles ; la construction est de la responsabilité de l'entreprise générale et de ses sous-traitants ; quant au contrôle du processus, il incombe au quantity surveyor. Une variante minime de ce système existait dans le génie civil où l'ingénieur prenait aussi le rôle de contrôle. Le système professionnel fut hégémonique à l'intérieur de l'industrie de la construction britannique pendant près de deux siècles. Cependant, l'expansion du secteur de la construction à la fin des années soixante mit en lumière les faiblesses du système, et l'ampleur de la crise qui suivit, en 1973, précipita une période de changements rapides qui continue de nos jours..

La première série d'innovations s'attachait aux modes d'attribution des contrats et allait de la réintégration partielle de la conception et de la construction dans le design and build à une tentative de fragmenter davantage le processus global de développement par des biais tels que le construction management. Ce dernier était en particulier associé à l'expansion du secteur à la fin des années quatre-vingt. Cette expansion toutefois n'eut pour effet que d'exposer davantage les faiblesses propres au système professionnel, comme la tendance à étouffer l'innovation et à générer des conflits entre les parties. Un certain nombre d'études comparatives des industries de la construction dans d'autres pays, essentiellement aux États-Unis, et plus récemment au Japon, renforcèrent la conscience des ces imperfections et révélèrent les coûts élevés de la construction en Grande-Bretagne.

Ces préoccupations culminèrent par un appel général à une réforme du système. Les acteurs du système professionnel s'embarquèrent dans un programme de réduction des coûts, d'augmentation de l'innovation et d'élimination de ce que l'on avait appelé les relations adverses, programme symbolisé par le Latham Report de 1994 et complété par des initiatives telles que Technology Foresight et Innovative Manufacturing Initiative. En parallèle à ces volontés de réforme, des changements dans la politique gouvernementale visant à réduire la part de la dépense publique dans l'économie en général amenèrent des développements beaucoup plus radicaux : l'adoption complète de contrats de concession sous la bannière de Private Finance Initiative, lancés sur la base du succès notoire des contrats de concession pour les Dartford Bridge et Severn Bridge. Les contrats de concession sont complètement nouveaux dans le système britannique (les chemins de fer ont été construits sur une base de charte et non de concession). Ce développement menace de miner le système professionnel et de mener à une nouvelle forme de système de contrat en Grande-Bretagne : le système de concession, associé à l'apparition d'un nouvel acteur, le concessionnaire.


Le système contractuel français

Élisabeth Campagnac choisit comme point focal la dynamique de l'évolution des institutions formelles du système contractuel français et les stratégies des acteurs de ce système, principalement les grands groupes de construction. Elle opère par conséquent un lien entre l'analyse des systèmes contractuels et le cadre d'analyse pour les stratégies des acteurs. Campagnac montre en quoi l'allocation traditionnelle des tâches entre acteurs dans le système français fut de plus en plus fortement remise en question dans les années quatre-vingt en raison des stratégies des grands groupes de la construction, et comment les réformes du système dans les années quatre-vingt-dix ont modifié à leur tour ces stratégies.

Le système traditionnel français était fondé sur les réformes de 1973 qui définissaient le rôle du maître d’œuvre, et ses six missions. La réforme avait été incitée par une série de préoccupations sur le manque de définition claire du rôle du maître d'œuvre et sur le manque de coordination entre les ministères. Ceci faisait qu'une attention insuffisante était portée aux phases préalables du projet résultant d'une conception faible, incapable de satisfaire les besoins des maîtres d’ouvrages, et qui ne respectait pas les coûts. Les problèmes étaient accrus par la mauvaise définition du dossier par le maître d’ouvrage public, et par la rémunération des architectes et des ingénieurs qui ne reflétait pas le niveau d'effort requis. La réforme de 1973 fut donc basée sur des principes de rémunération, pour le maître d'œuvre, proportionnels au budget plutôt qu'aux coûts finaux, et passibles de diminution en cas d'erreur importante d'estimation. La rémunération devenait proportionnelle à l'effort requis, une définition claire des responsabilités du maître d'ouvrage et une meilleure définition des relations entre les acteurs étaient ainsi obtenues.

