"35 HEURES C'EST L'HEURE"


Déroulement de la démarche

Description sommaire du choix technique
Suivi des rythmes quotidiens en phase gros œuvre
Phase du second œuvre
Observations du Docteur Poirier
Observations du suiveur


L'ordre de service travaux a été délivré le 30 octobre 1999 et les travaux se sont achevés en septembre 2000, conformément au planning.

Au début de la réalisation, l'organisation des journées de la phase gros œuvre, initialement prévue sur une période de 12 h a été ramenée à 11 h comme indiqué dans la présentation de l'expérimentation. Ce réaménagement résultait d'une volonté de réduction des nuisances de voisinage. Il s'agit donc d'une cause externe au chantier.

L'entreprise QUILLE a effectivement agi en ensemblier sur le gros œuvre, les menuiseries extérieures et intérieures, ainsi que les cloisons doublages. Les sous-traitants des autres lots ont été consultés sur la base du projet ARTT qui était définie dans la proposition de base de l'expérimentation : Un document précisait aux sous-traitants qu'ils devaient travailler suivant l'aménagement horaire défini, en sachant que l'entreprise générale leur fournirait l'organisation logistique adaptée à chaque phase du chantier.

La constitution des équipes de travaux s'est opérée à partir d'un petit noyau de compagnons motivés en respectant les habitudes pour les trajets, les repas, etc., afin de ne pas développer des contraintes difficiles à vivre autour de la réorganisation du temps de travail. Il convenait en effet de respecter le covoiturage des membres du personnel logeant dans le même secteur par exemple.

La préparation du chantier gros œuvre a été très minutieuse sur les choix techniques. Elle a abouti à une mixité de solutions dont la synthèse permet de respecter les horaires, la productivité et la sécurité.


Description sommaire du choix technique

Rez-de-chaussée : il est réalisé en béton armé, ce qui permet d'intégrer les longrines sur pieux sous la forme de poutres voiles dans la hauteur de cet étage.

Élévation : solution de structure mixte, murs intérieurs en béton armé, murs périphériques en agglo, dalle coulée en place sur un coffrage modulaire manu portable.

A cela s'ajoutent des éléments préfabriqués : appuis de baies, linteaux des ouvertures pour les murs extérieurs et bandeaux saillants et l'utilisation de chape liquide en lieu et place de chape BA traditionnelle. Ces choix ont été faits en prenant en compte l'avis des compagnons impliqués dans la réalisation.

La mixité de ces solutions et leur homogénéité constituent une optimisation très intéressante relativement à la souplesse qu'elle induit par rapport à l'organisation de la production sur site.

On peut considérer à cet égard, que le choix des ces solutions relève d'une forme d'analyse de la valeur pertinente au confluent entre le professionnalisme (en terme de méthode), la pédagogie (à l'égard des compagnons) et la recherche (puisque de nouvelles technologies ont été utilisées en matière de sécurité). Monsieur BACHELET, chef de groupe QUILLE est à l'origine de cette réflexion développée avec Monsieur TARDIF (auteur de la proposition). Tous deux estiment que toute démarche particulière implique une prospective technique et des choix adaptés à chaque situation.

Selon eux, cette hypothèse est particulièrement bien vérifiée sur ce chantier où la réduction du temps de travail implique une étude particulièrement fine pour ne pas saturer les moyens de levage (grue), afin d'homogénéiser les temps de production des différentes équipes.

C'est en adossement à ces choix techniques, que l'organisation de chantier a pu se dérouler en phase gros œuvre suivant le 2ème planning journalier figurant dans le chapitre de présentation de l'expérimentation sur des journées de 11 heures.

Il y a donc une interactivité très forte entre le choix des horaires journaliers et le choix des techniques et des modes opératoires. Le premier induit l'autre et réciproquement, le second génère la faisabilité du 1er.

