PERFORMANCE
DU CHANTIER, LOGISTIQUE, ENCADREMENT
L'ARTT et le
second œuvre
La prise en
considération de ARTT dans le planning
L'anticipation de l'ARTT
par les entreprises de corps d'état
Le transfert des
incorporations vers le maçon
La logistique
La
prise en considération de ARTT dans le planning
Les
entreprises ayant un accord ARTT
Seules trois entreprises retenues pour ce chantier
possèdent un accord ARTT : l'entreprise qui fabrique les menuiseries
extérieures, celle qui assure la menuiserie intérieure, enfin celle
de serrurerie. La première fournit peu d'enseignements puisque
la pose des menuiseries PVC est assurée par une entreprise
indépendante qui n'est pas encore soumise aux trente cinq heures.
L'entreprise a fait le choix de réduire le temps
de travail sans demander d'aides ou de subventions particulières. Le
temps effectif est de 38 heures payés 39 heures avec une partie qui
est considérée en heures supplémentaires (de 36 à 38 heures). Leur
règlement est effectué sur la base d'une augmentation de 10% du taux
horaire pour l'année 2000 et de 25 % l'année suivante.
Le découpage du temps de travail hebdomadaire a
été modifié avec le passage d'une organisation en cinq jours à une
organisation de quatre jours et demi. Dans le premier cas, les
horaires se composaient de quatre jours de huit heures et d'un
vendredi de sept heures. Dans la nouvelle organisation, ils se
composent de quatre jours de huit heures trente et de quatre heures de
travail le vendredi matin.
Cette organisation est appréciée par le personnel
ouvrier qui profite d'un week-end plus long. Par contre,
l'encadrement n'est pas pleinement satisfait de cette organisation. En effet, il arrive
qu'il doive assister à
des réunions de travail le vendredi après midi, et attend que le modèle
adopté par l'entreprise se généralise progressivement dans la
région. L'encadrement affiche sa préférence pour un
vendredi complet toutes les deux semaines. En effet, il arrive
fréquemment de terminer les tâches le vendredi après midi, au calme, ce qui facilite la
concentration, avec un nombre limité d'interruptions. On s'aperçoit avec cet exemple que la réduction du temps
de travail n'est pas effective pour l'encadrement.
L'entreprise a un effectif d'environ
soixante-dix salariés avec une répartition d'une dizaine de
personnes qui assurent les tâches administratives, d'études et
d'encadrement des chantiers, une quarantaine étant affectées à
l'atelier de fabrication, et une vingtaine assurant la pose des
éléments de serrureries sur les chantiers. L'entreprise travaille
régulièrement avec une dizaine de sous- traitants. La signature de
l'accord a autorisé l'embauche de personnel supplémentaire (six ouvriers
affectés à l'atelier).
Il n'y a pas eu de perte de salaire, il n'y a pas eu de compensation
extérieure. La négociation a été menée pendant plusieurs mois
avec le personnel, en groupes de réflexions sur l'organisation
de l'entreprise. L'accord ARTT date du deuxième semestre 1999. Les
modalités diffèrent suivant la spécialité du personnel. Le temps
de travail de l'atelier a été de 4,5 jours dans un premier temps,
puis on est revenu à cinq jours. Les équipes de
poseurs ont par contre la possibilité de prendre un week-end de trois
jours tous les 15 jours.
La réduction du temps de travail s'est
accompagnée de nombreux changements de l'organisation de l'entreprise
en particulier un réaménagement des magasins et des zones de
stockage. Depuis l'accord les ouvriers des équipes de pose viennent
directement sur les chantiers au lieu de venir à l'entreprise puis de
partir sur les chantiers avec les outils et les matériaux
nécessaires à la journée de travail. Cela a permis d'augmenter le
temps de travail effectif des ouvriers en réduisant le temps de
transport. Un ouvrier a la charge d'une camionnette avec
laquelle il assure une tournée pour aller chercher ses collègues.