La période suivant la mise en application de cette réforme fut marquée par une chute conséquente de la demande dans le secteur de la construction, aussi bien du côté du public que du privé. La réaction des grands groupes de construction fut double : une stratégie de croissance à travers l'acquisition de firmes de petite et moyenne tailles, et une tentative de différenciation stratégique en offrant une variété plus vaste de services aux maîtres d’ouvrage dans le cadre d'une stratégie "d'offre globale". Afin de mener à bien cette deuxième stratégie, les grands groupes favorisèrent les contrats négociés plutôt que les appels d'offres concurrentiels en produisant des appels d'offres infructueux, forçant ainsi le maître d’ouvrage à négocier. En 1990, 50 % des contrats du secteur public étaient négociés.

La période suivante, à partir de 1986, lorsque la demande reprit du poids, connut une extension différente des ces stratégies des grands groupes de construction. Une vague de concentration ballotta l'industrie entière, avec l’absorption par les plus gros groupes de leurs rivaux plus faibles. Les grandes compagnies d'eau (Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux) prirent aussi leur part de l'industrie. Au même moment, une intégration verticale mena à l'offre de services tels que la promotion immobilière, l'ingénierie en amont et la gestion et l'exploitation en aval. La diversification horizontale entraîna un investissement dans les services urbains.

Ces développements n'étaient pas toutefois accueillis de la même façon par tous les acteurs, et une certaine inquiétude prit forme au début des années quatre-vingt-dix. Une concurrence apte à maîtriser les coûts et à promouvoir une qualité élevée fut recherchée. Le rapport Millier, en 1982, s'était déjà intéressé à ces questions et eut pour conséquence le vote de la loi sur la maîtrise d'ouvrage publique en 1985 (loi MOP). Celle-ci prétendait s'attaquer aux critiques principales faites aux réformes de 1973 : la mauvaise définition des conditions des contrats, des contenus de mission, et les difficultés à appliquer l'échelon des rémunération. La loi MOP définissait les responsabilités du maître d’ouvrage public et tentait d'identifier une mission de base qui définirait les responsabilités du maître d'œuvre. La définition de cette mission de base était tellement conflictuelle (problème de la rémunération des missions et conflit architectes / entreprises) qu'elle fut confiée à une commission tripartite. Elle ne sera définie qu'avec les décrets d’application de la loi MOP de décembre 1993.

En résumé, jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, les réflexions (rapport Millier) et les innovations juridiques (loi MOP) semblaient ménager des possibilité à ces stratégies des grands groupes. Le changement s'opéra avec les décrets d'application de la loi MOP qui multiplièrent les entraves aux stratégies de remontée amont des firmes dans le projet.

Après 1992, la récession entraîna une phase de changement dans les stratégies des grands groupes de construction, alors que ceux-ci tentaient de se remettre des graves pertes et de l'effondrement du marché immobilier, et de la chute de la demande. Ils optèrent en particulier pour des activités à faible risque telles que la gestion d'équipements. Le contexte institutionnel commençait aussi à changer.

Les architectes avaient fortement fait pression contre un certain nombre d'éléments de la loi MOP (exemple : le concours conception-construction), et leurs objectifs connurent une part de succès ; l'harmonisation de la législation européenne de l'attribution des marchés réclama plus de transparence ; une force anti-corruption changea aussi les pratiques d'acquisition. Les effets combinés de ces changements dans l'environnement institutionnel favorisèrent un retour à une approche plus traditionnelle de contrats séparés, la direction du contrat sur le chantier revenant au maître d'œuvre (mission de base), et une moindre place pour les marchés négociés dans les processus d'appels d'offres. L'attribution de marchés en concession / construction, où la firme de construction a de grandes responsabilités, fut limitée, alors que la variété des formes innovantes de contrats, apparue dans la deuxième moitié des années quatre-vingt, était supprimée.

Le cas de l'évolution du système contractuel français illustre bien l'affirmation selon laquelle la dynamique du système contractuel national est centrale à la compréhension des évolutions des filières de construction en Europe. Les stratégies des acteurs (dans ce cas essentiellement les grands groupes de construction, mais aussi, en retour, les architectes) façonnent le contexte institutionnel et sont façonnées par lui.


Le système contractuel italien

L'analyse du système contractuel italien réalisée par Stefano Stanghellini démontre l'importance de l'histoire pour une compréhension de l'évolution des systèmes. De nombreux traits importants du système italien remontent à l'époque fasciste et à son héritage dans les années de l'après-guerre. Un trait distinctif du système italien, jusqu'à très récemment, était le nombre de firmes dans l'industrie appartenant à l'Etat par le biais de l'IRI, qui avait été formée à une époque de crise profonde de l'économie italienne en 1933. La situation présente se distingue aussi par la domination quasi exclusive d'une entreprise, Impreglio, filiale de Fiat, avec un chiffre d'affaires près de quatre fois plus élevé que sa plus proche rivale.