L'originalité de la démarche tient également dans le fait qu'elle a été partagée : les nouvelles conditions de travail n'ont pas été brutalement imposées par la Direction pas plus que les choix techniques : c'est une concertation entre les hommes d'études et les hommes de terrain qui a permis de dégager les solutions qui ont été amplement discutées et finalisées en tenant compte de la rentabilité mais aussi de la recherche d'une moindre pénibilité dans le travail. C'est pourquoi il est possible d'évoquer à ce stade de l'expertise la corrélation des choix techniques avec les progrès qu'ils ont générés sur des nouvelles procédures assurant une sécurité nettement supérieure aux habitudes. Ce point a été particulièrement apprécié par les compagnons et a généré une meilleure productivité sur le chantier. On peut citer par exemple :

  • Le choix de coffrage de plancher, très léger, manuportable associé à des outils pertinents;

  • Le plan de coffrage avec repères de couleurs;

  • Le chariot de manutention;

  • Le laser pour le réglage du niveau;

  • L'utilisation d'une plate forme individuelle de travail pour les travaux de finition;

  • L'utilisation d'un échafaudage type universal avec sécurité extérieure intégrée pour les maçonneries de façades;

  • La mise au point d'une protection de trémie en tôle perforée légère et visuelle;

  • L'éclairage des circulations en utilisant la filerie définitive;

  • La mise en place de l'escalier définitif au fur et à mesure de l'avancement;

L'observation faite tout au long du chantier par le suiveur montre que l'ensemble des choix techniques associé au dispositif de sécurité a généré une responsabilisation et une motivation très forte des compagnons sur le site : les rythmes prévus ont été respectés et toute la préparation du chantier s'est avérée efficace sur le terrain, malgré des conditions atmosphériques difficiles, une grève des transports qui a provoqué un retard de 3 jours et une pénurie de main d'œuvre au mois de janvier.

Ces difficultés ont mis en valeur toute la qualité de l'organisation préalable mais aussi la nécessité de garder un noyau de personnels de l'entreprise au sein de chaque équipe pour assurer l'encadrement du personnel intérimaire. En effet quand bien même la préparation est parfaite, si l'on constitue des équipes exclusivement à partir d'employés intérimaires, les cadences et la productivité en pâtissent.


Suivi des rythmes quotidiens en phase gros œuvre

Comme exprimé plus haut, le planning journalier concernant les équipes de production et les grutiers a été respecté.

Les réactions sont globalement favorables tant au niveau des compagnons que des grutiers. Ce type d'organisation a été approuvé par les hommes de terrain. En matière d'encadrement le chantier a vécu selon les modalités suivantes :

Le chef de chantier ouvre le chantier à 6 h 30 et part à 15 h. Son assistant arrive à 10 h du matin et part à 18 h en fermant le chantier.

La passation des consignes entre eux se fait la veille pour le lendemain. L'essentiel de la passation des consignes consiste à évoquer les tâche à réaliser à la jonction des équipes pour ce qui concerne le mode opératoire, la sécurité, la composition des équipes et le détail des tâches à exécuter par chacune d'entre elle.

Pour les chefs d'équipes, il faut impérativement s'organiser avec minutie la veille pour le lendemain car si un défaut apparaît dans l'organisation, (une quelconque faute) le fait d'avoir un relais entre deux équipes menées chacune par des chefs de file différents exclut l'improvisation de dernière heure utilisée sur des chantiers où des débordements de temps sont possibles. Cela nécessite un effort d'organisation important pour passer les messages la veille pour le lendemain, cela ne peut se faire qu'en assurant une préparation attentive et rigoureuse tout au long de la phase gros œuvre.

Pour ce qui concerne les grutiers, le 1er arrive à 7 h et le second à 10 h. Ce type d'organisation n'a pas posé de problème par rapport à l'acheminement des fournitures.

Quant au conducteur de travaux, son rôle et son temps de travail n'ont pas changé, il n'est pas bénéficiaire de la réduction du temps de travail et conserve un rythme "soutenu" habituel.