Les équipes ont été
recomposées en fonction des proximités géographiques. Les outils des ouvriers sont conservés dans cette
camionnette. Cette mesure s'accompagne d'une nouvelle fonction dans
l'entreprise: un chauffeur livreur pour assurer
l'approvisionnement des chantiers. Cette organisation demande une
planification hebdomadaire plus rigoureuse et une synchronisation plus
importante entre atelier et équipes de poseurs. Cela se traduit
notamment pour l'encadrement des chantiers par une augmentation
importante du nombre de papiers à remplir et à gérer. Il s'est
développé le sentiment qu'il faut "être beaucoup plus
rigoureux dans son travail".
L'importance et la soudaineté des changements ont
demandé un temps d'adaptation pour l'ensemble du personnel.
L'entreprise a laissé en place après la signature de l'accord des
groupes de travail afin d'adapter en permanence son organisation aux
difficultés et aux aspirations du personnel. Malgré ce dialogue
social interne, il est délicat d'être la seule
entreprise de son secteur à être passée aux 35 heures: cela
renforce les conditions de concurrence vis-à-vis des autres.
Par contre, il semblerait que cet accord altère
les conditions de travail des salariés assurant l'encadrement des
chantiers, avec des modifications importantes liées à l'augmentation des tâches de gestion et de
synchronisation, mais aussi au départ de collègues de travail. En
effet, l'équipe initiale de quatre conducteurs de travaux se retrouve
maintenant réduite à deux personnes en raison de la démission de
deux d'entre eux. La charge de travail actuelle entraîne fréquemment un
temps de travail quotidien supérieur à 12 heures qui entretient un
état de fatigue chronique. Dans ces conditions, "on arrive à
ne plus pouvoir se concentrer, c'est à ce moment que l'on fait des boulettes".
L'impact
sur le planning
Suivant le responsable méthodes et les conducteurs
de travaux des deux entreprises concernées, les modalités ARTT
n'ont pas eu d'effets sur l'élaboration du planning, ni sur
l'activité du chantier. Plusieurs raisons permettent de fournir une
explication à ces phénomènes. En premier lieu, le délai accordé
par le maître d'ouvrage permettait à chaque entreprise de travailler dans des conditions normales avec l'organisation
habituelle. Elles n'ont pas eu besoin de faire appel à
de la main d'œuvre supplémentaire pour assurer un délai resserré.
De plus, la stratégie du service méthodes reposait sur la diminution
du délai de gros œuvre afin de garantir des délais raisonnables et
de limiter des situations de co-activité. La plupart des entreprises ont réussi à
développer leur autonomie en particulier par la possession, ou la
location, d'engins mécanisés de manutention. Les enjeux
véritables se situent non pas dans le temps de travail des ouvriers,
mais au niveau de la coordination du chantier afin de programmer les commandes,
les fabrications, ou la disponibilité
de la main d'œuvre. Le temps de travail des ouvriers des
deux entreprises n'a pas été la cause d'événements ou de
dysfonctionnements particuliers. Les délais définis par le service méthodes ont été respectés.
Les ouvriers des autres
entreprises n'ont pratiquement pas remarqué de différence sur le
chantier, si ce n'est une légère diminution d'animation et
de bruit. Par contre, le temps de travail de ces
ouvriers a été sujet de discussion. L'octroi
régulier de week-ends de trois jours semble recueillir des avis plus
favorables que l'organisation du travail sur quatre jours et demi.
Le service méthodes
désirait généraliser les plannings tout corps d'état. Il apparaît
que le raisonnement tenu pour les réaliser repose sur un principe de
ratio de quantité de travail quotidien. Il serait utile de vérifier
si cette méthode est encore représentative dans le cas où
le temps de travail de chaque entreprise influe sur la quantité
réalisée quotidiennement. Pour le moment, il n'existe pas de
données fiables sur ce sujet.
Il demeure un nombre important
d'interrogations sur l'avenir, ce qui rend délicate toute démarche
prospective. Sur ce chantier expérimental, les caractéristiques du
projet et les temps de travail des entreprises en ARTT autorisaient
une organisation raisonnable et cohérente. Mais cela sera-t-il
possible quand les temps de travail quotidiens ou hebdomadaires des
entreprises auront une incidence sur leur délai de prestation, sur la
coactivité ou sur la coordination du chantier? Ou si les
caractéristiques du projet, notamment quand les délais sont courts, provoquent le chevauchement des prestations
des entreprises et le recours à un nombre plus élevé d'opérateurs
?