Le rôle de l'État du côté de l'offre dans l'industrie s'accompagnait de l'importance énorme de l'État du côté de la demande, non seulement pour des infrastructures traditionnelles, mais aussi par son contrôle extensif de grandes zones du secteur de la maintenance et de l'énergie. Dans ces conditions, le clientélisme et la corruption pour lesquels l'Italie devint célèbre au début des années quatre-vingt-dix, se développaient aisément. Leur mécanisme principal était le concessione di sola costruzione (concession uniquement de construction) par lequel les marchés publics, sur la base d'un devis ultérieur, étaient offerts aux entreprises dont l'État était actionnaire.

Le mouvement anti-corruption en Italie, qui se traduit en particulier dans les lois 109/94 et 216/95 a désormais interdit de telles pratiques et ne permet plus que des appels d'offres concurrents sur projet complet, ou des concessions de construction et d'exploitation. Cependant, le trou dans le flux de marchés de travaux publics, pendant que ces lois sont en phase d'application, a mené à une profonde crise de la construction italienne qui a particulièrement affecté les entreprises appartenant à l'Etat. En liaison avec les législations d'application des directives de l’Union européenne sur les marchés publics, ces lois signifient que le système contractuel italien est actuellement en train de subir de profonds changements.

Les rôles de l'architecte et de l'ingénieur sont protégés : ainsi, le maître d’ouvrage est obligé de désigner l'un ou l'autre pour la conception du projet, et leurs rôles, à de rares exceptions près, sont largement interchangeables, selon la loi. Une réforme des rôles est en cours. Le projet revient à simplifier les tâches en les distinguant en trois phases : le projet préliminaire, le projet de définition, et le projet d’exécution qui amène le projet au stade de l'appel d'offres. Pendant la réalisation du chantier, l'architecte et l'ingénieur sont responsables à égalité pour la supervision des travaux, tandis que le maître d’ouvrage public est aussi tenu de désigner un architecte indépendant ou un ingénieur pour suivre et contrôler la qualité de l’exécution. Ces questions sont cependant au cœur d'un débat et d'autres changements viendront sûrement, surtout au moment où l'Italie devra aligner ses lois sur celles de l'Europe.

La diversité actuelle des voies d'accès à la commande publique au sein du système italien est tout à fait semblable au reste de l'Europe, et va des lots séparés aux contrats de concession. Ceux-ci sont analysés à l'aide du cadre conceptuel de Masterman (1992). La tâche principale de la nouvelle législation est d'introduire la transparence dans le processus de sélection d'entreprise. Pour l'avenir, Stanghellini identifie deux éléments moteurs de changement dans l'industrie. Le premier est un déplacement vers la réhabilitation et l'entretien, particulièrement dans le secteur immobilier. Ceci implique un rôle accru pour les petites firmes et l'entrée de nouveaux types de firmes sur le marché tels que les fabricants de composants. Le deuxième élément moteur est le développement de contrats de concession pour les travaux publics. Ceux-ci introduisent de nouveaux acteurs associés au financement et à la gestion des services publics, comme l'illustre le cas du TAV.


Le système contractuel danois

Le système contractuel danois, analysé par Sten Bonke, est un exemple fascinant de la manière dont un type de produit (le logement social) peut influencer le développement de tout un secteur. En 1953, devant un manque de logement croissant, le ministère danois du logement et de la construction délivre un décret ministériel selon lequel pas plus de 15 % du temps de travail pour le gros oeuvre d'un immeuble moyen ne pourrait être utilisé par des travailleurs qualifiés si les fonds provenaient du gouvernement. Ceci donna lieu à une dynamique favorable à la préfabrication, qui a eu un grand succès aussi bien à l'intérieur que sur les marchés de l'export.