Moyennant l'ensemble de ces dispositions, les délais ont été globalement respectés, le niveau de productivité maximal a été atteint dès le 2ème niveau, sachant que le 1er niveau à lui seul consommait 25 % du temps. Il aurait fallu que le bâtiment comporte davantage de niveaux pour fournir une démonstration probante de gains de temps liés aux effets de la réorganisation.


Phase du second œuvre

Le chantier pour cette phase a gardé des horaires d'ouverture classiques (8 h – 17 h).

Comme prévu, QUILLE a réalisé en part propre les lots,

  • Menuiseries intérieures.

  • Menuiseries extérieures.

  • Cloisons doublages.

Les compagnons QUILLE ont gardé un temps de travail effectif de 36 h 15 la semaine, mais sans horaire décalé comme pour la phase gros œuvre, si ce n'est un décalage d'une heure entre les intervenants des lots menuiseries extérieures (8 h – 16 h) et menuiseries intérieures (9 h – 17 h)

Les deux intervenants ont été décalés dans l'espace en veillant à ce que les compagnons intervenant sur ces deux lots ne travaillent jamais sur le même niveau (décalage de 1 niveau) ceci afin de faciliter l'approvisionnement et le stockage du matériel et éviter de densifier le chantier.

La réalisation en part propre des lots menuiseries intérieures et extérieures par QUILLE a permis le prolongement de l'ARTT sur le chantier, car au-delà de cette action, les entreprises sous traitantes intervenant sur le chantier n'ont pas concrètement appliqué la règle des 35 h sur le chantier (sauf pour partie l'électricien).

Cependant, la coactivité avec les entreprises sous traitantes s'est gérée très facilement grâce à la souplesse offerte par les plages d'ouverture très larges du chantier.

Il est également indéniable que les horaires d'ouverture, le système d'horaires décalés, les actions sur la logistique et la sécurité de ce chantier, ont suscité beaucoup d'intérêt de la part de sous traitant.

La préparation minutieuse, le respect des délais, la cohérence des plannings de mise à disposition de matériel d'approvisionnement et de sécurité (grue, échafaudage, etc) la logistique générale mise en place pour anticiper sur les approvisionnements et les stockages sur le site ont été appréciés par les intervenants extérieurs du lot gros œuvre.

On ne peut pas retenir de cette phase, un éclairage particulier sur l'ARTT car elle a principalement démontré la pertinence des services logistiques mis en place par l'entreprise générale, à destination des sous-traitants.

Il s'agit toutefois d'un préalable à la mise en place ultérieure de l'ARTT sur les corps d'état de second œuvre ; car tout comme le lot gros œuvre, ces lots peuvent adopter de nouveaux rythmes journaliers de travail, s'ils sont adossés à une organisation logistique solide, bien adaptée à leurs besoins spécifiques.

Un second fait dominant de cette phase relève des choix techniques de réalisation des chapes et rejoint l'étude de mixité des solutions faites en phase gros œuvre.

L'utilisation de chape liquide sur l'ensemble des surfaces des dalles s'avère être un choix technique qui constitue une amélioration par rapport aux prestations de base, c'est aussi une conséquence de l'optimisation du planning et des rotations. En effet, la chape liquide peut être réalisée à raison de 600 m²/jour, ce qui permet, sur le chantier de DARNETAL de réaliser un niveau par jour. Ce système permet aussi de laisser les dalles brutes, d'alléger les rotations du lot gros œuvre et de pouvoir enchaîner au plus vite les cycles de production.

En effet, si les planchers doivent être finis et talochés les risques de dégradations ne permettent d'enchaîner le nouveau cycle que le lendemain de l'opération de finitions. Le fait que l'entreprise ait conservé la grue pour approvisionner les corps d'état secondaires a permis de réaliser la chape liquide sous l'ensemble du bâtiment en 3 ou 4 jours ce qui mobilise moins la logistique de chantier que de réaliser des chapes traditionnelles.