L'anticipation de
l'ARTT
par les entreprises de corps d'état
Les entreprises
de moins de vingt salariés attendent la date d'application de la loi
Aubry avec une anticipation et une préparation très faible. En
effet, seule une entreprise a commandité une expertise qualité,
assuré par un consultant extérieur, pour cerner progressivement ses
sources de manque de performance, puis élaborer une organisation
conjointement avec les salariés.
Les autres entreprises, même si certains
responsables déclarent avoir quelques idées sur la manière dont ils
vont s'y prendre, attendent d'être incitées à appliquer la loi
Aubry. La période actuelle s'avère faste pour elles avec une charge
de travail élevée et des carnets de commande remplis. Elles
se sentent d'autant moins incitées que certaines institutions de la
région leur ont annoncé qu'il n'y aurait aucune sanction la
première année d'application.
L'ARTT est associé à l'idée d'un
surcoût, essentiellement de main d'œuvre, et ne fait pas l'objet de
discussions entre salariés et patrons. Ceux-ci considèrent
que le personnel de leur entreprise n'aura pas d'autres choix que de
suivre les modalités qu'ils mettront en place, ce qui semble
fortement limiter le dialogue social. Ces responsables véhiculent
également l'idée que l'ARTT, par le biais du mandatement, peut développer un désir de syndicalisation de la part de leur personnel.
Ces chefs d'entreprises s'inscrivent dans l'idée
d'un prolongement de ce qui se passe maintenant même s'il subsiste
des incertitudes fortes, et déclarent très
nettement qu'ils ne procéderont pas à des embauches en raison du coût salarial.
Ils préfèrent employer du personnel avec des
statuts précaires (embauche ponctuelle d'intérimaires, recours à
des artisans pour la durée du chantier, personnel payé à
la tâche). En même temps, ces propos sont pour certains relativisés:
du personnel peu compétent ou expérimenté
n'arrive pas à tenir les délais avec la qualité requise.
Quelques entreprises se démarquent de
ce discours quand on aborde le thème de la formation du personnel. En
effet, certaines professions, à moins que cela soit lié à la
personnalité de leur dirigeant, désirent poursuivre leur mission
d'accueil et d'encadrement de jeunes pour que leur métier puisse se
poursuivre tout en se renouvelant; c'est le cas en particulier des
charpentiers qui ont une longue tradition de compagnonnage.
Les entreprises
déclarent déjà pratiquer une forme de modulation avec une
adaptation du temps de travail en fonction du
chantier ou des urgences. A la différence des grandes
entreprises, elles déclarent payer mensuellement les heures
supplémentaires, ce qui correspond à un climat de
confiance avec le personnel. Elles s'attendent à des contraintes supplémentaires pour
l'encadrement déjà surchargé dont il n'est pas certain qu'il puisse assurer la préparation des chantiers
ou assister
aux réunions de chantiers. Il se dégage des entretiens que c'est
certainement à ce niveau qu'il y aurait le plus grand nombre de
changements avec une difficulté renforcée pour ceux qui assurent la
coordination du projet, architecte ou conducteur de travaux.
Les évolutions des matériaux pourraient représentent une source de gain de
temps limitant l'impact du surcoût de la main d'œuvre.
Certains ont été plus loin dans leur analyse en indiquant que la
proximité de la frontière espagnole leur permet de s'adresser à des fournisseurs espagnols qui pratiquent des coûts
plus bas. Ce phénomène marginal pour le moment pourrait
s'accentuer avec l'application de la loi Aubry. Il n'est pas non plus
impossible que des plate-formes de colisage se créent de
l'autre coté de la frontière en raison du coût de la main d'œuvre
plus faible.
Les conditions de travail
ou de santé n'ont jamais été abordées par les responsables de ces
entreprises. Une seule exception: une entreprise de charpente se
déclarait pour une réduction effective du temps de travail quotidien
à sept heures en raison de la pénibilité du travail.