La réglementation encouragea les entreprises à développer des systèmes de préfabriqués en béton, et à abandonner des systèmes traditionnels dominés par l'architecte et l'artisan. L'étape suivante dans le développement technologique fut le décret départemental de 1960 qui concevait l'intégralité du processus de construction comme un système de production industrielle : le projet et la conception de l'immeuble étaient désormais intégrés à part entière dans le processus industrialisé de la construction. Afin de faciliter ce développement, le ministère introduisit des systèmes de grilles d'éléments qui standardisaient les dimensions des composants de construction. Ceci permit des économies d'échelle et facilita la production de composants sur une base industrielle. Ainsi furent mises en place les bases du développement au cours des années soixante d'un nombre varié de systèmes ouverts ou fermés de préfabrication par les entreprises danoises, et en 1980 le temps de travail pour une entreprise standard était réduit de 50 % par rapport aux chiffres de 1950, le gros de la réduction provenant des activités sur les chantiers.

Alors que le patrimoine immobilier commençait à vieillir, une inquiétude grandissante s’exprima quant à la qualité des résultats de l'industrie, et un décret départemental de 1986 réforma le système quant à la qualité et la viabilité, en tentant de maximiser le rapport coût / qualité. Les principes fondamentaux de la réforme étaient de nouvelles procédures de conception, des garanties de qualité des systèmes, une standardisation des périodes de durabilité, des manuels de construction pour faciliter la gestion, une inspection des immeubles tous les cinq ans, et l'institution du Byggeskadefonden (fonds de garantie immobilier) qui simplifierait les procédures de remboursement pour le maître d’ouvrage en cas de défauts.

Le ministère du logement et de la construction est un acteur important du système contractuel danois, principalement par le biais des règlements de construction, formulés sur la base de performances et par les standards de formes de contrats : ABR 92 pour la construction et pour le génie civil, AB 89 pour les services de dessin et ABT 93 pour les contrats de conception-construction. La législation de l'environnement du travail joue aussi un rôle dans les activités de l'industrie. Le taux de syndicalisme dans l'industrie dépasse les 90 % et s’organise en plusieurs syndicats professionnels. Des organisations semblables existent au niveau des employeurs. Les travailleurs sont habituellement employés irrégulièrement et payés à la pièce sur une base de salaire négocié en partie nationalement et en partie à travers des accords locaux sur le chantier avec chaque groupe de travailleurs, sur la base des prix inscrits dans le catalogue national. Lorsque le taux à la pièce n'est pas approprié, comme sur les travaux de restauration, le taux à l'heure domine.

L'analyse de l'organisation du processus de construction danois commence par la structure traditionnelle de la coalition de projet qui fut dominante jusque dans les années soixante. Dans cette structure, le maître d’ouvrage employait séparément les architectes et les ingénieurs, et individuellement chacune des professions de la construction. Les professions étaient coordonnées par le maître d’ouvrage lui-même ou par un directeur de construction séparé. Les années soixante virent l'apparition de l'entreprise générale, encouragée par le développement des méthodes de construction industrialisées qui réduisaient, en particulier, le rôle du maçon. Le troisième type de structure est la conception-construction, où l’équipe de conception est une subdivision de l'entreprise générale, ceci étant propre à l'approche industrialisée de la construction. Le principal défi que doit affronter l'industrie de la construction danoise à l'avenir est l'adaptation des méthodes industrialisées à des volumes bien moindres et à des projets de plus petite taille, dominants désormais dans ce secteur.


Le système contractuel allemand

Gerd Syben analyse le système traditionnel des lots séparés en Allemagne et souligne combien ce système repose sur des réglementations sociales, légales et commerciales. Les procédures d'appel d'offres pour les travaux publics, auxquelles on a recours pour de nombreux travaux dans le secteur public, sont gouvernées par le Verdingungsordnung für Bauleistungen (VOB). Celui-ci prescrit que les appels d'offres doivent être effectués sur une base compétitive ouverte, mais que le prix le plus bas n'est pas nécessairement le critère de sélection pour le vainqueur, dans la mesure où la qualité et la performance peuvent être prises en compte. Le maître d’ouvrage est également obligé de diviser le travail en petits lots professionnels, sur la base d'une spécification complète. Ceci implique tout d'abord que les maîtres d’ouvrage doivent développer de vastes capacités de gestion interne ou avoir recours à un spécialiste afin de coordonner les lots séparés ; et d'autre part que le rôle de l'architecte est important dans la conception. L'architecte est l'acteur responsable de la coordination des différents corps d'état et devient l'acteur dominant dans le système traditionnel, alors que l'entreprise générale a un rôle essentiellement réactif. L'intérêt public porté à la stabilité de la structure du bâtiment est assuré par le Prüfingenieur qui est obligé de contrôler les calculs de structure et les plans des ingénieurs.