Notons enfin que la sensibilité à l'eau de la chape liquide (chape réalisée à base de gypse) ne permet pas de la couler lorsque le clos et le couvert ne sont pas entièrement réalisés, c'est pourquoi sa mise en œuvre a été différée sur le dernier niveau jusqu'à l'acheminement de la couverture. Ainsi une partie des chapes a été réalisée de façon traditionnelle sur le dernier niveau pour permettre le stockage des cloisons et doublages.

On retrouve ici l'intérêt de la mixité des solutions déjà évoquées en phase gros œuvre : elle a permis une optimisation de la productivité du fait de la souplesse qu'elle a induit par rapport à l'organisation de la production sur le site. Cette observation élargit le champ de l'optimisation au-delà du lot gros œuvre, en direction des choix techniques du second œuvre qui doivent sans doute obéir à la même loi et qui doivent générer les mêmes conséquences.


Observations du Docteur POIRIER

Le docteur POIRIER a constaté les points suivants :

  • La charge de travail physique telle qu'on a pu l'enregistrer sur ce chantier a été comparable à celle d'autres chantiers. Le docteur POIRIER craignait de voir apparaître sur ce chantier des éléments particuliers relatifs à la gestion des aléas de chantier, c'est à dire des incidents liés à des impréparations qui auraient introduit des rattrapages à risque car les 35 h radicalisent les comportements existants : le Docteur POIRIER n'a rien observé de tel.

  • Dans les équipes "plancher" la coordination avec l'équipe plombier/électricien a généré un collectif de travail qui a décidé de son propre chef de participer à l'expérimentation. Si la tension existe du fait de la productivité recherchée, l'humour a servi de lubrifiant. Il a fallu que l'organisation soit excellente pour éviter les explosions.

Le docteur POIRIER pense que les 35 h sont issues d'un paradigme industriel continu avec unité de lieu et de productivité en série. Le modèle de préparation-exécution du chantier devrait se rapprocher de ce type d'approche. Il ne faut donc laisser aucune place à l'improvisation, la clé de la réussite était là. Compte tenu de cette observation, il faut se poser la question de savoir quel est le degré de préparation économiquement plausible en fonction des choix constructifs retenus sans omettre que la production que l'on pourrait générer avec des méthodes éprouvées doit de toute façon s'adosser à une dimension de formation des compagnons.

Le Docteur POIRIER émet un autre constat ; il est très coûteux pour le compagnon de s'éloigner de la tâche prévue. L'improvisation est coûteuse physiquement et psychologiquement. Elle fatigue le corps et les nerfs.

La préparation minutieuse du travail évite de trop parler : il est important qu'un jour de travail puisse se dérouler sans qu'il y ait beaucoup à échanger par la parole sur le chantier : Il apparaît en effet que les échanges verbaux réintroduisent une hiérarchie difficile à supporter. Elle correspond à donner des instructions à l'autre ce qui détériore l'ambiance et détruit le collectif de travail. Il faut viser à une organisation qui maintient chacun dans une zone d'autonomie sans trop développer les échanges verbaux.

En ce qui concerne les rapports entre les personnes, le Docteur POIRIER fait part de son expérience : Il a constaté que la productivité sur un chantier est négociée, c'est le rôle du chef de chantier d'animer cette négociation dont le salaire est une contrepartie. Mais il n'y a pas que cela : le salaire est une contrepartie qui permet au compagnon d'avoir une dignité appréciée par rapport à sa famille et par rapport à la considération qu'il a sur le chantier. C'est ce qui permet au compagnon de se surpasser et d'aller plus loin et mieux.

On constate enfin que le travail est auto régulé au sein de la notion de collectif de travail.


Observations du suiveur

Un grand intérêt peut être porté à cette démarche qui associe (comme cela a été vu au cours des différentes phases de suivi) une approche rigoureuse et intéressante sur les choix techniques, une approche intéressante sur les choix et les progrès organisationnels, le tout en association avec les progrès sociaux que visent à générer l'ARTT.

Il semble que l'entreprise QUILLE, en association avec la médecine du travail soit parvenue à DARNETAL à développer conjointement les progrès sur ces "3 plans" ce qui apparaît comme une garantie de progrès durables associés à l'ARTT.