Le transfert des
incorporations vers le maçon
Dans le cadre de la recherche de performance, un thème de réflexion a
été proposé autour de l'idée du transfert des incorporations de l'électricien et du plombier vers le
maçon. Ce découpage des tâches est inhabituel dans le cadre de
logements sociaux collectifs. Par contre, des organisations
séquentielles appliquées à des logements individuels apportent des
résultats satisfaisants. D'autre tentatives ont porté principalement
sur les incorporations électriques dans les verticaux en raison d'un
savoir technique plus facilement transférable entre les métiers
ainsi qu'un effet limité sur la qualité. Les
incorporations dans les dalles sont évitées en raison des risques
qu'elles font courir à la qualité des ouvrages et des compétences que les maçons doivent acquérir.
L'organisation et la charge de
travail de chacun de ces deux intervenants ne nécessitait pas une
présence continue. Les ouvriers venaient assurer leur prestation en
fonction d'un planning défini chaque semaine par le chef de chantier.
Un transfert partiel limité aux seules incorporations électriques
dans les voiles aurait limité le déplacement presque quotidien de
l'électricien. Ce dernier venait sur le chantier de Launaguet pour un
temps dépassant rarement les deux heures d'intervention ce qui lui
aurait permis d'améliorer la gestion de son temps partagé entre
deux, voire trois chantiers pendant un court laps de temps.
Le thème a été présenté aux entreprises
intéressées au cours d'une réunion. Les participants pressentis, le
plombier et l'électricien ont accepté de participer à la réflexion
mais en demandant formellement qu'il n'y ait pas de mise en pratique
au cours du chantier même à titre expérimental, leur
responsabilité étant engagée et le descriptif du marché ne
prévoyant pas cette clause singulière. La méthodologie initiale a été
aménagée. Elle prévoyait la réunion d'un groupe de travail à deux
ou trois reprises. Cette approche a évolué vers une série
d'entretiens en raison du décalage du chantier de deux
mois.
Ce thème soulève des questionnements de nature
différente qui ont été soumis aux entreprises.
- Le transfert des compétences (conditions et
moyens) de tâches assurées par des professionnels expérimentés vers
d'autres professionnels non spécialisés dans la tâche.
- Les procédures de travail : qui fait les
contrôles du travail et de la qualité ? à quel moment sont faits
ces contrôles ?
- La performance et l'efficacité : un
non-spécialiste met-il le même temps qu'un spécialiste pour
une qualité identique ? y a-t-il complémentarité entre la
mission assurée traditionnellement par les maçons et celle
nouvellement demandée ?
- La qualité des prestations : importance des
défauts après la mise en route de l'installation, évolution des
circuits dans le temps, influence sur le coût de la maintenance des
bâtiments ?
- La responsabilité juridique – les clauses
des assurances contractées évoluent-elles ? le montant des
assurances varie-t-il ? les conditions de garanties sont-elles
identiques ?
- La rémunération de la prestation : que
représente la rémunération actuellement quand les entreprises
soumettent un devis ? idem pour une entreprise générale ? quel
est le coût réel des prestations et la plus value dégagée ?
comment faire évoluer sans que les acteurs en présence soient
pénalisés d'une manière quelconque ?
- La représentation du métier et du travail
: perception de la nouvelle tâche par un maçon rémunéré pour une
tâche répétitive sous contrainte de temps ? répercussions sur le
collectifs de travail ? vers une tâche attribuée à un ouvrier au
sein du collectif ou vers une polyvalence de l'ensemble du collectif ?
- Les relations entre les acteurs du projet :
changement des relations entre les acteurs ? dans le travail de
production ? au moment des négociations lors de la consultation des
entreprises ?
L'opinion
de l'électricien
Cette entreprise exprime très clairement sa
réserve sur le principe qui lui est proposé. Ses arguments portent
principalement sur les points suivants.