Le VOB agit aussi toutefois comme instrument de politique industrielle. L'obligation de diviser les travaux en petits lots signifie que les petites et moyennes entreprises locales ont l'opportunité de se mettre en concurrence sur un pied d'égalité avec les plus grandes firmes nationales, sur la plupart des projets. Elles le font souvent en consortiums appelés Arbeitsgemeinchaften. Ceci a été un facteur essentiel de la vitalité continue de ces firmes en Allemagne. La possibilité de sélection de l'entreprise générale sur une base autre que le prix implique que le maître d’ouvrage peut favoriser les firmes de construction locales. S'inspirant des travaux de Luhmann (1968), Syben explique qu'il s'agit ici d'un acte rationnel de la part du maître d’ouvrage motivé par les inévitables incertitudes du processus de construction. Un certain nombre d'adaptations du contrat initial est inévitable, et d'autant plus facilement atteint dans un contexte de relation de confiance entre les deux. Un tel niveau de confiance est plus aisément maintenu à travers des relations personnelles de projet à projet. Le système allemand met donc un accent très fort sur les contrats entre personnes connues et représentant une firme de bonne réputation. Ceci favorise inévitablement les firmes locales au détriment des firmes nationales ou étrangères.

Bien que le système traditionnel en Allemagne reste encore prédominant, un certain nombre d’évolutions ont eu lieu au cours des dernières années. Elles consistent essentiellement dans la tendance de l'entreprise générale à se développer au-delà de ses fonctions traditionnelles d'entreprise de gros œuvre, pour couvrir une plus grande partie du processus global de la construction. La première conséquence est l'évolution des entreprises de gros œuvre en Generalunternehmer. Cet acteur prend la responsabilité du projet et de l'intégralité du processus d’exécution sur le chantier, y compris le second œuvre, alors que celui-ci est habituellement sous-traité. Les responsabilités du maître d’ouvrage sont réduites, ainsi que son contrôle sur le processus. Un développement ultérieur concerne les phases de conception sous la forme de Generalübernehmer. Ceci peut impliquer que l'entreprise générale est complètement responsable de la conception ou responsable des études d'ingénierie lorsque le maître d’ouvrage décide de garder un architecte. L’extension finale de cette logique de l'intégration verticale est le Projektentwickler, où l'entreprise générale agit comme maître d’ouvrage sous forme de promoteur spéculatif. L'intégration plus en aval, pour la gestion des services du produit construit dans le Betriebermodell, ne s'est pas encore développée en Allemagne, où le financement privé des projets de construction du secteur public a été limité aux prêts avec remboursements d'intérêts plutôt que par le biais de l’exploitation des services.

Le rôle élargi de l'entreprise générale dans le processus global de construction a eu un certain nombre d'implications. Tout d'abord, il y a eu une croissance importante du recours à la sous-traitance. Dans le modèle traditionnel, tous les corps d'états étaient en contrat direct avec le maître d’ouvrage. Avec les nouvelles formes, l'entreprise générale sous-traite au moins le second œuvre, et peut faire de même pour le gros œuvre. Deuxièmement, les architectes se sont montrés de plus en plus incapables de relever le défi de gérer des systèmes plus puissants, et les maître d’ouvrage sans ressources internes importantes de gestion de projet se sont de plus en plus tournés vers le Projektsteuerer afin d'équilibrer la puissance accrue du Generalunter (et du übernehmen). Troisièmement, le processus de construction est devenu de plus en plus intégré par l'entreprise générale, en même temps que celle-ci se "désintégrait" par une externalisation accrue des tâches qui s’étend même à celle autrefois réalisées en interne, comme le gros œuvre.

Il faut souligner, en guise de conclusion ce qui ne se passe pas dans le système contractuel allemand. L'énorme expansion de la demande engendrée par l'unification et par l'essor qui s'en est suivi à Berlin et dans les neue Länder n'a eu que très peu d'impact au niveau institutionnel du système. D'autre part, il n'y a eu aucun effort systématique de réformer quelque aspect que ce soit du système. Contrairement aux autres pays, le système allemand est perçu comme adéquat aux besoins contemporains des maîtres d’ouvrage de construction allemands et pour l'industrie qui y répond.