La compétence d'un électricien demande un
apprentissage long qui dure en moyenne cinq ans. Il permet
d'acquérir des savoir-faire de plusieurs ordres en premier lieu
d'assurer la qualité attendue quelle que soit la complexité de la
technologie mise en œuvre. L'électricien doit être en
mesure de suivre le rythme du chantier quelle que soit l'organisation du
chantier. Le conducteur de cette entreprise considère que
l'apprentissage par des maçons ne pourrait être envisagé qu'à la
suite de stages pratiques de longue durée encadrés par des
électriciens formateurs. Il insiste sur les notions de qualité et de responsabilité. La qualité devient un
enjeu de plus en plus fort sur les chantiers. Pour l'électricien,
cela ne renvoie pas seulement à l'état des installations mais
également au positionnement et l'alignement des prises dans
chacune des pièces des logements. Cette qualité nécessite un
travail de pose mais aussi de reprise dont il n'est pas certain qu'il
puisse être correctement apprécié par un service méthodes lors de
l'élaboration du planning et des rotations. Le travail
de l'électricien de chantier ne s'arrête pas exclusivement à la
pose de matériel mais aussi à la gestion des stocks et à la
préparation de ces matériel. Avec la nouvelle organisation, il
faudrait définir de manière précise et formelle les limites des
prestations de chaque entreprise concernée pour éviter des
dysfonctionnements. L'intervention de l'électricien au moment
du chantier fait suite à un travail de préparation qui nécessite des compétences qui sont
entretenues
par un dialogue constant entre les équipes de poses et les services
techniques de l'entreprise. En imaginant un transfert de prestation
appliqué à l'ensemble des chantiers, la qualité
d'information nécessaire aux compétences de l'entreprise serait
modifiée et le résultat dans le temps irait dans le sens d'une
dégradation.
La
préoccupation majeure réside dans la
responsabilité qu'entraîne ce transfert: qui doit assurer le repiquage quand une incorporation ne
correspond pas à la qualité attendue? Il est utile de préciser quel prestataire
doit reprendre une installation: celui qui est chargé des
incorporations ou celui qui assure le branchement des
installations.
L'organisation actuelle présente
un avantage car la responsabilité est assurée par un seul
prestataire alors que le transfert des incorporations entraîne son
partage entre plusieurs acteurs. Le découpage des tâches tel qu'il
est pratiqué actuellement a la faveur de l'entreprise car il permet un ensemble cohérent clairement établi
entre les acteurs du chantier.
L'opinion
du plombier
Le responsable de l'entreprise de plomberie reprend
sensiblement des arguments similaires à ceux qui sont tenus par
l'électricien en particulier sur la notion de responsabilité. Cette
dernière est d'autant plus développé que les sinistres peuvent
être importants lorsqu'il y a un dégât des eaux. Le
transfert serait envisageable très ponctuellement quand la
complexité des réseaux est faible comme c'est le cas pour les
maisons individuelles où la pression des fluides est faible.
L'exigence de qualité et la recherche de
performance nécessitent des compétences spécifiques afin que les
prestations soient assurées du premier coup sans reprises
ultérieures. Pour assurer cette qualité, l'entreprise préfère augmenter ponctuellement l'effectif d'ouvriers
affectés à un chantier plutôt qu'envisager de transférer certaines
prestations à des entreprises moins expérimentées.Si ce type de prestation doit émerger
dans les prochaines années, il est capital que cela soit précisé de
manière formelle dans le descriptif du marché.
L'opinion
des maçons
La première réaction d'un compagnon de
l'entreprise générale affecté aux voiles est de refuser en
précisant que cela n'est pas envisageable avec un temps de travail
hebdomadaire de 35 heures. Sa perception est de considérer que cette
tâche vient s'ajouter à celles pratiquées habituellement. Après
une précision que le service méthodes intégrerait le temps
nécessaire à cette opération supplémentaire, le compagnon
accepterait cette nouvelle répartition des tâches si l(organisation est
mise en place sur l'ensemble des
chantiers. Cette mesure serait l'occasion pour un grand
nombre d'ouvriers de comprendre certains éléments simples d'un plan.
Cette nouvelle organisation du travail pourrait alors donner l'occasion
de développer des compétences et l'autonomie des ouvriers.
Le premier argument exprimé par le
chef d'équipe des horizontaux porte sur la responsabilité que
cela entraîne: le savoir-faire des électriciens et des plombiers est
beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Il n'est
pas convaincu que ce découpage apporte un gain de performance à son
équipe et redoute que l'affectation de
compagnons supplémentaires (avec certainement une spécialisation de
certains ouvriers pour assurer ces tâches) aille à l'encontre de
l'idée de polyvalence qui préside dans l'entreprise.
La logistique
Ce thème s'inscrit une nouvelle fois dans le cadre
général d'une recherche de performance sur le chantier pour
amoindrir les effets du surcoût engendré par l'application de la loi
Aubry. L'étude de la logistique de chantier et de ses
conditions représente un facteur d'amélioration des
conditions de travail. La démarche proposée aux
entreprises a été aménagée en remplaçant les réunions d'un
groupe restreint de travail par un questionnaire diffusé à
l'ensemble des entreprises. Ce dispositif a été complété par des
entretiens avec la plupart des entreprises.
Le questionnaire a été organisé avec des
questions portant sur chacune des phases de la logistique
de chantier:l'approvisionnement du chantier, le stockage,
les manutentions jusqu'à la situation de travail, la pose des
matériaux et l'évacuation des déchets. Sur les douze entreprises de
second oeuvre, huit ont répondu aux questionnaires.
L'exemple
du plaquiste
Cette entreprise emploie plusieurs types de statuts
avec des salariés, du personnel employé régulièrement rémunéré
à la tâche et du personnel qui vient assister les précédents en
fonction de la charge de travail de l'entreprise. La formation du
personnel se fait en situation avec une sélection suivant la
capacité des personnes à suivre la cadence de pose avec une qualité
satisfaisante.
Les tâches de manutentions représentent une
source d'ambiguïté avec le personnel rémunéré
à la tâche. En effet, la rémunération porte sur la quantité de
travail réalisée, en mètres linéaires. Les temps de
manutentions (déchargement des semi-remorques, approvisionnements et
répartition dans les logements) ne sont pas rémunérés, d'où des
stratégies des opérateurs pour concentrer cette tâche
sur des laps de temps réduits. Il en résulte un état de fatigue qui se poursuit pendant les tâches de pose, ce qui
expliquerait certains défauts de qualité, des relations
parfois tendues avec les autres ouvriers du chantier et surtout
l'importance des pathologies de ce corps de métiers.
Les
moyens de faire évoluer ces situations apparaissent limités. Une
action sur le colisage ou les caractéristiques des matériaux n'est
pas souhaitable ni sous la forme d'une limitation du nombre de plaques
par colis, ni par une action sur leurs dimensions car ils
correspondent à la logique du travail à fournir dans les logements.
Une action sur le poids de chaque élément semble
difficilement envisageable car la propriété du matériau risquerait
de ne plus être respectée, mais cette question concerne plus les
industriels que les entreprises assurant la pose. Il serait plus indiqué de concevoir
des outils spécifiques à cette activité pour faciliter la
préhension, comme éventuellement l'emploi de ventouses. Pour
l'approvisionnement des logements, il serait utile de concevoir un
outil avec une fourche télescopique qui
équiperait la grue ou un engin de chantier. Ce dispositif permettrait
de rentrer les colis directement dans les appartements. Il
serait nécessaire aussi que la largeur des baies ait une taille compatible
avec les colis, ce que les architectes oublient fréquemment. Avec ce
procédé, les manipulations seraient limitées, de plus les
opérateurs travailleraient dans des conditions de sécurité plus
importantes.
Les autres attentes du plaquiste, qui
favoriseraient sa logistique et la santé de son personnel, seraient
que la zone de circulation autour des bâtiments soit respectée par
l'ensemble des personnes intervenant sur le chantier.
En même temps, il serait nécessaire que ces zones de circulation ne
soient pas sensibles aux variations climatiques.
Cette entreprise n'envisage pas un
approvisionnement au fur et à mesure de l'élévation des étages. En
effet, il est nécessaire que la qualité des matériaux soit assurée
ce qui n'est pas le cas si le bâtiment n'est pas encore déclaré
hors d'eau. Des colis stockés représenteraient une gêne pour les compagnons du gros œuvre, en particulier ceux qui
sont chargés de la réalisation des horizontaux et manipulent les
étais. Cette solution représenterait également une perte
de performance puisque la répartition serait à envisager par la suite
alors qu'elle est assurée directement au moment de l'approvisionnement
des logements dans l'organisation actuelle.
Les
enseignements
L'approvisionnement du chantier est relativement
bien maîtrisé par les entreprises. La livraison est souvent assurée
par l'industriel ou par un transporteur indépendant. Deux techniques
prédominent pour le déchargement, soit il est assuré par la grue du
chantier quand celle-ci est encore présente et disponible, soit
l'entreprise possède ou loue des moyens mécaniques de manutention ce
qui lui permet d'assurer sa prestation tout en restant autonome et
indépendante des autres entreprises.
L'usage de la grue est négocié avec l'entreprise
générale. Pour ce chantier, le conducteur a fait le choix de ne pas
faire payer cette prestation aux entreprises, ce qui lui permettait en
contrepartie de négocier certaines prestations ponctuelles. La grue
devient par conséquent un argument de négociation. En même temps les entreprises considèrent
qu'elles
dépendent de l'entreprise générale pour qui la grue est
prioritaire. Il s'ensuit en certaines occasions des temps d'attente
qui peuvent être préjudiciable aux entreprises de corps d'état ou
à l'entreprise qui assure la livraison du chantier (d'où parfois des
déchargements sauvages). Les entreprises cherchent à
devenir moins dépendantes de l'entreprise générale grâce au
recours à des engins mécaniques de levage dont le coût de location
est devenu abordable. Les industriels
qui assurent la livraison des chantiers équipent leur camion d'engins
de manutention autonomes comme c'est le cas des entreprises de
fabrication des menuiseries extérieures en PVC. Il en est de même
pour les transporteurs dont les camions sont de plus en plus souvent
équipés de grues télescopiques.
Le stockage sur le chantier dépend en grande
partie du type de matériaux, mais la tendance actuelle est de limiter
les stocks sur les chantiers, d'une part pour limiter l'importance
des vols, d'autre part pour réduire l'impact du coût de location
des engins de manutention. C'est ainsi qu'un stock intermédiaire sera
composé pendant le déchargement des matériaux avec une répartition
immédiate vers les situations de pose. C'est le cas entre autres pour
le charpentier, le plaquiste ou les menuiseries extérieures.
Néanmoins, il arrive que ces stocks provisoires restent quelque temps
à l'endroit de leur déchargement avant d'être acheminés à
l'endroit de pose. Cette forme de stockage représente également
une situation gênante pour les autres
prestataires du chantier.
D'autres entreprises auront à
affronter d'autres conditions de manutention, car même quand elles
ont une approche des conditions de travail de leur personnel, la mise
en œuvre de moyens de transbordement, comme des transpalettes, est
rarement envisageable en raison de l'état de surface et
d'encombrement du chantier. L'accès aux immeubles peut
représenter une rupture dans la chaîne de manutention
préjudiciable aux conditions de travail. Mais les entreprises
intéressées par une politique d'amélioration font état de leur
difficulté à se faire entendre auprès de certains acteurs comme le
maître d'ouvrage ou le maître d'œuvre. L'amélioration de ces
conditions passerait par une préparation spécifique dès la phase de
préparation, mais l'amélioration des conditions de manutentions ne
semble pas partagée par l'ensemble des acteurs. Pour que des actions puissent aboutir, il semble nécessaire qu'une majorité
d'acteurs ait décidé d'agir conjointement, ce qui se produit
rarement.
Les matériaux qui parviennent sur le chantier sont
le plus souvent colisés par l'industriel. Les
caractéristiques de ces colisages sont plus orientées par les
conditions de transport que par les manutentions ultérieures des
ouvriers du chantier. C'est le cas des
menuiseries extérieures dont la palettisation suit une
logique par dimension alors que la logique de pose suit une logique
par appartement, ce qui oblige les ouvriers à assurer la répartition
des baies depuis la zone de stockage quand celle-ci est correctement
gérée.
Plusieurs entreprises ont remarqué que l'évolution des produits ne permet plus leur manutention par les
ouvriers dans des conditions raisonnables. C'est le cas des portes
palières ou des menuiseries extérieures dont la technicité a fait
augmenter le nombre des éléments. Auparavant, chacun des
éléments pouvait être manutentionné séparément. Maintenant, la
préfabrication industrielle provoque le déplacement d'ensembles
lourds et encombrants, ce qui permet de réduire le temps de travail sur les chantiers et
contribue ainsi à la réduction des
délais, mais qui simultanément détériore les conditions de
manutentions et de pose des ouvriers. C'est ainsi que certains types
de portes palières anti-effraction peuvent avoir un poids allant
jusqu'à 80 kg, ce qui n'est plus manipulable par un seul opérateur.
L'entreprise a donc choisi de séparer les prestations de pose et de
manutention. Chacune d'entre elles sont assurées par des équipes
spécialisées distinctes. Cette organisation est également adoptée
par l'entreprise de plomberie quand il n'est pas possible d'obtenir de
moyen de levage. Dans ces conditions, cette entreprise préfère
embaucher ponctuellement des intérimaires pour assurer les tâches de
manutention. Ce dispositif évite que le personnel soit exposé à un
surcroît de fatigue.
Les
facteurs de gêne le plus souvent évoqués
Le premier facteur, c'est les autres entreprises
sous la forme de la coactivité. Celle-ci apparaît faiblement
même quand le chantier est correctement planifié et coordonné. Elle a évolué depuis quelques années avec
notamment un recours plus important aux engins de levage. Ensuite, l'état des lieux:
les entreprises attendent
que les situations soient correctement nettoyées - même si parfois elles
oublient elles-mêmes de le faire pour les entreprises qui les suivent.
Autre facteur signalé comme pénalisant: les distances de déplacement depuis les zones de
stockage ou jusqu'aux emplacements des bennes à déchets (celles-ci
devraient être déplacées avec l'évolution du chantier), qui ne sont pas
renouvelées avec une fréquence suffisante. Le manque
de discipline dans le tri des déchets semble plus développé dans
les entreprises qui emploient des salariés au statut précaire. De ce
fait, une partie des entreprises préfère éviter le compte prorata
pour éviter ce qui est appréhendé comme étant une perte
financière directe d'autant plus que certaines ont mit en œuvre des
mesures pour récupérer le matériel utilisé pour leur logistique.
Enfin, dernier point, une partie des entreprises regrette que les
maîtres d'ouvrage et d'œuvre n'incitent pas à la recherche de
solutions collectives.
Remarques
et commentaires
Les logistiques s'inscrivent de plus en
plus, même auprès des entreprises de taille restreinte, dans une
complémentarité de flux d'informations et de matériaux qui doivent
être maîtrisés pour garantir la performance des prestations pendant
les chantiers. Ces flux sont de plus en plus tendus afin
d'éviter des stocks trop importants. Simultanément, les conditions
de la logistique se sont améliorées en partie grâce à l'évolution
des matériaux, plus légers, et de l'usage des moyens de levage. Mais
le raccourcissement des délais d'intervention, en certains
cas, le conditionnement des matériaux, la non-rémunération de ces
tâches, l'emploi de personnel spécialisé représentent autant de
facteurs de dégradation des conditions de travail. Les moyens mis en œuvre pour les
manutentions dépendent en grande partie des caractéristiques des
bâtiments, en particulier la hauteur des édifices. Mais ce qui est
au premier plan, c'est le manque de cohérence de la chaîne de
manutention quand une entreprise désire que les manutentions de son
personnel soient assistées par des moyens mécaniques comme des
transpalettes.
L'approche développée par les entreprises veut avant tout assurer la performance;
même si
certaines reconnaissent que les manutentions représentent
une source de pénibilité, elles ne disposent pas de connaissances
adéquates pour modifier les modes opératoires de leur personnel.
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